En juillet dernier, le Parlement européen votait, à une très courte majorité, en faveur d’un règlement européen visant à instaurer des objectifs contraignants pour restaurer les écosystèmes, habitats et espèces dégradés sur le territoire des États membres. Objet de débats politiques et juridiques ardents pendant plusieurs mois, la portée normative de ce texte n’est pas encore gravée dans le marbre européen.
À l’aune d’un rapport accablant sur l’état de la nature au sein de l’Union européenne et dans la continuité du Pacte vert européen et de la Stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, la Commission européenne a proposé, en juin 2022, un règlement sur la restauration de la nature à même, selon elle, de résorber les dommages causés à la nature d’ici à 2050.
Pensée comme la loi environnementale la plus ambitieuse depuis ces 30 dernières années (on pense notamment aux directives « Habitats » et « Oiseaux »), avatar européen de l’accord trouvé par les 188 dirigeants à la COP 15 sur la biodiversité en décembre 2022, la proposition de la Commission a cependant vu ses ambitions significativement réduites par un Parlement européen polarisé.
Un texte politisé à outrance
Un chemin de croix législatif
En son rôle de co-législateur de l’Union européenne, le Parlement européen est habilité à se prononcer sur les propositions de la Commission européenne. C’est à ce titre que ses différentes commissions se sont penchées sur le projet de règlement, donnant lieu à l’un des feuilletons politiques de l’année 2023.
Rejeté par les commissions Agriculture et Pêche du Parlement européen, le texte a survécu, une première fois, à une motion de rejet en commission Environnement (à une voix près), pour finalement recevoir un avis défavorable de cette dernière. Le vote final du Parlement, en séance plénière, a cependant permis de repêcher le projet de règlement au prix de nombreuses concessions.
Des milliers d’amendements, négociations de couloirs des acteurs institutionnels, mobilisations citoyennes, scientifiques (voir notamment Pe’er et al., 2023), entrepreneuriales ou des interprofessions : ce texte aura suscité de nombreux remous aux abords de l’hémicycle européen.
Une opposition idéologique
Au-delà du contenu même du projet de règlement, parfois objet d’exagérations ou d’informations infondées (voir les débats autour des 10 % de terres agricoles sanctuarisés, loin d’être toujours factuels), ce texte révèle deux visions diamétralement opposées de la préservation de la nature et, plus globalement, de l’intérêt des services rendus par les écosystèmes pour des pans entiers de la société.
D’un côté, les défenseurs du texte et la Commission européenne, considèrent que la préservation de la biodiversité est une condition sine qua non pour faire face au dérèglement climatique et garantir une agriculture et une sylviculture durable. De l’autre, les détracteurs du texte lui reprochent de porter atteinte à la sécurité alimentaire, au déploiement des énergies renouvelables, aux surfaces agricoles disponibles ou au secteur de la pêche.
Deux visions antithétiques donc, annonciatrices d’un combat à venir : celui des élections européennes 2024. Laboratoire politique, l’examen du texte au Parlement aura permis aux différents partis européens de se positionner, au risque de mettre en péril le projet de règlement, dont le sauvetage in extremis ne se sera joué qu’à quelques voix.
Un texte à portée réduite
L’alignement du Parlement européen sur le texte du Conseil
La Commission européenne possède le monopole du pouvoir de l’initiative législative. Charge au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, ensuite, d’adopter ces textes conjointement.
Sur la forme, le vote en faveur du projet de règlement est une victoire. Sur le fond, cependant, il a souffert d’un rabotage en règle entre les tractations politiques internes au Parlement européen et la version proposée par le Conseil de l’Union européenne, qui réunit les gouvernements des 27 États membres[1]. Fait suffisamment rare pour être souligné, le texte du Parlement européen est moins ambitieux que celui du Conseil, pourtant habituellement frileux sur les questions environnementales.
Parmi les dispositions retenues, le projet de règlement voté au Parlement conserve notamment la mise en place, d’ici 2030, de mesures visant à restaurer au moins 20 % de l’ensemble des zones terrestres et maritimes de l’Union européenne. De plus, il confirme, par exemple, les suppressions du droit fondamental à la justice (soit notamment la possibilité d’ester en justice) et celle des objectifs en matière de restauration des écosystèmes urbains. Le Parlement a également adopté des exceptions pour le développement des énergies renouvelables et en matière de défense nationale, initialement proposées par le Conseil.
Les restrictions supplémentaires proposées par le Parlement européen
Non content d’avoir repris en partie la mouture du Conseil, le Parlement européen a ajouté quelques dérogations, suppressions et exemptions qui relativisent la portée du texte. Tout d’abord, l’article 9 n’a pas survécu aux débats parlementaires : il contenait des objectifs chiffrés pour restaurer les écosystèmes agricoles, notamment en ce qui concerne la restauration des tourbières drainées et des terres riches en biodiversité, du rétablissement des populations d’oiseaux des milieux agricoles ou de l’indice d’abondance des papillons de prairies, lequel révèle la dynamique des populations de papillons.
Ensuite, le texte réduit le principe de non-détérioration des habitats en excluant de son champ d’application ceux qui ne seraient pas concernés par les mesures de restauration et réduit globalement les contraintes qui y sont associées. Les mesures relatives au rétablissement des écosystèmes marins[2] et fluviaux sont également revues à la baisse.
Enfin, des possibilités de reporter la mise en œuvre de la législation sont prévues, notamment en vue de « garantir la souveraineté alimentaire » ou en cas de « conséquences socioéconomiques exceptionnelles ».
Conclusion
Attendu au début du mois de novembre, la troisième réunion du trilogue, réunissant Commission, Conseil et Parlement européens, devrait permettre de trouver un accord sur la mouture finale du texte, pour une adoption souhaitée au début de l’année 2024. Le texte pourrait alors connaître de nouvelles modifications et réserver son lot de surprises supplémentaires.
Hugo Marro-Menotti
[1] Les dispositions analysées ci-après ne prétendent à l’exhaustivité des modifications. Retour
[2] Conseil de l’Union européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature – Orientation générale, cit., Article 5, paragraphe 2. Il convient cependant de signaler l’amélioration de la protection des écosystèmes marins à l’article 14 bis du projet de règlement voté par le Parlement européen. Retour