Bien que le Conseil d’État a interdit récemment certaines chasses cruelles traditionnelles, le gouvernement a tenté de les réintroduire sous couvert scientifique.
Il y a peu de temps, nous nous réjouissions de l’interdiction définitive prononcée par le Conseil d’État de la chasse à la glu et aux tenderies, méthodes de chasse archaïques consistant à piéger les oiseaux de manière extrêmement cruelle.
Pour rappel, le Conseil d’État a considéré que ces méthodes de chasse sont contraires à la directive européenne « Oiseaux » de 2009 qui interdit la capture d’oiseaux massivement et sans aucune sélection (des oiseaux d’espèces protégées pourraient y être pris par exemple). Le gouvernement a vu une brèche dans ces arguments et a organisé une expérimentation pour démontrer le caractère prétendument sélectif de ces méthodes de chasse, en permettant la réintroduction des méthodes de piégeage archaïques des alouettes, des vanneaux huppés et des pluviers dorés dans cinq départements de France du 1er au 20 novembre 2023.
Le prétexte de l’expérience scientifique pour réintroduire la chasse traditionnelle
Malgré les nombreuses décisions du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne condamnant les pratiques de chasses d’oiseaux à la glu, à la matole et au filet, le ministère de la Transition écologique a autorisé, par voie d’arrêtés préfectoraux, l’organisation d’une soi-disant expérimentation scientifique permettant de capturer des alouettes, des vanneaux huppés et des pluviers dorés à l’aide de ces méthodes d’un ancien temps. L’objectif serait de démontrer que ces méthodes de chasse seraient sélectives, et qu’elles seraient donc conformes au droit européen qui interdit les méthodes de chasse sans distinction d’espèces.
Fondée sur une étude menée conjointement par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion de territoires et la Fédération nationale des chasseurs, cette expérimentation a autorisé, par la voie d’arrêtés préfectoraux, la capture de :
- 6000 alouettes des champs à l’aide de pantes (filets horizontaux) ou de matoles (cages tombantes) en Gironde, dans les Landes, en Lot-et-Garonne et dans les Pyrénées-Atlantiques ;
- 500 vanneaux huppés et 15 pluviers dorés à l’aide de tenderies (filets fixés à terre ou nœuds coulants qui étranglent l’oiseau lorsqu’il reprend son envol) dans les Ardennes.
Cette expérimentation avait notamment pour objectif d’évaluer la proportion de prises accidentelles, c’est-à-dire des espèces non visées, occasionnées par l’emploi de ces méthodes de chasse, ainsi que l’état, au relâcher, des oiseaux accidentellement capturés. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a alerté sur le fait qu’aucune concertation préalable avec des organismes scientifiques n’était prévue et avait dénoncé un « acharnement du gouvernement à vouloir perpétuer des pratiques rétrogrades sous la pression des lobbies cynégétiques ».
Suspension de l’expérimentation par les juridictions administratives
La LPO et One Voice ont immédiatement saisi en référé les juridictions administratives en vue d’obtenir la suspension des arrêtés préfectoraux autorisant ces expérimentations.
Le 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a suspendu l’arrêté du préfet des Ardennes autorisant la capture de vanneaux et de pluviers à la tenderie, au motif qu’il existe un doute sérieux sur sa légalité. Le tribunal rappelle qu’il ne suffit pas de prouver le caractère sélectif de ces méthodes de chasse pour se conformer au droit de l’Union européenne ; il faut aussi démontrer qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante à la méthode proposée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce [PDF].
Le même jour, le tribunal administratif de Bordeaux a également suspendu les arrêtés préfectoraux de Gironde [PDF] et du Lot-et-Garonne [PDF]. Le tribunal indique notamment que les arrêtés, pris en réponse à une demande de la Fédération départementale des chasseurs, ne portent ni sur l’amélioration des connaissances de l’alouette, ni sur la conservation de l’espèce et ne s’inscrivent dans aucun programme de recherche aux fins d’études scientifiques. Par ailleurs, la juridiction administrative relève que l’objet des arrêtés « est de contester les décisions juridictionnelles des « juges européens et français » et de documenter les méthodes de chasses traditionnelles », et ne peuvent ainsi entrer dans la dérogation admise par la directive Oiseaux pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, et de réintroduction.
En revanche, le tribunal administratif de Pau a, contre toute attente, rejeté, le 3 novembre 2023, les demandes de suspension des arrêtés préfectoraux autorisant la capture « expérimentale » de milliers d’alouettes dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, préférant donner raison aux chasseurs plutôt que de reconnaître le caractère illégal de cette expérimentation. Incompréhensible.
Conclusion
La tentative du gouvernement de réintroduire les méthodes de chasses traditionnelles malgré l’interdiction du Conseil d’État et de la CJUE, sous couvert d’expérimentation scientifique, a majoritairement été retoquée par la justice. Personne n’est dupe : cette expérimentation n’avait rien de scientifique, et était uniquement destinée à satisfaire les chasseurs qui souhaitent réintroduire des méthodes de chasse ignobles et archaïques. Espérons qu’elles soient définitivement enterrées à l’avenir.
Talel Aronowicz