Communiquer par télépathie avec son chien, c’est possible?

Nous sommes beaucoup à avoir été bercé par les films du docteur Dolittle, un médecin qui parlait aux animaux. Que dit la science de ce don surnaturel ? Est-ce un rêve, une illusion de notre cerveau ou une réalité ? Avons-nous vraiment besoin de parler aux animaux pour les comprendre ?

De plus en plus de personnes font appel à la communication animale (CA) pour régler les problèmes de leurs compagnons, en apprendre plus sur leurs passés, leurs envies, et même retrouver un animal perdu ! Il existe également des formations et stages de communication animale, parfois à des prix exorbitants. Des gardiens de chiens, cavaliers, des personnes œuvrant pour des associations de protection animale et même certains vétérinaires font la promotion de cette « nouvelle forme de thérapie animale ». Mais en quoi consiste réellement cette croyance spirituelle et a-t-elle des fondements scientifiques ?

La CA part du principe que nous pouvons communiquer par télépathie avec les autres animaux (morts ou vivants, en présentiel ou en distanciel avec une photo), mais pas avec les humains, qui auraient perdu cette capacité. Cette pratique contraste avec le travail des éthologues (scientifiques qui étudient le comportement animal), qui utilisent la science pour adapter notre communication avec les autres animaux, en se basant sur la façon dont ils communiquent, comprennent et perçoivent le monde.

La « télépathie animale »

L’histoire du chien télépathe Jaytee

Un chien nommé Jaytee est devenu célèbre grâce à sa capacité à détecter le retour de sa maîtresse, en utilisant, apparemment, la télépathie avec elle. Pam Smart, la gardienne de Jaytee, avait en effet remarqué qu’il semblait sentir quand elle commençait à rentrer chez elle et qu’il allait s’asseoir sous leur porche jusqu’à ce qu’elle revienne. Avant que des scientifiques ne s’emparent du sujet, des journalistes de la télévision autrichienne ont essayé de découvrir si les capacités de ce chien étaient bien réelles. Deux équipes de tournage ont filmé en continu et suivi séparément Pam Smart, pendant qu’elle se promenait en ville, et Jaytee, qui était resté à la maison. Après quelques heures, l’équipe qui accompagnait Pam Smart a décidé de rentrer chez elle. Jaytee s’est alors rendu sous le porche et y est resté jusqu’à son retour. Le résultat de cette « expérience » a fait la une des médias et a donné de l’espoir à de nombreuses personnes désirant communiquer avec leur compagnon.

La télépathie animale à l’épreuve de la science

Mais que se passe-t-il lorsque des scientifiques (munis de méthodes d’observations et d’analyses strictes et rigoureuses) étudient Jaytee et sa gardienne ? Une étude publiée dans le British Journal of Psychology (Wiseman et al., 1998) rapporte le cas de ce chien télépathe. Mais, avant de tester les capacités de télépathie de Jaytee, les scientifiques ont listé plusieurs biais qui pourraient influencer les résultats de l’étude. Les biais sont présents dans toutes les études scientifiques, en avoir conscience et essayer de les minimiser nous aide à améliorer la science.

Concernant le cas qui nous intéresse ici, il est important de garder en tête que les animaux peuvent mémoriser et anticiper les heures à laquelle rentre leur humain. Afin d’éviter ce biais, l’humain participant à l’étude doit rentrer et partir à une heure choisie au hasard. Des indices sensoriels subtils peuvent être captés quand le gardien approche de la maison (bruit de la voiture, odeur de l’humain, etc.). Choisir une voiture différente de celle utilisée habituellement et partir à plusieurs kilomètres enlève ce biais.

Les animaux (humains y compris) peuvent également percevoir des signaux subtils de la part d’autres personnes qui connaissent l’heure à laquelle le propriétaire s’attend à revenir. Pour éviter cela, aucune personne restant avec l’animal ne doit savoir quand il reviendra. Le sujet de l’expérience peut manifester un comportement d’attente de son maître à plusieurs moments différents de la journée. Les personnes qui les accompagnent peuvent ainsi avoir tendance à se souvenir sélectivement du signal qui correspond au retour du propriétaire et à oublier les signaux incorrects émis tout au long de la journée. Le comportement de l’animal doit alors être enregistré tout au long du test et pas seulement au retour du gardien. Et ainsi de suite.

Les auteurs ont travaillé avec la maîtresse de Jaytee pour élaborer une procédure expérimentale qui minimise ces biais. Quatre expériences ont ainsi été réalisées à des dates et des horaires différentes. Seule la première expérience sera détaillée.

L’expérience devait durer au maximum trois heures (de 19 h 10 à 22 h 10). Vers 18 h 30, Pam Smart, accompagnée d’un scientifique, a quitté son domicile et s’est rendue dans un bar situé à plusieurs kilomètres de son domicile. Le scientifique a choisi au hasard le numéro 12, qui correspondait à une heure de départ de 21 h 00. Jaytee a été filmé durant toute l’expérience. Un juge qui ne connaissait pas l’heure de retour de Pam a examiné la bande vidéo et noté les moments où Jaytee attendait le retour de sa maîtresse sous le porche. Pour considérer le test réussi, les scientifiques ont décidé que Jaytee devait se poser sous le porche entre 21 h 00 et 21 h 09.

Jaytee s’est rendu sous le porche pour la première fois sans raison évidente à 19 h 57, bien avant que Pam Smart décide de rentrer à 21 h 00. Il s’y est rendu 13 fois durant la session de test. Jaytee ne semble alors pas réussir à détecter psychiquement le retour de sa maîtresse. Les résultats des 3 autres expériences sont sensiblement les mêmes. À chaque séance, Jaytee se rend plusieurs fois sous le porche et ces moments ne correspondent pas à la période où sa gardienne décide de rentrer. Rien n’indique donc que ce chien soit capable de communiquer par télépathie, puisqu’il n’a pas réussi à détecter avec précision le moment où sa maîtresse a commencé à rentrer à la maison.

Pourquoi une telle différence avec les résultats de la télévision autrichienne ? Le hasard a fait que le chien s’est mis à attendre sous le porche au moment où sa maîtresse rentrait. Contrairement aux scientifiques, les journalistes n’ont pas analysé le comportement de Jaytee durant toute la durée du test, ce qui biaise l’interprétation de son comportement. Ils ont seulement montré la fin de l’expérience, en oubliant toutes les autres fois où le chien a pu s’installer sous le porche alors que sa gardienne ne rentrait pas à la maison.

Notre cerveau nous joue des tours : les biais cognitifs

Dès lors, on se rend compte que de nombreux biais psychologiques déforment notre perception du monde et nous font croire à des choses qui n’existent pas (l’effet barnum avec l’astrologie, l’effet placebo avec l’homéopathie, etc.). Voici une liste de quelques-uns des biais cognitifs les plus connus pour altérer notre raisonnement lors d’une communication animale :

  • Biais de confirmation : tendance à sélectionner les informations qui confirment nos croyances préexistantes et à ignorer celles qui les infirment. Les gardiens d’animaux vont alors avoir tendance à minimiser les choses fausses que les « communicants » (praticiens de la CA) émettent sur la personnalité et la vie de leurs animaux et à garder seulement en mémoire les informations qui ont du sens pour eux.
  • L’effet barnum (lié d’abord à l’astrologie) : tendance à accepter une description vague comme s’appliquant spécifiquement à notre vie personnelle. En effet, les communicants utilisent souvent des déclarations généralistes qui peuvent sembler correspondre à notre situation spécifique, mais qui ne sont en rien personnalisées. Le « votre animal vous aime » ou « il a eu un passé difficile, mais maintenant il a trouvé la paix et l’amour avec vous » reviennent souvent et aident à flatter l’égo de l’humain.
  • Biais idéomoteur : un geste ou une sensation peuvent être provoqués par une pensée liée à ce que nous attendons de la situation. Les communicants vont alors, en toute bonne foi, voir ou entendre les « pensées » des animaux parce que c’est ce qu’ils veulent très fortement ressentir. Mais c’est une pure création de leur cerveau.
  • L’anthropomorphisme : les communicants attribuent régulièrement aux animaux des caractéristiques propres aux humains (il est jaloux, méchant, cherche à vous énerver, à vous tester, il se sent coupable, il est triste d’avoir perdu ce concours, il aime la compétition, sa mission est de vous protéger, etc.). L’ignorance de certains communicants sur le comportement animal est parfois flagrante. Il n’est par exemple pas rare d’entendre de la part des communicants que le cheval aime beaucoup la vie en box. De nombreuses études scientifiques ont pourtant montré que cela était néfaste pour la santé physique et psychologique du cheval (par exemple voir Ruet et al., 2019). Certains interprètent aussi les stéréotypies (mouvements répétés sans but apparent, signes de mal-être) des chevaux comme une danse de joie, ou voient dans un cheval qui exprime son mal-être (agressivité ou hyperactivité) de la méchanceté ou du jeu…
  • La lecture à froid : ce n’est pas un biais cognitif, mais une technique utilisée par de nombreux magiciens et charlatans qui analysent nos réactions corporelles et langagières pour récupérer des informations sur notre vie. L’observation de notre posture, de nos mimiques faciales, des mots que nous employons, de nos vêtements ou de la façon dont nous interagissons avec notre animal en dit beaucoup sur nous ! Ajouté aux questions ouvertes et aux reformulations des informations acquises par-ci, par-là, cela donne l’impression qu’ils connaissent l’animal. Ils n’ont pas toujours conscience de faire tout cela, puisque beaucoup sont persuadés de communiquer par télépathie avec les animaux !

Conclusion

Bien que nous ne puissions tirer une conclusion définitive et tranchée sur l’étude d’un seul animal, les données scientifiques vont davantage dans le sens de l’inexistence de la télépathie que de son existence. L’étude de Jaytee a toutefois le mérite de nous montrer qu’il est nécessaire de garder un esprit critique sur les belles et extraordinaires histoires relayées par les médias et les réseaux sociaux. Bien que cela puisse faire rire au premier abord, la CA peut s’avérer dangereuse en retardant un diagnostic de santé et une prise en charge adéquate de l’animal. En effet, de nombreux conseils donnés par ces communicants sont basés sur l’ignorance des besoins et de la psychologie de ces individus, car calqués sur la façon de penser des humains (anthropomorphisme). L’éthologie a mis en lumière le fait que les autres animaux ont des façons différentes de communiquer (par l’olfaction par exemple), de comprendre et de percevoir le monde que les humains. La CA ne prend pas en compte ces différences.

À notre plus grande peine, nous avons également été témoin d’une situation dans laquelle une gérante d’un grand refuge basait sa décision d’euthanasier plusieurs animaux sur les dires d’une communicatrice. Ça n’a malheureusement rien d’un cas isolé… Beaucoup de communicants prennent la place des vétérinaires et éthologues en réalisant de faux diagnostics, sans aucun diplôme en médecine vétérinaire ou en éthologie. Un seul mauvais conseil peut altérer gravement la santé et la relation que nous entretenons avec notre animal. Si vous observez un changement de comportement ou un mal-être chez votre compagnon, prenez rendez-vous avec votre vétérinaire. Si le problème n’est pas physique, un comportementaliste pourra également vous aider à améliorer le bien-être de votre animal (quelques conseils pour choisir un bon comportementaliste ici). Nous n’avons pas besoin de télépathie pour communiquer avec les animaux, l’éthologie nous donne déjà les clés pour comprendre leurs comportements et communiquer avec eux.

Delphine Debieu (Instagram: @ethologuedesdinos)

Avec les remerciements de l’autrice à Plotine Jardat (vétérinaire et doctorante en éthologie équine), Marie Petithory (comportementaliste canin) et @ethosane_ (vulgarisatrice scientifique sur Instagram) pour leur relecture.

Sources :

Ruet, A., Lemarchand, J., Parias, C., Mach, N., Moisan, M.-P., Foury, A., Briant, C., & Lansade, L. (2019). Housing Horses in Individual Boxes Is a Challenge with Regard to Welfare. Animals, 9(9), Art. 9. https://doi.org/10.3390/ani9090621

Wiseman, R., Smith, M., & Milton, J. (1998). Can animals detect when their owners are returning home? An experimental test of the « psychic pet » phenomenon. British Journal of Psychology (London, England: 1953), 89 ( Pt 3), 453‑462. https://doi.org/10.1111/j.2044-8295.1998.tb02696.x

Pour aller plus loin  :

G Milgram (Réalisateur). (s. d.). La télépathie avec les animaux… Feat @Tchinis—YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=ET_R870IO6Y

Petithory, M. (2023, décembre 16). Médecines non conventionnelles : Dévoiler les Croyances et Apprivoiser les Faits. Marie Petithory. https://dogdays.fr/medecines-alternatives/

zeteditor. (2022, décembre 5). La communication animale. Zétérinaires. https://www.zeterinaires.fr/nofakemed/2022/12/05/la-communication-animale/

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