Depuis plusieurs mois et notamment la création d’une mission de contrôle sur le sujet au Sénat, la question de la réglementation de la chasse revient régulièrement à l’ordre du jour. Interdiction de la chasse le week-end, renforcement de la règlementation pour les espèces protégées, interdiction de certaines armes et pratiques sont autant d’idées mises sur la table par les associations pour tendre, a minima, vers une pratique plus sécurisante de la chasse.
Malgré une population française de plus en plus défavorable à la chasse de loisir – 83 % des Français se déclarant favorables à l’interdiction de chasser deux jours par semaine (dont le dimanche) et l’intégralité des vacances scolaires (sondage IFOP pour la FBB, 2022) – le gouvernement français semble faire la sourde oreille à toute proposition ambitieuse de réforme.
Face à l’insuffisance des politiques publiques en la matière, et notamment du plan de sécurité à la chasse publié le 9 janvier 2023 par le ministre de la Transition écologie et de la Cohésion des territoires, plusieurs associations de protection de la faune sauvage et de lutte contre les accidents de la chasse ont choisi de porter leur combat par la voie judiciaire.
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Des actions en justice originales
Originalité de la démarche, ces associations ont choisi d’agir selon des procédures jusqu’à présent utilisées principalement dans le contentieux climatique afin de faire sanctionner par le juge l’inaction publique de l’État.
En effet, ces dernières années, le contentieux administratif a vu se développer une nouvelle voie procédurale pour faire face à l’inertie des pouvoirs publics et visant à obtenir de l’administration qu’elle prenne « toutes les mesures nécessaires » ou « utiles » permettant qu’elle se conforme à une obligation légale.
Traditionnellement, ces contentieux revêtaient la forme d’un recours pour excès de pouvoir assorti de demandes d’injonction formée contre le refus du gouvernement d’adopter les mesures nécessaires pour prévenir ou remédier à une situation précisément définie.
En parallèle, ce sont également développées des actions en responsabilité dites « en carence fautive » tendant à obtenir la réparation des préjudices causés par l’inaction de l’État (pour une application récente, voir la décision de l’Assemblée du Conseil d’État n° 454836 du 11 octobre 2023). Pour la première fois, à l’automne 2023, plusieurs associations de protection de la faune sauvage et de lutte contre les accidents de la chasse se sont saisi de ces nouveaux instruments contentieux afin de forcer l’État à renforcer sa règlementation en matière de chasse.
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Un recours pour excès de pouvoir en injonction
En août 2023, l’association One Voice a sollicité du ministre de la Transition écologique qu’il adopte toutes les mesures nécessaires pour limiter le risque d’accidents en matière de chasse. En gardant le silence pendant deux mois sur cette demande, le ministre a en réalité implicitement rejeté la requête de l’association.
C’est ce refus que l’association entend contester devant le juge administratif. Par un recours enregistré en octobre 2023 devant le Conseil d’État, l’association sollicite l’annulation du refus du ministre de faire droit à ses demandes mais surtout qu’il soit enjoint à ce dernier de prendre toute mesure nécessaire pour sécuriser davantage cette pratique en restreignant notamment les jours de chasse, en interdisant l’usage de certaines armes ou en renforçant l’examen du permis de chasser…
Dans ce recours, le Conseil d’État sera amené à déterminer quelles obligations s’imposent à l’administration en matière de chasse, si le gouvernement a pris les mesures suffisantes pour y satisfaire et, le cas échéant, à l’enjoindre de le faire.
Un recours en carence fautive
En parallèle, l’association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) et le collectif Un jour, un chasseur ont choisi d’agir en justice par une action en responsabilité de l’État pour carence fautive devant le tribunal administratif de Paris.
Déjà employée par le passé, notamment en matière climatique (v. not. pour l’affaire du Siècle TA de Paris, 3 février 2021 Oxfam et autres, n° 1904967, 1904968, 1904972), cette procédure vise à condamner l’administration à réparer le préjudice subi en raison, non pas d’un acte ou de son comportement litigieux mais au contraire de son inaction à faire cesser les manquements ainsi constatés et d’y remédier par toute mesure utile.
En l’espèce, l’action portée par l’ASPAS et Un jour un chasseur s’articulent en deux temps. Dans un premier temps, une demande préliminaire a été adressée le 10 octobre 2023 au gouvernement de prendre sans délai, les mesures propres à assurer la sécurité et la tranquillité de la population dans le contexte de la pratique de la chasse, en adoptant notamment, pour l’ensemble du territoire, des mesures pertinentes pour limiter les accidents, les incidents et les nuisances en marge des actions de chasse. Dans un second temps et à l’expiration d’un délai de deux mois le 10 décembre 2023, les deux associations sont recevables à saisir le tribunal administratif de Paris aux fins de constater la carence de l’État et d’engager la responsabilité de ce dernier à ce titre.
Si ces deux recours se rejoignent sur le fond en tant qu’ils dénoncent les mêmes lacunes en matière de chasse et appellent de leurs vœux une réelle réforme en la matière, ils se distinguent par l’étendue des pouvoirs du juge dans chaque espèce. Alors que le recours en injonction porté par One Voice vise à forcer l’administration à adopter ultérieurement des mesures permettant de réglementer plus efficacement la chasse, l’action en responsabilité pour carence fautive de l’ASPAS et Un jour un chasseur sollicitent la condamnation du gouvernement pour son inaction passée à régler les dérives de la chasse permettant également d’en demander réparation.
Alice Schott