Le bien-être animal au pouvoir: entretien avec la ministre belge Céline Tellier sur l’exemple wallon

Le gouvernement de Wallonie – l’une des trois régions de Belgique – compte un ministère dédié, notamment, au bien-être animal. Depuis 2015, la ministre Mme Céline Tellier est à l’origine de nombreuses avancées législatives : création d’un permis de détention pour acquérir un animal, interdiction des colliers étrangleurs et des usines à chiots, inscription du bien-être animal dans la Constitution… La LFDA a pu échanger avec Mme Tellier sur l’actualité belge et française dans le domaine du bien-être et de la protection des animaux.

En janvier 2024, le parlement belge a voté à l’unanimité l’interdiction définitive de l’importation de trophées de chasse issus d’espèces protégées. Un texte similaire, adopté en commission parlementaire, pourrait prochainement être soumis aux députés français. Que pensez-vous de ces nouvelles dispositions ?

Céline Tellier : J’ai envie de vous répondre : enfin ! Cela paraît évident. On envoie là un signal fort aux braconniers. Les animaux sauvages sont parfois les « oubliés » du bien-être animal (BEA), et pourtant ils méritent aussi notre respect. Pour les espèces protégées, il y a également tout l’enjeu autour de l’équilibre des écosystèmes, de la biodiversité. Je salue cette mesure et j’espère que nos voisins français avanceront aussi sur ce sujet.

Une récente campagne de votre ministère sensibilise le public à la problématique des animaux de compagnie hypertypés (bulldog anglais, Shar Pei, chat Persan, etc.). Des évolutions réglementaires sont-elles prévues à ce sujet ?

C. T. : Oui, nous avons réalisé une vidéo de sensibilisation, en collaboration avec des vétérinaires, pour informer le grand public sur la thématique des hypertypes, encore trop peu connue.  Cette vidéo a eu beaucoup de succès ! Nous avons également mis à disposition des citoyens et citoyennes une série d’informations sur le sujet (FAQ, avis du Conseil du BEA). Il est indispensable d’informer et de sensibiliser, car les élevages répondent aussi, quelque part, à la « demande » des citoyens et citoyennes : on veut un chien avec un nez comme ceci, une longueur comme cela… Nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour améliorer la situation, comme le dit la vidéo.

Au niveau législatif, nous avons donc aussi ce rôle à jouer. Nous avons finalisé un projet de texte avec l’administration, pour mieux encadrer la reproduction des chiens et des chats hypertypés, et nous sommes en train d’en discuter au niveau du gouvernement wallon. Ce projet de législation vient s’ajouter aux avancées déjà obtenues pour mieux cadrer l’élevage et le commerce d’animaux de compagnie : mise en œuvre du permis de détention, augmentation des surfaces minimales, âge minimum et maximum pour les portées, formation obligatoire au sein des élevages et animaleries, etc.

En Wallonie, une liste « positive » d’animaux spécifie les espèces dont la détention par des particuliers est autorisée. Une disposition similaire est prévue en France depuis 2021 mais ses contours peinent à être définis. Pouvez-vous partager votre expérience avec nous ?

C. T. : Oui, cette législation est importante. Une telle liste existe à la fois pour les mammifères et pour les reptiles. Accueillir un animal constitue une responsabilité, a fortiori s’il s’agit d’animaux particuliers comme les nouveaux animaux de compagnie (NAC). Vu leur succès, il était important de compléter la législation pour mieux encadrer leur détention. Certaines espèces, comme les serpents par exemple, ont en effet des besoins bien spécifiques qui doivent être rencontrés. L’arrêté adopté par le gouvernement wallon en 2020 permet de combler cette lacune. Il permettra de limiter les espèces vendues et de rendre des normes de détention obligatoires dans certains cas.

Les critères suivants ont été utilisés pour déterminer quels animaux pouvaient être repris dans la liste positive :

  • L’espèce animale doit être facile à détenir et à loger, sans que ses besoins physiologiques, éthologiques et écologiques essentiels soient affectés.
  • Elle ne doit pas être de nature agressive et/ou dangereuse.
  • Elle ne doit comporter aucun autre danger particulier pour la santé humaine.
  • Il ne doit y avoir aucune indication claire que l’espèce animale soit capable de survivre dans la nature et d’y constituer un danger pour la faune indigène.
  • Il faut que des données bibliographiques soient disponibles sur la détention de l’espèce animale. S’il existe des données contradictoires sur la possibilité de détenir une espèce animale en captivité, il est considéré qu’un ou plusieurs des critères qui précèdent ne sont pas remplis.

Une décision inédite de la Cour européenne des droits de l’homme a récemment reconnu que le respect du bien-être animal était un motif raisonnable pour restreindre des libertés qui lui porteraient atteinte. Cet arrêt fait suite à la contestation d’un décret mettant fin à l’exception d’autorisation de l’abattage sans étourdissement en Wallonie et en Flandre. Que représente cette décision pour votre ministère et pour l’avenir du droit animal ?

C. T. : Cette décision de justice conforte en effet la position de la Cour de justice de l’Union européenne et des législations adoptées en Flandre et en Wallonie. En tant que ministre wallonne du BEA, je suis heureuse que l’approche volontariste du gouvernement et du Parlement de Wallonie soit bien confirmée par ces différentes instances.

La France est malheureusement connue pour sa production et sa consommation de foie gras. Le gavage est également autorisé dans votre région, alors qu’il est interdit dans le reste de la Belgique et la plupart de l’Union européenne. Quels facteurs peuvent expliquer cette divergence ?

C. T. : Il y a de véritables enjeux autour de la production et de la consommation de foie gras (et de viande, plus largement). Nous avons réalisé plusieurs contrôles avec l’Unité du bien-être animal dans les élevages concernés, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Nous avons aussi soumis des propositions législatives pour améliorer les conditions d’élevage de ces animaux et éviter que de nouveaux élevages s’installent, mais ça n’a malheureusement pas fait l’objet d’un consensus au niveau du gouvernement wallon.

La difficulté dans ce dossier est aussi au niveau de la demande. En effet, à l’instar des Français, les Belges sont de grands consommateurs de foie gras. Il est donc indispensable de les sensibiliser largement sinon nous ne ferons que fermer les yeux sur l’origine des produits consommés.

Cela nous amène à nous questionner plus largement sur notre consommation de produits d’origine animale. Comment les choisit-on ? Quels critères de bien-être animal ont été appliqués ? Le foie gras est-il indispensable à notre régime alimentaire ? N’existe-t-il pas des alternatives plus respectueuses du vivant ?

Nous soutenons en Wallonie un projet très intéressant à cet égard. Il s’agit du score « C’durable », élaboré par des associations agricoles et un collectif d’associations environnementales. Ce score repose sur un diagnostic de durabilité de la ferme et permet d’appréhender l’impact de l’exploitation sur la biodiversité, le bien-être animal et le climat. L’objectif de ce projet est de faire évoluer les modes de consommation et de production vers des filières locales plus durables en permettant aux consommateurs de faire leurs achats en tout connaissance de cause.

Propos recueillis par Léa Le Faucheur

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