Comment les programmes scolaires français abordent-ils les questions relatives aux animaux ? Cet article dresse un panorama des enseignements sur les animaux à l’école primaire, au collège et au lycée.
Les animaux occupent une place réduite dans les programmes scolaires français : ils sont étudiés essentiellement sous les prismes de l’espèce et de la biodiversité, alors que leur sensibilité est reconnue par la loi depuis 2015. Quel est donc l’état des lieux, en France, de la place de l’éthique animale dans les programmes scolaires ? Les programmes scolaires sont fixés cycle par cycle et définissent les compétences et connaissances à acquérir. Cet article propose un premier panorama, tous cycles et filières confondus, de l’enseignement de l’éthique animale, avant d’explorer l’importance des maisons d’édition de manuels scolaires et des enseignants.
La situation dans la loi
Certains articles de lois abordent explicitement l’enseignement de l’éthique animale à l’école. La loi n° 2021-1539 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes indique à l’article 25 que la « sensibilisation à l’éthique animale concernant les animaux de compagnie » fait partie du programme du service national universel. Ce même article instaure, à l’article 312-15 du code de l’éducation, entré en vigueur en décembre 2021, « le respect des animaux de compagnie » qui doit être intégré aux programmes d’enseignement moral et civique (EMC) et ce, au primaire, au collège et au lycée.
Programmes du cycle 2 (CP, CE1 et CE2)
Alors que l’un des attendus de fin de maternelle (cycle 1) est le respect du vivant, les programmes scolaires d’EMC au cycle 2 n’abordent ni ce sujet ni celui de l’éthique animale. L’éthique animale pourrait être abordée indirectement dans le cadre de la « culture de la sensibilité » en abordant la lutte contre la maltraitance animale, ainsi que dans la sensibilisation aux biens communs, qui inclue la biodiversité. L’étude des animaux apparaît davantage dans la matière Questionner le monde, qui comporte notamment comme objectif pédagogique l’adoption d’un « comportement éthique et responsable ». C’est également dans le cadre de cette matière que les animaux sont identifiés, observés, et distingués des végétaux, par exemple en abordant les chaînes de prédation.
De nouveaux programmes d’EMC ont été publiés en juin 2024 à la suite d’une phase de consultation à laquelle la LFDA a participé. Dans leur version finale, ils proposent aux enseignants d’aborder « la question du respect dû aux animaux de compagnie » en classe de CP, dans le cadre de la compétence « Les règles collectives et l’autonomie ».
Programmes du cycle 3 (CM1, CM2, 6e)
Cette étude générale se poursuit au cycle 3 avec observations et expérimentations. Progressivement, avec la matière Sciences et Technologies, et en particulier le thème « La Planète Terre : les êtres vivants dans leur environnement », l’animal fusionne avec le reste de la nature et la notion d’écosystèmes. Les concepts de biodiversité et de développement durable sont au cœur des programmes d’EMC. L’un des objets d’étude est, par exemple, « [l]a responsabilité de l’individu et du citoyen dans le domaine de la santé, du changement climatique, de la biodiversité et du développement durable » ; l’éthique animale n’est pas explicitement abordée.
Programmes du cycle 4 (5e, 4e, 3e)
Les programme de Physique-Chimie et de Sciences et Vie de la Terre (SVT) sont parmi les plus prometteurs du cycle 4. Un des objectifs est notamment la préparation d’une « citoyenneté responsable » en lien avec l’environnement, ainsi que la distanciation d’une « vision anthropocentrée du monde et [des] croyances [des jeunes] ». C’est également pendant le cycle 4 que commence la classification des espèces et l’étude de l’évolution et de la génétique. La SVT inclue par ailleurs une réflexion autour des « conséquences de certains comportements et modes de vie », notamment autour de la disparition d’espèces animales. L’EMC n’est enseigné que 30 minutes par semaine et les animaux ne sont pas spécialement au programme. L’étude de lois éthiques, morales, et sociétales fait néanmoins partie du programme et l’éthique animale pourrait y être étudiée.
Lycée
Au lycée, la sentience animale n’est pas au programme des matières scientifiques et les animaux sont toujours étudiées sous le prisme de l’espèce, bien que le développement d’un « comportement éthique et responsable » concernant la « préservation des ressources de la planète », dont la biodiversité, fasse partie des objectifs en SVT. L’enseignement scientifique de première doit également proposer des réflexions autour de la bioéthique et de la responsabilité environnementale. En revanche, on retrouve de l’éthique animale dans les humanités et sciences sociales. En langue vivante, par exemple, l’axe 7 intitulé « sauver la planète et penser les futurs possibles » interroge sur la « cause animale » et se centre autour de pratiques comme la chasse et la corrida.[3] L’EMC explore également une « réflexion nouvelle sur la cause animale » autour de l’axe Recompositions du lien social. En première, le respect des animaux et la cruauté des hommes fut le sujet du bac de français série scientifique (S) et économique et social (ES) en 2018. En outre, la spécialité Humanités, littérature et philosophie comporte le thème « Les représentations du monde : l’Homme et l’animal ». Ce thème inclue des réflexions « philosophiques, éthiques et pratiques » sur la relation entre l’Homme et l’animal : « Les questions de l’intelligence animale et de la communication entre les animaux sont abondamment débattues ». Par ailleurs, cette spécialité est la seule à aborder explicitement les droits de animaux dans le contexte des « questions vives d’aujourd’hui ». Dans les filières technologiques, c’est par exemple dans la matière Droit et économie, en première sciences et technologies du management et de la gestion (STMG), qu’est abordée la question de la personne juridique, qui permet de discuter du statut de l’animal. C’est également le cas de la spécialité en Terminale générale Droit et grands enjeux contemporains.
L’avis du Conseil supérieur des programmes (CSP)
Dans sa Note sur le renforcement des enseignements relatifs au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable dans les programmes de la scolarité obligatoire parue en décembre 2019, le CSP critique l’approche traditionnelle des programmes consistant à englober animaux et environnement. Il indique que « l’étude de la biodiversité ne peut être réduite à la description de la faune et de la flore ». Le CSP affirme que « les questions liées au climat, à l’environnement et à la biodiversité […] ouvrent sur des questions éthiques, anthropologiques et existentielles : l’Homme et la nature ; l’Homme et l’animal ; le sens et les limites de la domination humaine, etc. ». Cette note soulève donc l’espoir d’une évolution positive en faveur de l’éthique animale lors de la prochaine refonte des programmes scolaires.
L’interprétation des programmes et l’importance des manuels scolaires et des enseignants
Au-delà des programmes scolaires, ce sont les manuels scolaires et les maisons d’édition qui jouent un rôle clef dans l’enseignement de l’éthique animale dans les écoles, tous cycles confondus. En effet, ce sont les manuels qui interprètent les programmes et peuvent décider de mettre l’accent sur un aspect particulier du curriculum. Les éditeurs sont indépendants. Leurs approches d’un même sujet sont parfois très différentes. Dans les manuels scolaires, les thèmes du développement durable et de l’environnement au sens large, dont la biodiversité, sont les plus répandus, à l’image des programmes. Les animaux sont vus surtout via des sujets comme la classification, la reproduction, ou la génétique. Une maison d’édition en particulier, Nathan, tire toutefois son épingle du jeu. Dès la maternelle, la notion de bientraitance animale est abordée. En outre, dans le cadre de la matière Sciences et Technologies du cycle 3, Nathan propose une comparaison entre l’élevage de poules pondeuses en cages et en plein-air et utilise cette comparaison pour aborder le bien-être animal et ses cinq libertés. Les exemples proposés jouent aussi un rôle important dans la sensibilisation des élèves à l’éthique animale. Ainsi, Hachette utilise un article de presse sur la fermeture d’un abattoir pour cruauté animale dans le cadre de la thématique « Reconnaître les médias et leurs contenus » en EMC, cycle 3. Des sujets n’ayant en apparence pas trait à l’éthique animale peuvent donc tout de même sensibiliser et éduquer les élèves si le contenu choisi par l’éditeur s’y prête. En revanche, les manuels qui soutiennent des stéréotypes sur certaines espèces comme le loup, montrent des photos d’animaux disséqués, ou abordent l’élevage sans parler de bien-être animal, ne permettent pas l’enseignement du respect des animaux et de l’éthique animale.
Par ailleurs, les professeurs jouent un rôle crucial. Par leur liberté pédagogique, les enseignants de tous les cycles ont la possibilité d’aborder les capacités cognitives des animaux, leurs émotions et de parler d’éthique animale en classe. Toutefois, cette liberté pédagogique est limitée par la rareté de formations adaptées : les professeurs doivent avoir les connaissances requises pour transmettre ces savoirs aux élèves. Au-delà de l’inclusion de l’éthique animale dans les programmes scolaires, la formation des enseignants, l’adaptation des manuels scolaires aux nouveaux enjeux et la mise à disposition d’outils pédagogiques sont divers moyens indispensables et complémentaires d’assurer la transmission aux élèves de connaissances sur les animaux et le respect que nous leur devons.
Conclusion
L’éthique animale occupe donc une place souvent mineure dans les programmes scolaires en France. Les animaux sont intégrés aux notions générales de « biodiversité » ou de « monde vivant », tandis que la loi relative à l’enseignement de l’éthique animale ne met l’accent que sur les animaux de compagnie. La sentience animale n’est pas mentionnée dans les programmes de sciences naturelles, mais d’autres matières peuvent permettre de parler d’éthique animale. Ce sont les humanités et les sciences sociales, notamment la littérature et le droit, qui permettent une réflexion sur ce thème au lycée. Certains éditeurs de manuels permettent également la sensibilisation des élèves via des sujets et exemples concrets, et le CSP soutient l’enseignement de l’éthique animale. Il y a donc un décalage entre les avancées scientifiques, légales et éthiques concernant les animaux et la place qui leur sont accordées dans les programmes et manuels scolaires français.
Jordane Liebeaux
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