Le 7 décembre 2023, en même temps qu’elle annonçait un texte législatif inattendu sur les chiens et les chats (voir article précédent), la Commission européenne publiait un règlement sur la protection des animaux pendant le transport, lui très attendu. Le règlement proposé améliorerait certaines dispositions du règlement existant 1/2005, mais il manque globalement d’ambition.
Feu vert aux exportations en dehors de l’Union
Une des revendications principales des défenseurs des animaux, à commencer par la LFDA, est l’interdiction de l’exportation des animaux en dehors de l’Union européenne. Les raisons sont simples : limiter le temps de transport des animaux et ne pas les envoyer dans des pays où les autorités européennes ne peuvent pas contrôler la protection des animaux lors du transport et où les conditions d’engraissement et d’abattage peuvent être pires qu’en Europe. Cette mesure cruciale n’a pas été retenue par la Commission européenne, qui aurait pourtant pu l’envisager moyennant un délai de transition.
D’ailleurs, le remplacement de l’exportation d’animaux par celui de viande et de carcasses serait bénéfique non seulement pour les animaux, mais également pour le climat, et serait moins coûteux économiquement. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par le think tank Human Behavior Change for Life, pour le compte de l’ONG Eurogroup for Animals. Le think tank a comparé l’exportation de moutons du Portugal destinés à être abattus en Israël, afin de remplir les conditions strictes d’abattage propres au culte juif (le rituel kasher implique notamment que l’animal soit égorgé sans être préalablement étourdi, par une personne désignée compétente pour le faire), avec le transport de viande et de carcasses sur le même trajet. Il a évalué que, rapporté au kilo, le transport d’animaux vivants est 2,5 fois plus coûteux économiquement que le transport de carcasses. En équivalent CO2 par kilo, les émissions de gaz à effet de serre sont près de six fois plus importantes pour le transport d’animaux vivants que pour le transport de carcasses. D’autres trajets et d’autres espèces mériteraient d’être étudiés.
Des durées de trajet toujours trop longues
La proposition de règlement fixe une limite de transport à 9 heures pour les gros mammifères d’élevage, mais seulement lorsqu’ils sont transportés pour être abattus. Pour les autres finalités, comme l’engraissement et la reproduction, le transport des animaux peut durer 21 heures, alors même que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) recommande de limiter la durée de transport au minimum. De plus, des dérogations existent et des contournements sont possibles, car aucune définition de « voyage vers l’abattoir » n’est donnée. Plus grave encore, le transport maritime n’est tout simplement pas inclus dans le calcul de la durée de transport. Les animaux pourraient donc toujours être transportés par bateau pendant des jours, des semaines, voire des mois.
Pour les animaux vulnérables, comme les femelles gestantes et les jeunes non sevrés, le transport reste autorisé (sauf pour les femelles gestantes ayant dépassé 80 % de leur période de gestation et pour les veaux, ils ne peuvent pas l’être avant cinq semaines – ce qui est déjà une amélioration par rapport à la pratique actuelle qui consiste à déplacer les veaux en atelier d’engraissement à l’âge de trois semaines environ. En revanche, il ne doit pas dépasser 8 heures, hors dérogation permettant d’atteindre 19 heures. Le transport des veaux, agneaux, chevreaux et porcelets non sevrés posent des difficultés pour leur fournir de la nourriture approprié, en l’occurrence du lait. La Commission européenne semble ne pas en avoir tenu compte.
Lire aussi: « Élevage bovin : Lait, fromages, bavettes… comprendre les filières et les enjeux de bien-être animal derrière les produits », n° 119
Des failles sur les conditions de transport
Dans le règlement existant, la température à l’intérieur des moyens de transport ne doit pas dépasser une fourchette de 5° à 30° C, moyennant une tolérance de plus ou moins 5° C. Au lieu de réduire cette fourchette, la nouvelle proposition définit des conditions diverses en fonction des températures extérieures, par exemple l’obligation de rouler de nuit (> 30° C) et de baisser la densité de chargement quand il fait très chaud (> 35° C).
En ce qui concerne l’aménagement des moyens de transport, le règlement proposé par la Commission n’y répond pas correctement. En effet, il ne propose pas d’exigences de densité et d’espaces disponibles par espèce ou catégorie d’animaux, mais laisse la possibilité à la Commission d’adopter des actes délégués pour préciser ces points. Pour leur confort, il est nécessaire que les animaux aient suffisamment d’espace pour se tenir debout normalement, se coucher et se retourner.
Besoin de clarifier l’inaptitude des animaux au transport
L’un des points faibles du règlement 1/2005 actuellement en vigueur est son manque de clarté quant à la définition de l’aptitude ou l’inaptitude des animaux à être transportés. En effet, de nombreuses enquêtes de la Commission, mais aussi d’ONG et des études scientifiques, ont révélé le transport d’animaux qui n’auraient pas y être soumis du fait de leur trop mauvais état (Bachelard, 2022). L’EFSA a répertorié des indicateurs permettant de juger de l’aptitude ou non d’un animal au transport, par exemple : boiterie grave, plaie ouverte, patte ou aile cassée, pneumonie, etc. La proposition de règlement ne contient malheureusement pas d’indicateurs d’inaptitude précis par espèce.
Les spécificités du transport maritime et du transport aérien
Le transport maritime ne s’arrêterait pas avec l’interdiction d’exportation des animaux hors de l’Union, puisque des transports maritimes intra-UE sont possibles (depuis l’Irlande par exemple). Il est important de prévoir des dispositions spéciales au transport par bateau. De plus, le transport aérien reste également possible, par exemple pour transporter des primates destinés à l’expérimentation animale. Or, le projet de règlement ne contient aucune disposition le concernant.
Un texte globalement insuffisant
Ce projet de texte était largement attendu par les ONG de protection animale, car il viendrait remplacer un règlement vieux de près de vingt ans. Malheureusement, il manque pour l’instant d’ambition afin de limiter vraiment la souffrance des animaux pendant le transport, sur le principe du remplacement (par le transport de carcasses et de matériels génétiques), de réduction (moins d’animaux transportés et sur des plus courtes distances) et de raffinement (des animaux transportés dans des meilleures conditions).
Pour terminer néanmoins sur une note positive, il convient de noter que la proposition de règlement protègerait mieux les poissons pendant le transport. Jusqu’à présent, le règlement 1/2005 n’édicte pas de règles spécifiques à leur sujet et la plupart des dispositions ne s’appliquent pas aux animaux aquatiques. Le projet de texte change la donne, en introduisant quelques normes spécifiques et en laissant la possibilité à la Commission européenne de prendre des actes délégués pour préciser davantage les dispositions protégeant les poissons.
Nikita Bachelard