Utiliser l’image des animaux, une autre forme d’exploitation

Connaissez-vous la fameuse vache Milka ? Sa première apparition date de 1901, vingt ans avant la Vache qui rit, suivies par l’ours polaire symbolisant la fraicheur du Coca-cola (1922). Les animaux sont omniprésents dans notre culture populaire. Si, comme ces derniers, certains sont fictifs, d’autres sont bien réels, et contraints à prendre la pose derrière nos caméras, performer, obéir. Animaux de compagnie, d’élevage, « chassables », exotiques, protégés… il n’existe apparemment aucune limite dans le choix des espèces. Comment leur image est-elle utilisée ? À quelles fins ? Tour d’horizon.

Publicités: les animaux au service de notre divertissement… et du marketing

Certains animaux apparaissent sur les emballages alimentaires dans le seul but de faire valoir la qualité d’un produit ou la supposée bonne condition de vie que leur offre l’industrie qui les exploite. Par exemple, la vache Milka fait gage de promesse que le chocolat est essentiellement constitué de lait et de cacao, comme le nom de la marque l’indique. Un autre exemple répandu est l’illustration des boites d’œufs avec des images de poules en pleine santé, gambadant sous un beau soleil et jouissant d’un grand espace. Dans les publicités, certains animaux sont mis en scène dans un cadre bucolique, enthousiastes… à l’idée d’être consommés (une stratégie marketing décrite et dénommée sous le nom de suicide food par le blogueur végane américain Ben Grossblatt). Bien qu’absurdes, ces mises en scène participent à soutenir la consommation en donnant une image idéalisée de la réalité de l’élevage.

Ainsi, la grande majorité des mascottes sont des animaux. Le choix de l’espèce est fait selon les attributs qu’on lui porte dans l’imaginaire populaire : les mascottes des céréales « pour enfants » (Coco Pops, Miel Pops, Frosties…) sont des animaux rendus amusants par leur personnalité. La marque Feu Vert a choisi un chat blanc aux yeux verts qui bénéficie d’un capital sympathie fort élevé. L’ourson des adoucissants Cajoline fait référence à la douceur du linge après l’utilisation de l’adoucissant. L’animal est utilisé pour détourner le regard du consommateur du produit, et l’attirer vers du storytelling.

Pour vendre des produits, s’appuyer sur une analyse rationnelle sur le prix et la qualité des produits de la part des consommateurs ne suffit pas. L’utilisation d’animaux dans les publicités permet de faire passer des émotions aux consommateurs, parfois fortes. La marque Orangina s’est saisie de ce levier : pour reconquérir des parts de marché, l’entreprise a cherché à capter l’attention d’un public plus large avec sa campagne de publicité « naturellement pulpeuse ». Présentant des biches, zèbres, panthères, etc. anthropomorphisés et hypersexualisés (robes courtes moulantes, talons hauts…), elle tente d’attirer autant les enfants, adolescents, que les adultes. Leur intérêt aura été attisé par ces couleurs vives et ces animaux qui dansent tout en suscitant la provocation. Chez Orangina comme chez de nombreuses autres marques, les animaux sont de plus en plus humanisés et imitent nos comportements, ce qui permet une identification. Une manière pour la marque d’éviter les critiques sur le sexisme sous-jacent de cette publicité.

Photographie animalière, fermes à selfies: s’approprier l’image d’animaux pour faire le buzz

Le milieu de la photographie animalière regroupe un grand nombre de passionnés de la nature et des animaux. Cependant, obtenir les meilleurs clichés demande souvent une patience exemplaire : pour immortaliser parfaitement le plongeon d’un martin-pêcheur par un cliché qui a fait le tour d’internet en 2015, l’Écossais Alan McFadyen s’y est repris des centaines de milliers de fois pendant 4200 heures. À l’ère des réseaux sociaux, où les photographes animaliers sont soumis aux règles des algorithmes et à une concurrence grandissante, nombre sont tentés de recourir à des supercheries pour pouvoir publier régulièrement du contenu. Affûts pour appâter, dressage d’animaux sauvages (fermes de lynx en République tchèque, à pumas aux États-Unis), allant jusqu’à utiliser des animaux empaillés ou congelés pour leur donner la position qui fera le buzz : la liste des pratiques de triche est longue, comme le révèle le reportage édifiant du média Reporterre du 18 novembre 2023 – voir également la tribune publiée le 11 mai 2022 dans Le Monde « Pour une photographie animalière éthique et responsable ».

Exposés dans un salon ou un festival de photos animalières, ces animaux transformés en productions culturelles forment une collection prenant une valeur marchande. « Gagner un prix à un festival, ou publier une photo dans Géo ou National Geographic fait la notoriété d’un photographe et stimule les ventes de ses photos » (Marc Girard, 2021). Les animaux victimes de cette course au succès, eux, sont exposés à des privations de liberté, un risque accru de transmission de maladies, une accoutumance aux humains, ou tout simplement…  à la mort.

Une autre pratique controversée est celle de la visite d’influenceurs dans les « fermes à selfies ». Le Buquaish private zoo  de Dubaï ne s’en cache pas : il propose à ses visiteurs « une aventure qui vous permettra une rencontre avec des tigres de tout âge, de les approcher mais aussi de les toucher et de jouer avec eux ». Les selfies avec de grands fauves suscitent le « like », le partage et donc augmentent la popularité sur les réseaux. Et cela fonctionne encore plus quand il s’agit d’animaux dits « sauvés », ce qui favorise un tourisme misérabiliste que l’image exacerbe. Le zoo se vante de recueillir des animaux qui ont été achetés petits par des particuliers puis abandonnés. En effet, on observe un vrai phénomène de mode des félins de compagnie. De nombreuses célébrités s’affichent fièrement avec ces fauves. Cela entretient également une vente ou une location d’espèces sauvages notamment via les réseaux sociaux. Leur acquisition irréfléchie se solde ensuite par des abandons. Cela entretient le business autour de ces animaux.

Cinéma: derrière les projecteurs, des animaux stars « sur mesure »

Les animaux qui deviennent des stars de cinéma n’ont que la gloire que l’espèce humaine leur attribue contre une vie de captivité au service de notre bon divertissement. Un cas très célèbre est celui de l’un des dauphins dressés par Ric O’Barry pour la série télé Flipper dans les années 1960. L’animal a tellement souffert de ces tournages, notamment psychologiquement, qu’il est entré en dépression. Cela l’a mené à ce qui a été interprété comme un suicide dans son bassin, dans les bras de son dresseur en 1970.

Des cas de maltraitance animale derrière les projecteurs, volontaires ou dus à de la négligence, sont régulièrement mis en exergue par les associations. Un des cas concerne la polémique autour du film Le Hobbit un voyage inattendu, quand en 2015 l’association PETA a accusé les réalisateurs d’avoir tué involontairement (hors lieu de tournage) 27 animaux (chèvres, moutons, poules…). Pourtant, le film avait reçu la mention American Humane Association attestant qu’aucun animal n’avait été maltraité durant le tournage.

Pour parvenir à tourner une scène inscrite au scénario, il faut tourner un grand nombre de plans avec les animaux. C’est quasi impossible à réaliser dans la nature. Alors, même pour les scènes de grande vie sauvage, la production fait appel à des dresseurs qui entrainent des animaux sauvages captifs, parfois sur fond vert. Le dressage des animaux pour l’écran s’est professionnalisé : il existe en France des structures spécialisées. Sur son site, l’entreprise Animal Contact (Loiret) indique par exemple que ses animaux sont « mis à disposition pour tous vos projets », des animaux « prêts à relever les défis et offrir des performances exceptionnelles ». Tout est dit de leur exploitation.

Pour préparer ces animaux, les professionnels les séparent très jeunes de leur mère pour réaliser ce qu’on appelle une « imprégnation sociale ». Lors de la période critique qui suit la naissance, l’animal sauvage est élevé par des humains pour qu’il s’identifie à notre espèce et soit rendu plus docile, bien que de nombreuses précautions restent à prendre. Surtout, ce processus compromet fortement le devenir de l’animal. S’il appartient à une espèce sauvage protégée, il restera captif jusqu’à la fin de sa vie. Si l’animal a été capturé en milieu naturel ou recueilli à l’état sauvage (ce qui pose d’autres problèmes éthiques), il pourra éventuellement servir à un élevage. Sa descendance sera alors destinée aux futurs tournages, et l’imprégnation se fera dès la naissance. Il s’agit d’un circuit fermé, lucratif pour les propriétaires. Les animaux sauvages considérés comme du gibier ou susceptibles d’occasionner des dégâts, eux aussi, mourront en captivité… à moins qu’une préfecture autorise leur abattage (voir pour complément le rapport de C. Lesaine (2018) sur « La protection des animaux sur les tournages pour des productions cinématographiques et publicitaires en France » – VetAgroSup [PDF]).

Dans certaines situations, enfin, les animaux domestiques dits « de compagnie » qui ont été acquis par adoption (le cas d’un des cockers pour le rôle de « Boule » par exemple) seront proposés à l’adoption dans une famille d’accueil (1). Le choix des races par les réalisateurs n’est pas anodin, puisque des chiens devenus populaires peuvent entrainer des effets d’achat ou d’adoption de masse. Côté canin, les Beagles ont par exemple eu la côte depuis Snoopy. Transformers a contribué à populariser les Chihuahuas. Les Carlins sont devenus populaires avec Men in Black… Une mode d’autant plus problématique que, concernant ces derniers, le cinéma valorise des chiens brachycéphales alors que des pays s’engagent à interdire la reproduction de ces races hypertypées : la Norvège a interdit l’élevage du bouledogue anglais et du Cavalier King Charles, et les Pays-Bas ont pris également des mesures fortes contre la possession de chats et chiens hypertypés.

Des perspectives prometteuses dans l’image de synthèse

De plus en plus d’entreprises se tournent vers le virtuel. Malgré l’enjeu évident de bien-être animal qui se pose lors des tournages, la condition animale ne constitue pas toujours la raison principale de ces évolutions. Passer à des images de synthèse permet en effet de réduire de beaucoup le coût. « Il faut parfois trente prises pour qu’un chat effectue la bonne action », confie à Capital Hervé Riffault, directeur de création chez Publicis. Feu vert, que nous évoquions plus haut, est ainsi passé au chat numérique, toujours docile. Cela a permis à la marque de réaliser 25 % d’économie sur le tournage d’un spot. « Monter des images virtuelles revient bien moins cher que des clichés de photographes renommés comme ceux de l’agence Seb et Enzo », assure Julien Allisy, de Virgin Mobile. D’une conception graphique à une prise de vue avec animaux, les tarifs peuvent quintupler.

La publicité se met donc au virtuel : en témoigne la récente campagne de communication de Peugeot « les objets extraordinaires ».  En novembre 2023, on pouvait rencontrer sur plus de 2 600 points d’affichage dans 450 villes françaises… un lion, plus vrai que nature. Le choix de ce lion de synthèse a été reconnu et félicité par l’association PAZ.

Côté cinéma, le premier animal à avoir été créé en images de synthèse (3D) était une chouette. Elle est apparue en 1986 dans le film Labyrinth de Jim Henson.  Depuis, de très récents films comme Le seul et unique Ivan (2020), L’appel de la forêt (2020), Le livre de la jungle (2019) ou encore Le Roi lion (2019) ont également contribué à ce tournant décisif. Les critiques pour le film le Roi lion, entièrement réalisé en images de synthèse, ont été plus qu’élogieuses à sa sortie : « une expérience visuelle époustouflante » (TF1 info) ; « des effets visuels somptueux » (France info culture) ; « Les mouvements des animaux sont aussi authentiques que leurs expressions de visages sont attendrissantes » (Le Figaro).

Conclusion

Les animaux sauvages vus sur les réseaux comme dans certains concours de photographie qui nous fascinent sont pensés libres. Pourtant, de nombreuses pratiques peu éthiques sont à l’origine de ces clichés d’exception. Les animaux destinés aux tournages eux sont souvent nés, élevés et préparés pour répondre à la commande spécifique d’un client ou d’un producteur. Ils sont mis à notre service, utilisés à de simples fins de divertissement. Des cas célèbres d’animaux devenus populaires ont connu une fin tragique et médiatisée, comme le dauphin utilisé pour incarner Flipper. Une grande partie du reste souffre en silence.

La production virtuelle constitue une alternative qui répond aux difficultés rencontrées par le travail avec des animaux. Elle favorise une importante transition dans le milieu de l’audiovisuel, et peut être saisie par le cinéma comme la publicité ou les émissions télévisuelles.

Camille Assié


1. Pour plus de détails sur le devenir des animaux, voir Lesaine C., (2018), La protection des animaux sur les tournages pour des productions cinématographiques et publicitaires en France, VetAgroSup, 49p., disponible en ligne.

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