À défaut de statuer sur le sort des animaux d’élevage, comme elle s’y était pourtant engagée pour la fin 2023, la Commission européenne a publié une proposition de règlement visant à protéger le bien-être des chiens et des chats et s’assurer de leur traçabilité au sein de l’Union européenne.
Sur la base d’un rapport édifiant sur le commerce illégal de chiens et de chats qui circulent et sont détenus au sein de l’Union, la Commission a décrété qu’un cadre communautaire s’imposait. En effet, pour l’instant, il n’existe pas de normes au niveau européen pour ces animaux. Le texte pose des bonnes bases pour améliorer le bien-être des chiens et de chats commercialisés dans l’Union. Cette proposition doit encore être débattue avant d’être adoptée certainement l’année prochaine.
Les principaux enjeux de bien-être pour les chats et les chiens
Conditions d’hébergements
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA – European Food Safety Agency) a été missionnée par la Commission européenne pour émettre des recommandations relatives au bien-être des chats et des chiens élevés ou détenus en élevages, refuges ou animaleries. D’abord, l’EFSA recommande de ne pas garder les chiens et les chats dans des boxes, des cages ou des caisses de transport de manière permanente. Cela peut sembler évident, mais une telle pratique existe. La proposition de règlement de la Commission l’interdit, ainsi que la détention des animaux exclusivement en intérieur.
L’agence préconise aussi, pour les chiens reproducteurs, d’avoir accès à des aires extérieures d’exercice et de sociabilisation, ce que prévoit le règlement. À l’intérieur, les chats devraient être hébergés dans des espaces où la température est comprise entre 15° C et 26° C. Pour les chiens, les experts de la plateforme européenne sur le bien-être animal recommandaient une température comprise entre 10° C et 26° C, variable en fonction de la race du chien, mais l’EFSA n’a pas trouvé suffisamment de preuves pour appuyer cette recommandation. La Commission européenne l’a quand même reprise dans son texte.
L’EFSA recommande aussi une période quotidienne d’obscurité pour respecter le rythme circadien des chiens et des chats. La Commission a fixé cette période à huit heures. L’EFSA estime par contre qu’il n’y a pas suffisamment de données pour conclure à un besoin quotidien de lumière naturelle. Cette disposition existant dans le droit français a été reprise par la Commission.
Conditions de reproduction
Parmi les recommandations de l’EFSA sur la santé des animaux utilisés pour la reproduction, la Commission a adopté celle relative à un avis vétérinaire pour continuer la reproduction pour les chattes de plus de six ans et les chiennes de plus de huit ans. L’agence recommande aussi que les animaux aient atteint leur maturité squelettique avant d’être reproduit. Pour les races de chiens de petite taille, l’âge de 18 mois avant la première portée est proposé.
La Commission propose, dans son projet de règlement, de ne pas séparer les petits de leur mère de façon permanente avant l’âge de huit semaines pour les chiens et douze semaines pour les chats. Cela entrainerait une évolution pour la France, qui autorise actuellement la cession aussi bien des chiots que des chatons, à huit semaines.
La proposition de règlement prévoit aussi une interdiction d’euthanasie et d’abandon pour les chiennes et les chattes qui servent à la reproduction. Ces pratiques sont malheureusement une réalité. Les éleveurs auront le choix entre les garder et subvenir à leur besoin, ou bien les céder.
Mutilations et caractéristiques extrêmes
Certains éleveurs ont recours à des pratiques mutilantes source de souffrance pour les animaux. Certaines sont effectuées pour le confort des propriétaires : le dégriffage chez le chat ou l’ablation des cordes vocales chez le chien. D’autres pratiques mutilantes sont réalisées à des fins esthétiques : la coupe d’une partie des oreilles et de la queue. L’EFSA préconise leur interdiction, ce que prévoit le projet de règlement.
Certaines pratiques de sélection génétique consistent à accentuer à l’extrême des caractéristiques typiques d’une race, généralement pour des raisons esthétiques. Il peut s’agir d’un nez totalement enfoncé pour les races brachycéphales (par exemple, le chien bouledogue et le chat persan), d’un arrière-train très affaissé chez le berger allemand, ou encore de nombreux plis de peau chez le shar-pei. Ces hypertypes, qui ne représentent pas l’animal standard des races, sont souvent synonymes de problèmes de santé pour les animaux : difficultés respiratoires et cardiaques, difficultés locomotrices, problèmes cutanés… Cela peut induire un mal-être chez l’animal et des dépenses accrues en frais de santé pour le propriétaire.
La proposition de règlement de la Commission européenne exige que « les stratégies d’élevage n’entraînent pas de génotypes et de phénotypes ayant des effets néfastes sur le bien-être des chiens et des chats ou de leurs descendants » et interdit l’accouplement des animaux entre parents et progéniture et grands-parents et progéniture. Toutefois, la Commission a décidé de ne pas interdire d’emblée l’élevage de races de chiens et de chats brachycéphales, tant qu’il réduit au minimum les conséquences négatives pour les animaux. Nous soutenons auprès des autorités publiques françaises et européennes qu’une telle interdiction est nécessaire pour mettre un coup d’arrêt à la tendance des hypertypes.
La nécessité de lutter contre le fléau du trafic
D’après le rapport de la Commission européenne sur le trafic de chiens et chats, il n’y aurait pas moins de 72,7 millions de chiens et 83,6 millions de chats dans l’UE. La valeur du commerce de chiens et de chats sur le marché européen s’élèverait à 1,3 milliard d’euros. Le nombre d’éleveurs commerciaux de chiens est estimé entre 24 000 et 30 000 et ceux de chats, entre 8 000 et 10 000.
Des animaux souffrants
Les autorités européennes et gouvernementales ont mené une action coordonnée en 2022 et 2023 pour évaluer la traçabilité des chiens et des chats et les pratiques commerciales sur le territoire de l’Union. Elle a révélé des pratiques d’élevage non conformes aux réglementations nationales et un commerce illégal, lesquels ont des répercussions sur le bien-être des animaux.
Certains États membres ont fait des signalements de chiots malades, de chiots qui ont dû être euthanasiés, de chiens porteurs de la Brucellose canine (une zoonose), d’animaux stressés, d’animaux souffrant de problèmes de santé tels que la diarrhée, la déshydratation, des infections respiratoires… Certains élevages dans l’UE élèvent des chiens et des chats dans des mauvaises conditions, épuisent les femelles avec des nombreuses portées (les fameuses usines à chiots), vendent les chiots et chatons non sevrés et mal sociabilisés. Ces conditions d’élevage ne sont pas sans conséquences sur la vie de l’animal chez son futur propriétaire, qui peut avoir à gérer des animaux souffrants ou avec des troubles du comportements, conduisant parfois à l’abandon et à l’euthanasie.
Lire aussi: « Pour l’interdiction des animaleries, retour sur la Loi Lucy et ses conséquences », revue n° 106
Des règlementations non uniformes
Par ailleurs, les refuges sont très souvent saturés, aussi bien en France que dans les autres États membres de l’Union. Cependant, les réglementations nationales qui les concernent varient et certaines sont mieux dotées que d’autres. Ainsi, des refuges de l’est de l’UE hébergent des animaux dans des conditions déplorables. Les différences de réglementations entre les États membres de l’Union concernent aussi les élevages et les animaleries. Cela entraine une concurrence déloyale entre élevages européens en fonction du lieu où ils officient. C’est également vrai par rapport aux éleveurs opérant dans des pays tiers et important des chiots ou des chatons dans l’UE.
Des fraudes à la traçabilité
De cette action coordonnée ressort également des signalements de faux documents, comme des faux passeports pour animaux, des faux certificats zoosanitaires… Le trafic européen d’animaux concerne aussi bien des éleveurs sur le territoire européen, en premier lieu roumains, hongrois et polonais, qu’en dehors des frontières de l’UE, principalement de Russie, Biélorussie, Ukraine, Serbie et Turquie. Des soupçons de trafic de chiens par l’intermédiaire de refuges ou associations roumains ont également été notifiés. Ils feraient de la publicité en ligne pour la vente de chiens importés sans les autorisations requises.
D’ailleurs, l’offre de cession en ligne a le vent en poupe. La Commission estime que 60 % des ventes de chiens et de chats seraient réalisées en ligne. Or, elle note qu’un grand nombre des annonces publiées proposent à la vente des animaux issus d’éleveurs ou d’animaleries peu scrupuleux en termes de bien-être animal, soupçonnés d’être en situation illégale. La traçabilité de ces animaux est limitée par une absence d’harmonisation du système d’identification et d’enregistrement entre les États membres de l’Union.
Les solutions proposées par la Commission européenne
L’agrément des établissements
Dans son projet de règlement, la Commission européenne propose une obligation d’agrément pour tous les élevages de l’Union, à demander auprès des autorités compétentes de chaque État membre, afin de faciliter l’identification des établissements susceptibles de détenir et céder des chiens et des chats : élevages, animaleries, refuges.
L’identification obligatoire
La Commission propose également l’identification obligatoire des chiens et des chats par puce électronique avant leur mise sur le marché et leur cession. Cette mesure permettrait d’améliorer la traçabilité des animaux, en contrôlant leur identité et origine. C’est indispensable pour lutter contre le trafic d’animaux. Il y a cependant un bémol : la présente proposition de règlement ne s’appliquerait pas aux élevages amateurs, aux particuliers qui ont des portées (et sont donc aussi « éleveurs »), aux petites animaleries et aux petits refuges.
Des bases de données connectées entre elles
La Commission souhaite instaurer une « interopérabilité » entre les bases de données nationales de chaque État membre où sont enregistrés les chiens et les chats. En France, c’est l’I-CAD qui gère cette base de données. Il s’agirait de faire en sorte que toutes les bases de données puissent être liées les unes aux autres, pour un meilleur suivi des mouvements intra-européens des animaux.
Lutter contre la fraude en ligne
En ce qui concerne la cession en ligne d’animaux de compagnie, la Commission propose de se calquer sur l’obligation française de mentionner dans l’annonce les informations nécessaires à la traçabilité de l’animal, y compris le numéro d’identification. Elle doit développer un système permettant de vérifier l’authenticité des annonces sur les plateformes de cession en ligne préalablement à leur publication.
Des restrictions à l’importation
Enfin, l’ensemble des normes proposées pour améliorer le bien-être des animaux et leur traçabilité dans l’UE devront être respectés par les opérateurs des pays tiers s’ils veulent importer des animaux dans l’Union.
Des lacunes à combler
Cette proposition de règlement européen est bienvenue. Cependant, on peut regretter l’absence de certaines dispositions. En premier lieu, il est surprenant de vouloir lutter contre le trafic de chiens et de chats mais de ne pas se préoccuper des autres animaux, domestiques et sauvages, qui sont cédés et détenus comme animaux de compagnie et font également l’objet de trafic. Une liste des animaux de compagnie autorisés à être détenus par les particuliers et élevages d’agrément devrait être établie au niveau européen et ce règlement devrait tous les concerner.
Ensuite, il y a lieu de souhaiter que des dispositions existant déjà dans le droit français soient adoptées au niveau européen :
- l’interdiction de vente des chiens et des chats dans les animaleries ;
- la vente d’animaux en libre-service ;
- l’interdiction de l’expédition d’animaux vertébrés par voie postale ;
- l’interdiction de vente d’un animal de compagnie à un mineur en l’absence du consentement parental ;
- l’interdiction des techniques de vente promotionnelles, du genre « satisfait ou remboursés », pour la vente d’animaux.
Soumis à consultation du public, le projet de règlement doit ensuite être négocié entre le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen et la Commission, puis être adopté par les deux premières institutions. Cela pourrait prendre du temps, d’autant plus avec l’approche des élections européennes en juin. Il faudra être patient.
Nikita Bachelard