Interdire la corrida et les combats de coqs aux mineurs de moins de 16 ans : analyse du rejet par le Sénat

Le Sénat a rejeté un texte visant à interdire la corrida et les combats de coqs aux moins de 16 ans. Analyse des arguments des sénateurs.

Article mis à jour en décembre 2024 à la suite du vote du Sénat.

Le 6 novembre 2024, une proposition de loi visant à interdire aux mineurs de moins de 16 ans d’assister aux corridas et aux combats de coqs a été discutée en commission des lois du Sénat. Même si l’objectif de ce texte est de protéger les enfants en les éloignant de la violence de ces spectacles, il allait in fine dans le sens d’une meilleure protection des animaux.

Cette proposition de loi a été rejetée par le Sénat le 14 novembre, en raison de l’adoption de deux amendements de suppression concernant ses deux articles. La séance publique n’a pas été propice au sain débat d’opinions, mais on peut se faire une idée des arguments utilisés par les opposants en étudiant la position de la commission des lois du Sénat, qui n’avait pas non plus adopté le texte.

La corrida : une pratique dérogeant à l’interdiction de sévices sur animaux

Rappelons tout d’abord qu’en France, les corridas et les combats de coqs bénéficient de dérogations légales. Alors que les sévices sur les animaux sont interdits, les articles 521-1 et 522-1 du code pénal permettent ces pratiques dans des régions où elles sont considérées comme des traditions « ininterrompues ». Ainsi, la corrida est autorisée dans certaines communes du Sud, et les combats de coqs dans certaines communes du Nord et des départements d’Outre-mer.

Ces exceptions sont cependant limitées et encadrées. Par exemple, depuis 1964, la construction de nouvelles arènes pour les combats de coqs est interdite, avec pour objectif la disparition progressive de cette pratique. Dans le cas de la corrida, les types de spectacles sont régulés, seuls certains territoires pouvant organiser des corridas avec mise à mort. Ces dispositions visent à maintenir ces traditions sans les étendre.

Les jeunes peuvent également s’initier à la tauromachie dans des écoles dès l’âge de six ans. La proposition de loi vise à interdire l’accès des mineurs à ces événements pour les protéger de la violence envers les animaux, s’appuyant sur des études qui indiquent les effets potentiellement négatifs de telles scènes sur le développement des enfants.

De plus, la France a déjà reçu des recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU en 2016, qui a exprimé des préoccupations à ce sujet et a conseillé l’interdiction de l’accès des enfants aux corridas pour protéger leur bien-être.

Une interdiction jugée inapplicable et disproportionnée par la commission des lois

Premièrement, selon la commission, le texte était mal adapté aux combats de coqs, notamment dans les départements d’Outre-mer où cette pratique est associée aux paris et concerne principalement les adultes. Imposer des contrôles d’accès dans ces contextes serait difficilement applicable et pourrait être mal perçu par les populations locales, générant des tensions dans ces territoires.

Ensuite, pour les corridas, la proposition de loi présentait des incertitudes juridiques. En l’absence de mention contraire, l’interdiction aurait visé toutes les courses de taureaux, qu’il y ait mise à mort ou non. En outre, la proposition ne précisait pas si l’interdiction concernait uniquement les mineurs comme spectateurs ou également comme acteurs, ce qui posait des questions pour les écoles de tauromachie. Par exemple, même si la loi avait interdit aux mineurs de se produire, elle n’aurait pas pu empêcher l’inscription d’enfants dans les écoles de tauromachie. L’interdiction ne se serait appliquée qu’aux spectacles et non à l’apprentissage, car la loi pénale est d’interprétation stricte.

Des interrogations subsistaient également, selon la commission, quant à l’âge retenu. Les auditions menées par le rapporteur n’avaient pas permis de déterminer un âge idéal pour atteindre l’objectif de protection visé. Le seuil de 16 ans est lié à la fin de la scolarité obligatoire, s’alignant avec le système de classification des films, qui reconnaît également ce seuil. Toutefois, ce seuil a été critiqué comme étant insuffisant, tant pour des raisons juridiques — l’article 521-1 du code pénal considérant la présence de mineurs, sans distinction d’âge, comme une circonstance aggravante en cas de sévices sur animaux — que pour la nécessité de préserver le développement cognitif et psychologique des adolescents le plus longtemps possible.

La commission soulignait également que les sanctions prévues auraient été sévères : la présence d’un seul mineur dans l’arène aurait pu transformer un spectacle de corrida en un acte pénalement répréhensible, passible de lourdes peines pour les organisateurs, notamment des amendes et des peines de prison, ce qui aurait été disproportionné (elle ne prévoyait de régime de responsabilité ni pour le mineur ni pour ses parents) : « Ceci exposerait les personnes physiques à une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, et les personnes morales notamment à l’interdiction d’exercice de l’activité professionnelle […]. Pareilles sanctions, qui aboutiraient de fait à l’interdiction des spectacles de corrida si elles étaient mises en œuvre par le juge, ne paraissent pas conformes à l’échelle des peines, si l’on se place sur le terrain de la protection des mineurs. »

Pour la commission, les corridas et combats de coqs sont des traditions familiales et communautaires, transmises de génération en génération. Interdire aux parents d’emmener leurs enfants à ces événements reviendrait à limiter leur liberté d’éducation. C’est au niveau local, en concertation avec les acteurs locaux et les familles, que de telles décisions doivent se faire : « Les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées par la pratique de la corrida paraissent être le véhicule adapté tant pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines que pour faire évoluer, en fonction du contexte local et du souhait de chaque municipalité dont l’attachement aux corridas diffère, la présence et la participation des mineurs à ces spectacles. » Cela permettrait d’adapter la loi en fonction des spécificités locales et d’éviter une interdiction uniforme et nationale.

Au terme de son analyse, la commission des lois avait rejeté la proposition de loi, estimant que celle-ci posait trop de problèmes juridiques et pratiques pour être applicable en l’état. Le 14 novembre, le texte a été discuté en séance publique au Sénat, le rapport de la commission constituant simplement un avis non contraignant.

Des réponses à l’opinion de la commission

Les objections de la commission peuvent être rangées en deux catégories. Certaines sont purement juridiques, telles que le manque de précisions concernant les écoles taurines. Un amendement déposé le 12 novembre par Samantha Cazebonne et Arnaud Bazin, les parlementaires à l’initiative de la proposition de loi, répondait point par point à ces réticences. Pour les combats de coqs, par exemple, une entrée en vigueur différée est prévue afin de permettre aux organisateurs de s’adapter à cette nouvelle contrainte.

Concernant la corrida, l’amendement prenait soin de préciser que seuls les spectacles impliquant des taureaux et comportant la mise à mort étaient visés. Le texte proposait également de limiter cette interdiction d’accès aux mineurs de moins de 16 ans uniquement en tant que spectateurs, écartant ainsi toute ambiguïté sur leur participation en tant qu’acteurs de la corrida ou des combats de coqs. L’amendement prévoyait une amende analogue à celle applicable en cas de vente d’alcool aux mineurs, et incluait également la possibilité pour le prévenu de prouver qu’il a été trompé sur l’âge du mineur. Cela permettait d’éviter des sanctions injustes pour des erreurs honnêtes.

Le choix de fixer l’âge minimum à 16 ans repose sur des recommandations scientifiques et des avis de professionnels de l’enfance. Lors des auditions, deux psychiatres avaient souligné que l’accès à ces spectacles devait être limité aux jeunes d’au moins 16 à 18 ans pour éviter des répercussions psychologiques. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a également recommandé à la France d’interdire la tauromachie aux mineurs de moins de 18 ans. Toutefois, en fixant l’âge limite à 16 ans, ce texte restait cohérent avec les autres dispositions de protection des mineurs en droit français.

Les autres objections étaient, quant à elles, assez politiques, telles que l’insistance sur la liberté d’éducation des parents et le rôle que « doivent » jouer les règlements taurins, prescriptions qui sont par nature extrêmement partiales et pro-corrida. Le règlement taurin est élaboré et mis à jour par les municipalités taurines, en concertation avec les filières et des représentants de l’afición.

Cette position semble être assez représentative d’une vision qui veut contraindre le moins possible, en faisant confiance, assez naïvement, aux décisions « du terrain » (et en l’occurrence d’acteurs qui n’ont aucune raison d’être objectifs). Cela a pour conséquence d’oublier, d’une part, une myriade d’autres parties prenantes et, d’autre part, le fait que ce qui est juste, comme le principe d’épargner les enfants de la brutalité, n’est pas nécessairement une affaire d’opinion.

Le rôle de la loi pourrait justement être de contrer les risques évidents d’un tel système où les règles du jeu sont fixées par quelques joueurs, à leur bénéfice. C’est en tout cas la philosophie qui est derrière notre droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles imposées aux membres d’une société afin que leurs rapports sociaux échappent à l’arbitraire et à la violence des individus. En droit français, l’intérêt supérieur de l’enfant peut tout à fait primer sur la décision des parents ; c’est une question éminemment politique.

Nicolas Bureau

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