La déclaration de New York sur la conscience animale met l’accent sur notre responsabilité

La « déclaration de New York sur la conscience animale » a été rendue publique le 19 avril 2024 lors d’une conférence. Complémentaire de la déclaration de Cambridge de 2012, elle met en avant notre responsabilité dans la prise en compte de la sentience des autres animaux.

La déclaration de New York sur la conscience animale

« Quels animaux sont capables d’avoir une expérience consciente ? Malgré la persistance de beaucoup d’incertitudes, certains points faisant l’objet d’un large consensus ont émergé.
Premièrement, il existe de solides bases scientifiques qui permettent d’attribuer une expérience consciente aux autres mammifères ainsi qu’aux oiseaux.
Deuxièmement, les données empiriques indiquent que la possibilité d’une expérience consciente est, a minima, crédible chez tous les vertébrés (y compris les reptiles, les amphibiens et les poissons) et chez de nombreux invertébrés (incluant, au minimum, les mollusques céphalopodes, les crustacés décapodes et les insectes).Troisièmement, lorsqu’il existe une possibilité crédible d’expérience consciente chez un animal, il est irresponsable d’ignorer cette possibilité dans les décisions affectant cet animal. Nous devrions considérer les risques pour son bien-être et prendre en compte les éléments de preuve dans nos réponses face à ces risques » (traduction libre).

C’est une déclaration brève. Signée et soutenue par des centaines de scientifiques (presque 500 à ce jour), elle comporte les enjeux principaux du sujet. Son originalité est peut-être le troisième point qui questionne notre responsabilité : une fois le savoir sur la conscience des animaux acquis, peut-on ignorer la possibilité qu’un animal, aussi différent soit-il de nous, souffre par notre faute ?

La conscience animale vue de la science

Les lecteurs de notre revue sont familiers avec cette notion et les avancées de la science sur le sujet. Une expertise collective de l’Inrae avait permis de rassembler, dans un rapport riche et rigoureux, la connaissance scientifique sur le rôle et le fonctionnement de la conscience chez les animaux (La Conscience des animaux, éditions Quae, 2017). Nous vous le résumions et en donnions quelques exemples dans la revue n° 94.

Ce travail expliquait notamment qu’il existe différents niveaux de conscience. Ainsi que le proclame la déclaration de New York, un certain nombre d’espèces aurait accès à la conscience phénoménale, liée à la sentience, ou capacité de ressentir, et dont les états affectifs sont une expression. À noter qu’il n’est pas nécessaire d’avoir « conscience de soi » pour posséder ce niveau de conscience. De plus, les méthodes et paradigmes scientifiques s’améliorant, on peut s’attendre à ce que le nombre d’espèces sentientes reconnues avec « une possibilité réaliste » augmente considérablement dans le futur (en particulier chez les invertébrés.

Lire aussi : « Qu’est-ce que la conscience ? » (revue n° 94)

En quelques mots, la conscience est un système cognitif qui permet l’intégration et l’interprétation de données provenant de multiples canaux sensoriels pour produire une information pertinente à notre Umwelt (notre « milieu propre »). Elle rend possible la formation de représentations mentales cohérentes et l’expression de réponses adaptées face à un environnement complexe et dynamique. La conscience est indissociable de l’expérience subjective : ce que l’on perçoit et ressent dans une situation donnée. Par exemple, en regardant une pomme, nous pourrions en voir chaque détail ou nuance de couleur, mais la conscience sélectionne et synthétise ces informations pour nous faire percevoir une « pomme rouge et appétissante ». De plus, la conscience, active et structurante, associe à l’expérience subjective une intentionnalité : un sens et une valeur qui orientent potentiellement nos actions (comme décider de cueillir la pomme ou non). Ainsi, chaque individu vit des expériences singulières façonnées par sa propre conscience.

Le site hébergeant la déclaration de New York offre quelques exemples (en anglais) chez les oiseaux, les serpents, les crustacés, les insectes, les poissons… D’ailleurs, il nous semble que les poissons auraient mérité, au vu des données scientifiques, d’être inclus dans le premier point de la déclaration, au même titre que les mammifères et les oiseaux. Leur capacité à ressentir la douleur, mettant en jeu une expérience subjective, donc consciente, ne fait plus guère de doute aujourd’hui.

Lire aussi : « Douleur des poissons : va-t-on continuer à noyer… le poisson ? » (revue n° 104)

Concernant les mécanismes en jeu, dès 2012, la « déclaration de Cambridge sur la conscience » insistait sur le fait que cette capacité pouvait émerger chez des espèces dont la neurobiologie était très différente de celle des humains.

« L’absence d’un néocortex ne semble pas empêcher un organisme de connaître des états affectifs. Des données convergentes indiquent que les animaux non-humains possèdent les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neurophysiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à des comportements intentionnels. Par conséquent, les éléments de preuve montrent que les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non-humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces, dont les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques. »
Déclaration de Cambridge sur la conscience, 2012.

Les conséquences de nos actions

L’apport de la déclaration de New York, 12 ans plus tard, semble concerner la responsabilité qui nous incombe de prendre en considération la potentielle sentience des animaux sur lesquels nous avons un impact, avec une emphase sur les invertébrés (dont les insectes font partie). « Les progrès de la science font que la limite à l’indifférence à la douleur animale se déplace sans cesse », et « amènent à une réflexion sur les insectes qui n’était pas dans notre champ », constatait Louis Schweitzer, président de la LFDA, dans Le Monde du 3 juin 2024. Il indiquait que le « principe de précaution », sous-tendu par cette déclaration, paraît légitime.

Lire aussi : « Les insectes sont-ils sentients ? » (revue n° 116)

Nous traitions dans la revue n° 120 de l’élevage d’insectes pour nourrir les animaux élevés par l’humain. Comme évoqué plus haut, nos connaissances scientifiques actuelles permettent de soupçonner l’existence de la conscience chez de plus en plus d’espèces d’invertébrés. C’est donc un champ de réflexion d’une importance capitale. L’élevage d’insectes impliquerait un nombre d’animaux presqu’incommensurable. La souffrance infligée à un insecte sera peut-être balayée ou moquée par la plupart des gens, mais la souffrance collective de milliards d’entre eux est intolérable.

Sophie Hild

 

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