Rapport mondial 2024 sur la criminalité liée aux espèces sauvages

Le trafic d’espèces sauvages est une problématique mondiale complexe avec de larges préjudices. À l’instar des rapports de 2016 et de 2020, le rapport mondial sur la criminalité liée aux espèces sauvages de 2024 analyse les tendances et évalue les causes de ce trafic d’espèces de faune et flore sauvages.

Pour cette troisième édition, le rapport analyse également les dommages causés par cette criminalité, les facteurs qui influencent les activités criminelles et les actions internationales qui s’efforcent de réduire ce trafic.

Le rapport fait suite à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la lutte contre le trafic illicite d’espèces sauvages adoptée en 2021. Il a été rédigé par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en coordination avec le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC).

Le trafic des espèces sauvages évolue dans un monde interconnecté et en perpétuelle mutation

Au cours de la période 2015-2021, environ 4 000 espèces sauvages ont été concernées par le commerce illégal. Le nombre total de spécimens déclarés est d’environ 13 millions, soit en moyenne 1,84 million de spécimens par an.

Les espèces de faune et de flore sauvages sont commercialisées illégalement pour différentes finalités : consommation alimentaire, médicaments, vêtements, bijoux, matériaux de construction, ou encore animaux de compagnie. Une même espèce peut être exploitée pour ses différents produits. Les lézards sont, par exemple, commercialisés pour leur viande, leur cuir ou comme spécimen vivant.

Les saisies ont été enregistrées dans 162 pays. La criminalité liée aux espèces sauvages est un problème planétaire, chaque région du monde abritant des espèces rares ou menacées. Effectivement, le rapport s’appuie sur les bases de données de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et de l’ONUDC répertoriant les saisies annuelles d’espèces sauvages fournies par les États. Ces bases dépendent de la disponibilité des données ainsi que des moyens mis en œuvre par les pays dans la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages.

La vision de ces flux illégaux est donc partielle, les marchés clandestins étant difficiles à évaluer. En effet, les saisies peuvent avoir lieu tout le long de la route commerciale empruntée par les trafiquants : du pays d’origine où l’espèce a été capturée au pays de destination où le spécimen sera consommé ou utilisé, en passant par le pays de transit.

Le rapport porte, de fait, sur les données relatives aux espèces soumises à la réglementation de la CITES. Sur les 4 000 espèces saisies entre 2015 et 2021, environ 3 250 sont inscrites aux annexes de la CITES. Signée en 1973, le texte encadre, via un système de délivrance de permis, le commerce international licite des espèces menacées d’extinction susceptibles d’être affectées par ce commerce. Les espèces sont classées par annexe, selon la gravité des menaces pesant sur elles. Ainsi, une partie du trafic, difficilement évaluable, peut concerner des espèces non régies par la CITES ou des espèces sauvages consommées dans leur pays d’origine.

Par conséquent, le commerce des espèces sauvages est de nature légale ou illégale selon le circuit utilisé. Les trafiquants profitent de cette complexité, puisqu’ils adaptent leur flux selon les faiblesses réglementaires nationales ou les disparités des systèmes de traçabilité, de surveillance et de contrôle des marchandises. Ils blanchissent les marchandises illégales en les dissimulant dans des cargaisons légales avec de faux documents. Ce constat soulève aussi la question de la corruption dans ces filières, notamment dans le secteur des transports et le secteur public de certains pays.

Les groupes impliqués dans la criminalité liée aux espèces sauvages sont opportunistes et utilisent une logistique et des transports déjà existants. Ils s’appuient sur des réseaux internationaux, comprenant des braconniers, des transporteurs et des commerçants, et d’intermédiaires, en particulier la population locale qui trouve un revenu dans l’exploitation et l’approvisionnement illégaux d’espèces sauvages. Les trafiquants procèdent également au commerce en ligne pour effectuer leurs transactions à l’étranger.

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La pandémie mondiale de COVID-19 a également modifié les flux issus du trafic. Selon le rapport, le trafic d’espèces sauvages provenant des bagages voyageurs a été fortement réduit dans le transport aérien en 2020 et 2021, en raison des restrictions aux frontières et des perturbations du transport passagers. Par exemple, les saisies de coraux ont diminué puisqu’ils sont principalement transportés dans les bagages voyageurs. Néanmoins, cette diminution du nombre de saisies ne garantit pas la baisse du trafic d’espèces sauvages dans la mesure où d’autres flux tels que le fret maritime par conteneurs et les expéditions en vrac ont été peu affectés par la pandémie.

Le trafic des espèces sauvages a une incidence directe et indirecte sur les sociétés et la nature

Tout d’abord, la criminalité liée aux espèces sauvages affecte gravement la diversité biologique mondiale. La surexploitation des espèces cause une réduction de leur population et menace ainsi leur survie. La liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) établit le degré de risque d’extinction des espèces. Selon le rapport, les quatre groupes d’espèces (mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens) les plus évalués par la liste rouge représentent 40 % du total des espèces saisies.

Ce déclin des espèces peut avoir des répercussions sur les écosystèmes en raison de l’interdépendance des espèces et de leur habitat. Le braconnage des grands prédateurs comme les félins impacte la population des herbivores qui, en surnombre, peuvent altérer les sols et la diversité végétale.

Plus largement, ces atteintes nuisent aux écosystèmes qui stabilisent le climat et atténuent les effets de son changement. La surexploitation illégale de bois compromet par exemple le stockage des émissions de carbone.

De même, l’introduction par l’homme d’espèces sauvages, appelées espèces exotiques envahissantes, en dehors de leur aire de répartition naturelle peut menacer, de manière irréversible, les espèces locales et les habitats naturels.

Les dommages liés à cette criminalité peuvent aussi être sociaux et économiques. L’appauvrissement des écosystèmes peut entacher les avantages des populations locales liés à la nature, en tant que ressources (nourriture, médicaments, énergie) et identité culturelle, religieuse et spirituelle.

Les risques sanitaires, en particulier soulevés par la pandémie Covid-19, concernent la transmission de maladies d’espèces sauvages aux humains. Pour cette raison, les restrictions commerciales, le dispositif de quarantaine ou encore l’inspection vétérinaire et phytosanitaire sont mis en place pour prévenir ces zoonoses. Le commerce illégal détourne ces dispositifs et augmente les risques sur la santé humaine, animale et végétale.

La criminalité contre les espèces sauvages représente aussi un risque contre les personnes engagées dans la protection de l’environnement. La fédération internationale des gardes forestiers (International Ranger Federation) recense chaque année le décès de gardes dans l’exercice de leur fonction. Entre 2006 et 2021, 2 351 gardes auraient perdu la vie. Plus de 80 % de ces décès ont eu lieu en Afrique et en Asie et 40 % seraient liés à des homicides.

Les préjudices peuvent concerner, en outre, la gouvernance. En effet, comme les autres criminalités organisées, le trafic des espèces sauvages porte atteinte à la stabilité politique et à l’État de droit, c’est-à-dire un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise aux normes juridiques. Le rapport de 2020 du Groupe d’action financière (GAFI)1 a attiré particulièrement l’attention sur les liens entre le blanchiment d’argent2 et le commerce illégal d’espèces sauvages.

De plus, le trafic des espèces est susceptible de priver les pays de recettes publiques et fiscales liées à l’exploitation légale des espèces et nuit aux économies nationales, en particulier celles des pays d’origine, dans le secteur du tourisme par exemple.

La lutte contre ce trafic suppose enfin des investissements financiers en provenance des budgets publics et d’organisations non gouvernementales (ONG).

Les actions de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages sont à poursuivre et à renforcer

Le rapport cite plusieurs actions internationales à la fois politiques et opérationnelles.

La 19e conférence des Parties à la CITES s’est tenue au Panama en novembre 2022 et a fait le point sur les progrès réglementaires en matière de commerce international des espèces sauvages, afin de garantir qu’il ne menace pas leur survie. Des restrictions commerciales pour certaines espèces ont été actées afin de préserver leur population menacée.

La 15e conférence des Parties à la Convention sur la biodiversité, qui a eu lieu en décembre 2022 et qui soutient les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, a défini une vision mondiale en harmonie avec la nature d’ici 2050 et ambitionne notamment des mesures pour garantir le commerce des espèces sauvages de manière sûre et durable.

Les actions de répression et de coopération permettent de mobiliser les États dans le cadre d’opérations internationales, telles que l’opération THUNDER coordonnée depuis 2017 par l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’agence Interpol avec le soutien de l’ICCWC. Chaque année, les policiers, les douaniers et les services de protection de l’environnement des États participants se réunissent pour mener conjointement cette opération. La dernière édition d’octobre 2023 a rassemblé 133 pays et a donné lieu à près de 500 arrestations et plus de 2 000 saisies d’espèces protégées par la CITES.

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Le déclin du trafic d’ivoire d’éléphants figure parmi les études de cas reprises dans le rapport. Le succès de cette action internationale est le fruit d’une analyse de l’offre et de la demande sur toute la chaîne commerciale, d’une adaptabilité de la réponse répressive, du soutien politique et médiatique, et d’un renforcement réglementaire via des restrictions commerciales.

Les techniques traditionnelles de répression, telles que les saisies et les arrestations, ne dissuadent pas nécessairement les trafiquants. Le durcissement des peines a moins d’impact que la seule perception d’une sanction certaine et réelle. Parmi les pistes d’amélioration, il ressort du rapport l’importance de prendre en compte l’impact global du trafic des espèces. Le suivi et l’évaluation des données doivent être renforcés afin de prévenir les comportements criminels, notamment dans leur analyse risques/avantages sur un marché, de mesurer l’impact sur les populations d’espèces sauvages, de rétablir des populations menacées, ou encore de prédire l’évolution des prix.

Dans la continuité de ce rapport, la vision stratégique de l’ICCWC à l’horizon 2030, élaborée dans la lignée des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, a pour objectif de soutenir, à travers deux plans d’action stratégiques (2023-2026 et 2027-2030), les autorités en charge de la protection des espèces sauvages, les services de police, la douane et la justice afin de répondre à la menace de la criminalité liée aux espèces sauvages.

Conclusion

Dans son nouveau rapport reprenant les données entre 2015 et 2021, l’ONUDC déplore l’ampleur du trafic illégal des espèces sauvages qui menace la biodiversité, la santé publique et plus largement la sécurité mondiale. Malgré la pandémie COVID-19, les trafiquants ont poursuivi leur commerce illégal et se sont adaptés aux changements qu’ils soient règlementaires, économiques ou sociaux. Cette criminalité demeure très lucrative et peu risquée. Cependant, la communauté internationale progresse aux côtés des organisations non gouvernementales dans la lutte contre ce crime par le renforcement des actions de coopération internationale et l’amélioration de la collecte des données. Plus largement, le rapport souligne l’importance d’appréhender cette criminalité de manière globale afin d’agir efficacement. La prévention auprès des populations locales, le suivi de la biodiversité, ou encore la restauration des écosystèmes sont d’autant de pistes à développer pour compléter la réponse répressive.

Fanny Marocco


  1. Le Groupe d’action financière est un organisme intergouvernementale visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en émettant par exemple des recommandations aux États audités. ↩︎
  2. Le blanchiment d’argent vise à réintroduire dans l’économie légale les produits issus d’activités illégales. ↩︎

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