Pour les Européens, le bien-être des poissons élevés pour la consommation compte. Un sondage de septembre 2024 pour Eurogroup for Animals et Compassion in World Farming (CIWF) confirme celui de juin 2018 dont nous nous étions fait l’écho : 91 % des Européens interrogés pensent que le bien-être des poissons devrait être protégé tout autant ou plus que celui des autres animaux que nous consommons (contre 79 % en 2018). Ce n’est actuellement pas le cas car il n’existe pas de législation spécifique pour la protection des poissons. La filière piscicole européenne n’est donc pas contrainte par des normes allant en ce sens, alors que l’on voit poindre des projets d’élevage ne pouvant pas respecter les besoins des poissons.
Tandis que les répondants ne prêtent pas tous aux poissons la capacité de ressentir des émotions positives (seulement 45 % d’entre eux), ils reconnaissent majoritairement leur capacité à ressentir la peur (60 %) et la douleur (71 %). Il ressort de ce sondage qu’une grande partie des Européens a conscience des capacités des poissons, et estime que ceux-ci méritent d’être protégés lorsqu’ils sont élevés pour être consommés. Il reste toutefois à effectuer un important travail de diffusion de la connaissance sur les poissons, alors que la science a déjà démontré l’étendue de leurs capacités émotionnelles et cognitives.
Lire aussi: « Douleur des poissons : va-t-on continuer à noyer… le poisson ? », revue n°104
Il reste également à mieux informer les Européens sur les pratiques de la filière. Alors que près de la moitié d’entre eux (48 % des interrogés) reconnaît ne pas savoir grand-chose des conditions d’élevage ou d’abattage des poissons, ils sont 93 % à souhaiter pouvoir acheter des produits dont les standards en matière de bien-être des poissons sont plus élevés. Il faut toutefois prendre ce dernier pourcentage avec précaution, l’acte ne se joignant pas toujours à la parole lorsque l’on se retrouve en magasin – et l’article suivant nous montre que l’on met facilement en place des stratagèmes pour justifier une dissonance cognitive et un comportement incohérent.
La stratégie européenne « de la ferme à la table » avait prévu d’avancer sur le sujet de la protection des poissons. De nombreux textes ont été promis pour les animaux, mais les retards et reculades s’accumulent, au grand dam de nos ONG, pourtant très actives dans leur travail de plaidoyer auprès des pouvoirs publics.
Dans le sondage Eurobaromètre de 2023, les Français se montraient les plus demandeurs quant à la protection des animaux en général : 98 % des répondants français souhaitaient cette protection. Concernant les poissons, les graphiques ci-dessous soulignent également cet intérêt des Français. C’est important, car l’enjeu est particulièrement crucial en France, où plusieurs projets démesurés tentent de s’implanter. Selon France Agrimer, près de 41 tonnes de poissons ont été produites par la pisciculture française en 2022. Ces mégaprojets auraient chacun la capacité de produire de 8 à 10 tonnes de poissons en plus par an (voir l’article « Appel pour un moratoire sur les fermes-usines de saumons en France » dans la revue précédente).
Si le bien-être des poissons devient une priorité pour les Européens, il appartient désormais aux législateurs de répondre urgemment à cette demande par des normes spécifiques et ambitieuses.
Sophie Hild