Loup : on tire d’abord, on réfléchira (peut-être) ensuite

Il est de bon ton, ces derniers temps, de « délibérer contre la présence du loup » dans les conseils municipaux des départements concernés. Le loup, rappelons-le, fait partie des espèces protégées par la directive « Habitats » (1) adoptée en 1992 par l’Union européenne à la suite de la Convention de Berne de 1979 (2) (voir pour complément l’article : « le loup en Europe » (3)). Néanmoins, certaines dérogations sont admises : « à condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée, chaque Partie contractante peut déroger aux dispositions […] pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété » (4). En France, chaque préfet peut donc autoriser des « tirs de prélèvement » (traduisons : l’abattage) de loups lorsqu’il veut calmer les éleveurs qui subissent des attaques de prédation sur leurs troupeaux. Car il s’agit bien uniquement de communication : ces « tirs de prélèvement » n’ont pas démontré leur efficacité pour diminuer les attaques de troupeaux (quand il s’agit bien de loups qui « prélèvent » les bêtes). Les fonds publics, eux, continuent à se faire prélever très efficacement pour du vent.

Une étude scientifique publiée en décembre 2014 révèle l’inefficacité du contrôle de la prédation par abattage de loups (5). Des chercheurs de l’université de Washington State, aux Etats-Unis, ont analysé vingt-cinq années de données portant sur la mortalité des troupeaux ovins et bovins pâturant dans les états de l’Idaho, du Montana et du Wyoming, en rapport avec les abattages de loups. Les résultats montrent que l’effet de l’abattage dépend de son intensité. D’une part, les chercheurs ont été surpris de voir que l’abattage de loups est lié à une augmentation de la prédation des bêtes d’élevage l’année suivante ! Une augmentation du « contrôle du loup » provoque une hausse de la prédation dans les troupeaux de 4 à 6 %. D’autre part, lorsque l’abattage de loups dépasse les 25 % de leur effectif, les chercheurs ont constaté que le nombre de loups décline parce qu’ils ne sont plus capables de régénérer leur niveau de population ; cela s’accompagne certes d’une diminution du chiffre de la prédation, mais entraîne un reclassement du loup en espèce protégée, créant ainsi un cercle vicieux.

Les loups vivent classiquement en meute avec à leur tête un couple dominant. Les tirs d’abattage effectués après coup ou « en prévention », au hasard, touchent quelquefois ces individus dominants. La régulation des populations, comme dans tout système biologique complexe, est un phénomène dynamique. La réponse adaptative des loups est de se disperser et de former de nouveaux couples dominants pour préserver la survie de l’espèce. Ainsi, priver une meute d’un individu dominant aura pour effet une augmentation des effectifs de loups, et créera, bien logiquement, des besoins plus grands en proies. De plus, les loups forment une véritable communauté où les techniques de chasse sont apprises par les jeunes grâce aux individus les plus expérimentés. La disparition de ces « professeurs » peut entrainer des comportements inadaptés chez les jeunes qui n’auront pas reçu la bonne instruction. On observe le même phénomène en Afrique avec les groupes d’éléphants qui se retrouvent sans matriarche. Les individus les plus âgés possédant les plus longues défenses, ils sont les plus recherchés des braconniers. La disparition de la matriarche peut poser de véritables problèmes de comportements inadaptés (en particulier sociaux) chez les jeunes, car c’est elle qui montre au reste du groupe quelle réponse (défensive, exploratoire…) est la mieux appropriée à chaque situation (6).

Ainsi, une intrusion irréfléchie de l’homme dans la régulation naturelle d’une population animale peut avoir des effets hautement contreproductifs. Cette étude reflète le conflit, chez l’être humain, entre ce que lui dictent son cerveau limbique, émotionnel et impulsif, et son cortex préfrontal, plus évolué et rationnel. En somme, l’instinct contre la raison. Encore une fois, et comme bien souvent en politique, nos décisions sont prises pour parer au plus pressé, en ignorant leurs conséquences à long-terme. L’être humain se targue de sa supériorité cognitive sur les autres espèces animales, mais n’a toujours pas appris à se servir correctement de ce petit « plus » que nous avons entre les 2 oreilles… Mesdames et messieurs les préfets, vous avez des arguments scientifiques pour refuser les tirs d’abattage de loups, utilisez-les.

Sophie Hild

Note : le mémoire de Fanny Marocco « Le retour naturel du loup (Canis lupus) en France » réalisé en 2013 dans le cadre du Master 2 « Droit public », spécialité « Droit de l’environnement et du Développement durable » est disponible sur demande par email à contact@fondation-droit-animal.org et sur le site internet de la LFDA

(1) Directive n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage (Conseil des communautés européennes)

(2) Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, Berne, 19 septembre 1979 (Conseil de l’Europe)

(3) « Le loup en Europe, d’une protection affirmée à une acceptation hésitante » par Fanny Marroco, revue Droit Animal, Ethique et Sciences n° 82, pp. 17-19

(4) Article 9 de la Convention de Berne et article 16 de la directive Habitats-Faune-Flore, transposé dans le code de l’environnement à l’article L411-2(4°)

(5) Wielgus RB & Peebles KA. (2014). Effects of wolf mortality on livestock depredations. PloS one, 9(12): e113505

(6) McComb K, Moss C, Durant SM, Baker L, & Sayialel S. (2001). Matriarchs as repositories of social knowledge in African elephants. Science, 292(5516): 491-494

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