CR: Introduction aux droits des animaux. Votre enfant ou le chien ?

Gary Francione, éditions L’âge d’homme, 2015

Gary Francione, né en 1954, est avocat, professeur de droit et philosophe américain. Il est spécialiste du droit des animaux et l’un des pionniers de la théorie abolitionniste qui rejette toute forme d’exploitation de l’animal. Sa théorie basée sur le constat que les animaux sont des êtres « sentients », c’est-à-dire qu’ils peuvent expérimenter de manière subjective la douleur et qu’ils ont des intérêts à ne pas subir cette douleur, vise à démontrer que l’exploitation des animaux, quel que soit son objectif, doit être considérée comme une question de morale et non comme une question d’opinion.

Elle conduit de manière logique à prôner le véganisme, c’est-à-dire l’arrêt total de l’utilisation des animaux et des produits qui en sont issus. Le présent livre a été édité en 2000 aux États-Unis, traduit en français et édité par les éditions L’âge d’homme en 2015.
Architecture et idées défendues Introduction aux droits des animaux est un ouvrage composé de sept chapitres dont l’enchaînement constitue un raisonnement logique visant à démontrer que notre comportement vis-à-vis des animaux témoigne d’une « schizophrénie morale ».

Selon ce diagnostic, nous déclarons accorder de l’importance aux intérêts des animaux comme en témoigne par exemple notre attachement à nos animaux de compagnie et, dans le même temps, nous sommes prêts à sacrifier des millions d’animaux pour le simple plaisir de consommer leur chair, quand il ne s’agit pas de loisirs comme la chasse ou le rodéo.

Dans les premiers chapitres de l’ouvrage, G. Francione passe au crible chacune des utilisations de l’animal, établissant un bilan chiffré et une description détaillée des conditions de détention et d’abattage, se focalisant plus particulièrement sur les pratiques générant le plus de souffrance comme les élevages intensifs. Du fait de justifications plus évidentes en termes d’utilisation de l’animal – la santé humaine et non le goût de la viande ou le loisir –, un chapitre entier est consacré à ce que G. Francione appelle la « vivisection », qui regroupe toutes les activités visant à effectuer des expérimentations sur les animaux.

G. Francione dénonce sans équivoque une utilisation abusive d’animaux tant du point de vue du nombre que de la manière dont les animaux sont traités et ce malgré les engagements pris par les chercheurs. Dans la suite de l’ouvrage, G. Francione nous démontre que toutes les réglementations mises en place dans le domaine de la protection des animaux visent principalement à réduire les mauvais traitements envers les animaux, ce qui selon l’auteur, est loin d’être suffisant, car ces réglementations ne peuvent constituer un préambule à une reconnaissance de ce qu’il appelle le « principe d’égale considération », puisque, malgré la mise en place de ces réglementations, les mentalités n’ont guère évolué dans le sens d’un arrêt de l’exploitation des animaux.

Développant sa théorie autour du principe selon lequel le seul fait d’être « sentient » (capable de ressentir de la douleur et du plaisir) implique automatiquement le droit de ne pas être exploité par les êtres humains, G.Francione affirme son opposition à Jeremy Bentham, selon ses termes, « le principal architecte du principe du traitement humain » et à Peter Singer, le « défenseur moderne de Bentham ».

Si G. Francione reconnaît que c’est majoritairement grâce à J. Bentham que les lois ont évolué pour encadrer l’utilisation des animaux en vertu des obligations morales que nous leur devons, s’il reconnaît que P. Singer défend l’idée que les animaux ne doivent pas être traités comme des marchandises, il reproche néanmoins à ces deux philosophes leur consommation de viande, justifiée par P. Singer par le fait que les animaux consommés sont « des ressources remplaçables » et qu’ils n’ont pas conscience de la continuité de leur existence dans le temps.

De fait, selon P. Singer, la question de la consommation de viande n’est pas une question morale en soi, ce à quoi G. Francione répond par divers exemples démontrant que les animaux, en différentes circonstances, prouvent régulièrement qu’ils ont un intérêt à continuer à vivre plutôt que mourir (G. Francione prend l’exemple d’un animal pris dans un piège et préférant s’auto-mutiler pour se libérer et continuer à vivre).

Tout au long de son ouvrage, G. Francione insiste sur le fait que choisir l’humain plutôt que l’animal dans une situation où il y a conflit et urgence, comme c’est le cas dans une maison en feu où l’on devrait choisir entre sauver son enfant ou un chien est un acte normal, naturel et nécessaire, mais que l’utilisation des animaux telle qu’elle est à l’heure actuelle ne saurait s’inscrire dans ce schéma, et que, de toute évidence, nous abusons de notre droit moral en les considérant comme des ressources à notre disposition.

Le livre se termine par une série de vingt questions mettant en cause sa théorie et auxquelles G. Francione apporte des réponses argumentées et détaillées.

Les écueils de l’ouvrage

L’ouvrage de G. Francione suit une logique implacable à laquelle, en tant que défenseur des animaux, on peut facilement adhérer. De nombreuses données chiffrées et références sérieuses (voir les 65 pages de notes à la fin de l’ouvrage) participent à l’argumentation de l’auteur.

On peut toutefois regretter certaines imprécisions et un ton trop souvent stigmatisant, la théorie de G. Francione étant présentée comme la seule alternative possible à une exploitation des animaux considérée comme un massacre organisé. Le parti pris de l’auteur dès les premiers chapitres et, par endroits, le manque d’éléments tangibles à la hauteur des accusations portées, tendent à fragiliser la théorie et interpellent quant à la prise de distance préalable nécessaire à la construction d’un débat honnête.

Par exemple, au chapitre II, page 96, au sujet de l’expérimentation animale, G. Francione affirme que la « réalité de l’utilisation des animaux dans ce contexte (lors d’expérimentations)  est  à  mille  lieux  de l’image des chercheurs dans des laboratoires impeccables […] Les chercheurs utilisent des animaux à toutes sortes de fins triviales, qui ne peuvent absolument pas être considérées comme nécessaires […]. Concrètement le milieu de la recherche demeure relativement attaché à la vision cartésienne de l’animal-machine, qui ne ressentirait ni douleur ni souffrance ».

Si ces propos semblent vouloir affirmer la large diffusion de telles pratiques au sein du monde de la recherche américaine, qui sert de référentiel à l’auteur, il semble néanmoins abusif d’en conclure qu’ils seraient représentatifs d’une façon de procéder partagée par l’ensemble des acteurs impliqués dans ces activités et ce, au niveau mondial.

En Europe, par exemple, des évolutions ont été apportées dans les pratiques d’expérimentation animale avec la mise en place réglementaire de mesures visant à limiter les protocoles utilisant des animaux, à limiter le nombre d’animaux utilisés et à limiter au maximum les douleurs qui pourraient être induites (1).

La généralisation sans réel fondement de G. Francione (voire la note 21, page 342 : « Un certain nombre d’associations […] remettent en question l’efficacité scientifique des expériences sur les animaux. ») tend à affaiblir la crédibilité de son argumentaire et le cantonne dans son rôle (assumé) d’« antisystème actuel ».

Dans la suite du livre, G.Francione rejette de manière péremptoire les lois existantes sur la protection des animaux en vertu du principe qu’elles n’ont pas apporté de progrès réels quant à l’utilisation des animaux. Comme pour la thématique de l’expérimentation animale, son discours se veut universel et il n’hésite pas à affirmer que, de manière générale, seule la volonté de nuire est sanctionnée par ces lois (cf. pages 128129).

Rappelons également alors, que depuis une trentaine d’années, la réglementation européenne et française concernant la protection des animaux n’a cessé d’évoluer pour favoriser la prise en compte des besoins physiologiques et comportementaux des animaux, notamment au sein des élevages les plus à risque, comme les élevages intensifs de veaux, de porcs, de poules pondeuses ou de poulets de chair (2, 3, 4).

Le monde associatif et scientifique s’est énormément investi pour obtenir une modification des lois allant dans le sens de la prise en compte des intérêts des animaux et notamment la LFDA, depuis plus de 30 ans et dont l’une des récentes victoires a été de contribuer de manière significative à la modification du code civil, permettant d’obtenir que l’animal soit désormais considéré comme un être sensible et non uniquement comme un bien meuble (5).

Aussi, il est étonnant que G. Francione considère que les lois de protection animale soient un « échec » (cf. p. 153) ce qui reviendrait à réduire à néant le travail, la persévérance et la conviction de tous ceux qui ont participé et participent encore à cette évolution. En conclusion, il semble que Gary Francione développe une vision presque totalitaire de la protection des animaux qui, selon lui, ne peut être assurée que d’une seule et unique manière : en convertissant toute l’humanité au véganisme, c’est-à-dire en refusant toute utilisation de l’animal pour les loisirs, le travail ou l’expérimentation et en stoppant toute consommation de produits d’origine animale.

Discussion autour de la proposition de G. Francione

La question est donc ainsi posée : devons-nous, oui ou non, continuer à avoir des relations avec les animaux, et dans ce cas, veiller à encadrer ces relations voire ces utilisations, ou devons-nous, comme le suggère G. Francione abandonner totalement la longue histoire de la relation homme-animal en vertu du fait que toute relation pourrait être une utilisation abusive?

Chacun peut contribuer à ce débat sous réserve d’être suffisamment éclairé, mais on pourrait raisonnablement se demander si l’humanité est prête à prendre une décision aussi radicale à l’heure actuelle. Au-delà de la modification du régime alimentaire, la cessation de toutes formes d’élevage entraînerait une redistribution des différents rôles au sein de la chaîne alimentaire et donc l’apparition potentielle d’un déséquilibre au sein de la faune.

De plus, si la relation homme-animal était abolie, notamment dans le cadre des activités d’élevage des animaux de rente, que deviendrait le façonnement séculaire des paysages tels que nous les connaissons, à moins de remplacer l’animal par la machine? Et surtout, il faudrait définitivement renoncer au plaisir que l’on peut avoir à côtoyer des animaux qu’il s’agisse d’animaux de compagnie ou d’élevage.

Car, enfin, dans l’activité d’élevage telle que la pratiquent des millions de personnes sur terre, n’y a-t-il pas une forme riche et quotidienne de relation Homme-Animal, qui révèle l’un des meilleurs côtés de l’Humanité? À la solution radicale du « tout ou rien » dont on peut douter qu’elle aboutisse, n’est-il pas plus raisonnable de continuer à militer pour faire encore évoluer les conditions de vie de tous les animaux?

Ne devrions-nous pas, notamment, repenser les systèmes d’élevage pour favoriser la prise en compte de la sensibilité animale, en favorisant des exploitations à taille « humaine »? Enfin, plutôt que de vouloir convertir à tout prix l’humanité à un végétarisme forcé, n’est-il pas plus judicieux de promouvoir une consommation raisonnée de produits d’origine animale en exigeant un étiquetage permettant de réellement informer le consommateur?

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne

  1. Directive européenne 2010/63/UE relative aux animaux utilisés à des fins scientifiques.
  2. Arrêté ministériel du 20 janvier 1994 établissant les normes minimales relatives à la protection des veaux.
  3. Arrêté ministériel du 1er février 2002 établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses.
  4. Arrêté ministériel du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs.
  5. Le code civil reconnaît l’animal comme étant un « être vivant doué de sensibilité » depuis le 28 janvier, date à laquelle l’Assemblée nationale a voté en lecture définitive le projet de loi relatif à la modernisation du droit et créé le nouvel article 515-14.

Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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