CR: Le Loup en questions : fantasme et réalité

Jean-Marc Moriceau, Buchet-Chastel, 2015

L’abondance des débats, publications et polémiques actuels concernant le loup est telle que leur nombre dépasse sans doute largement celui des loups présents sur notre sol. Le présent ouvrage de Jean-Marc Moriceau, par sa sobriété et sa clarté, apportera sûrement des informations précises et référencées au lecteur curieux et soucieux « d’y voir clair ». Dans ce livre de 122 pages, l’exposé comprend les étapes suivantes :

Introduction – Le loup en France : Où en est-on?
Chapitre I – Le loup : ange ou démon?
Chapitre II – Le loup dans le territoire : combien de loups en France?
Chapitre III – Le loup dangereux pour l’homme : fantasme ou négation?
Chapitre IV – Le loup et le monde animal : quel impact?
Chapitre V – La gestion du loup : un compromis impossible?
Conclusion – Le loup et l’homme : une crise ouverte.


Une annexe comporte deux tableaux regroupant des données chiffrées de l’impact du loup sur le bétail par année, de 1993 à 2014, à savoir : le nombre de départements concernés, le nombre de victimes indemnisées, le montant des indemnisations en euros ou équivalent. La bibliographie, outre les références infrapaginales dans le texte, se limite aux références et rapports consultés; enfin, des sites internet sont indiqués.

Dans le premier chapitre Jean-Marc Moriceau expose comment le statut du loup s’est modifié au cours de l’histoire récente et comment « d’ennemi  public considéré comme le pire des “nuisibles”, Canis lupus est devenu un animal strictement protégé. Ce renversement ne fait que traduire dans les textes un changement de perception amorcé depuis plusieurs décennies ».

L’auteur insiste sur le fait que le loup doit être considéré en fonction de l’espace dans lequel il se trouve ; « Les réalités du Grand Nord  canadien,  et  même  de  certaines grandes réserves américaines, ne sont pas strictement identiques aux plateaux pastoraux de l’Asie et encore moins des territoires européens, façonnés depuis des siècles par l’industrialisation, l’urbanisation, la spécialisation et l’exode rural. »

Depuis le 5 novembre 1992, le loup a passé la frontière des Alpes et a été observé par des agents du parc national du Mercantour; c’est en avril 1993 que la presse a officialisé son retour. Le 22 juillet 1993 un décret assure la protection de l’espèce et le 1er juillet 1994, la France adopte la directive européenne du 21 mai 1992 par laquelle le loup obtient le statut d’« espèce d’intérêt communautaire prioritaire ».

Ainsi protégé, le loup recolonise depuis plus de vingt ans, l’un après l’autre, les départements dans la moitié de la France située à l’est d’une ligne Sedan-Pau et figurée sur une carte dans l’ouvrage, indiquant les zones de présence et d’impact sur le bétail en 2014. Le récit que fait l’auteur de cette recolonisation accompagnée de prédation sur les troupeaux est très intéressant car il montre comment l’information concernant la présence du loup a parfois été très mal conduite, du moins dans ses débuts.

Cependant, « au-delà de ces tensions idéologiques et politiques, la mise en place progressive  d’un  vaste  réseau  de correspondants ; de mieux en mieux formés (et équipés), assure un suivi de l’espèce bien documenté. Depuis 1998, les résultats périodiques du Réseau loup sont publiées dans un bulletin accessible sur internet, Quoi de neuf ?, où l’on trouve une mine d’informations ».

La progression du nombre des attaques a été particulièrement importante de 2008 à 2014. « Que l’on regarde l’élévation du nombre des attaques (+190 %), celle des victimes  reconnues  (+200 %)  ou  le  seul montant des indemnisations (+214 %), on mesure bien à quel point le problème du loup a pris une part grandissante au sein du monde agropastoral. »

Il faut préciser que le retour du loup ne représente pas la même intensité partout. Les zones de sa présence permanente se situent dans l’arc Alpin et une partie de massifs montagneux, y compris certains hauts plateaux, les zones de présence occasionnelle le plus souvent dans les régions de plaine. « En 2014, sur la base des observations récurrentes des années précédentes en fonction du pistage hivernal et des observations visuelles, l’Hexagone est crédité de quelque 300 spécimens. »

Les estimations du nombre de loups en France à la fin du XVIIIe siècle, basées sur les primes de destruction octroyées alors, indiquent une population en place comprise entre « 3 500 et 8 000 loups adultes ». « Au lendemain de la guerre de Cent ans, avec 227 primes distribuées en moins de six mois dans la prévôté de Paris, on y détruisait dix fois plus de loups qu’à la fin du XVIIIe siècle ! »

Faut-il avoir peur du loup? « Est-il possible d’accepter le loup en reconnaissant le risque qu’il a causé ou qu’il est susceptible d’infliger occasionnellement à l’homme ? » Dans le climat actuel de bienveillance à l’égard du loup, une telle interrogation est incongrue. Pourtant l’auteur cite quelques exemples d’attaques de loups non enragés sur des humains : 6 enfants au Canada de 1994 à 2000 ; un étudiant canadien de 22 ans, le 8 novembre 2005 ; une femme de 32 ans en 2010, mise à mort par une meute de loups en bonne santé dans un petit village de l’Alaska ; « tout récemment, dans certains États de l’Inde, des dizaines d’enfants ont été dévorés chaque année par les loups ».

Jean-Marc Moriceau rappelle ce que les enquêtes historiques nous enseignent et qui sont rapportées dans ses propres ouvrages1. Il précise sur une figure la saisonnalité des attaques et dans deux tableaux la singularité des attaques et celle des victimes du loup prédateur d’une part, du loup enragé d’autre part, car à l’époque la rage sévissait en France. C’est une distinction importante à prendre en considération ; notons en effet, au passage, que la contamination rabique provoque chez le chien domestique, même le plus docile, une agressivité incontrôlable.

La rage ne sévit plus dans notre pays, mais elle n’est pas éradiquée dans le monde. Il est donc impératif de surveiller toute contamination accidentelle dans la faune sauvage dont le loup fait à nouveau partie. Des attaques récentes ont prouvé que le loup ne s’attaque pas seulement aux moutons mais aussi à de jeunes bovins ; « amateur de gibier, gros et menu, le loup s’accommode très bien de toutes les proies domestiques, souvent plus faciles d’accès ».

Son régime alimentaire est fort diversifié. Un programme de recherche prédateur-proies a été engagé dans le parc du Mercantour afin d’étudier « l’incidence de la prédation du loup sur la dynamique, le comportement et la répartition spatiale des populations de quatre espèces d’ongulés sauvages connues pour faire partie de ses proies préférentielles : le cerf, le chevreuil, le chamois et le mouflon. Les résultats sont clairs : opportuniste, le loup s’adapte aux variations d’effectifs des proies sauvages dont il est par ailleurs en partie responsable ».

On assiste à des « reports de prédation » selon les disponibilités du moment. « Pour neuf meutes du massif Alpin qui ont été examinées, son alimentation se compose de 84 % à 91 % de proies sauvages, chevreuils, mouflons, chamois, bouquetins et, en moyenne, de 15 % de proies domestiques, mais avec une forte saisonnalité liée à la transhumance estivale. » On a constaté que certaines meutes prennent goût aux animaux domestiques, ainsi une meute du Mercantour assure 46 % de son régime alimentaire avec les ovins.

Les conditions socio-économiques contemporaines font que les prédations frappent de manière inéquitable la population agropastorale et particulièrement celle dont les troupeaux sont présents à l’extérieur toute l’année. Le loup tue et dévore, mais il provoque également des blessures mortelles, des affolements de troupeaux qui entraînent des chutes dans le vide et des effets de stress affectant la reproduction des brebis.

Dans son commentaire, l’auteur insiste : « Opportuniste, le prédateur peut se spécialiser à l’occasion sur un type de proies spécifique dans un environnement qui lui paraît favorable. » La gestion du loup est-elle un compromis impossible? Jean-Marc Moriceau en expose longuement toute la complexité qui est liée la fois à la réglementation européenne et au droit interne français. « Si la préservation de l’espèce constitue la priorité, les dommages qu’elles causent sur l’activité humaine imposent aussi des mesures de protection en amont et d’indemnisation en aval. »

Ces mesures qui font l’objet d’une présentation détaillée et de commentaires argumentés sont accompagnées d’un tableau concernant six plans d’actions successifs sur le loup (1993-2017) intitulé : « De la préservation de l’espèce à la recherche d’une cohabitation ». Il existe des dérogations, rigoureusement encadrées, à la stricte protection de l’espèce qui ont pour finalité d’autoriser le prélèvement des loups. « Cet assouplissement de la position de l’État traduit une double reconnaissance : celle de la viabilité de la population du loup, qui ne risque plus de s’éteindre brutalement ; et celle de l’impact sensible de ses dommages sur le pastoralisme montagnard. »

Il n’est pas possible ici de rendre compte de l’ensemble de ce chapitre qui a le mérite de décrire de façon précise et détaillée la situation conflictuelle créée par la prédation du loup. Ce chapitre devrait à lui seul, semble-t-il, étayé par les informations qui le précèdent, inciter à la consultation de cet excellent ouvrage.

L’auteur précise que « cette situation n’est pas propre à la France et bien d’autres éleveurs, en Piémont, en Suisse ou en Catalogne, pour ne citer que ces exemples, ont les mêmes réactions », et il conclut : « Choix de société, le retour protégé du loup est aussi un atout que l’on fait payer au prix fort à une minorité de population placée devant le fait accompli. »

Alain Collenot

  1. Jean-Marc Moriceau, Histoire du Méchant loup. 300 attaques sur l’homme en France (XVe–XXe siècle). Fayard. 2007 et L’Homme contre le loup. Une Guerre de 2000 ans. Fayard. 2011.

Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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