Lorsque nous lisons et entendons parler du changement climatique, de l’augmentation des températures et du niveau des eaux, de la pollution atmosphérique et des trous dans la couche d’ozone, on en vient toujours rapidement aux émissions de CO2. La raison en est que les émissions de CO2 sont la devise clé, la référence avec laquelle on mesure tout ce qui est bon et mauvais, le négatif et le positif, l’augmentation et la diminution des températures globales.
En général, nous lisons ensuite qu’environ 1/3 des émissions de CO2 mondiales ont lieu dans le cadre de l’agriculture, et à partir de là, il ne faut pas longtemps pour entendre parler des vaches: les vaches diaboliques, avec leurs flatulences bourrées de méthane. Remarquons que les revues et les journaux les plus renommés utilisent le terme correct de bovins, car ce ne sont pas seulement les bovins femelles adultes qui rejettent du méthane.
D’après la plupart des articles sur ce sujet, nous en élevons et en consommons tellement qu’ils réchauffent littéralement notre atmosphère par leurs flatulences. Les bovins sont des ruminants. Les ruminants digèrent tous plus ou moins de la même façon et rejettent tous du méthane. Les girafes, cerfs, moutons, bisons et antilopes en sont des exemples. Certains autres animaux comme les chameaux ou les hippopotames digèrent de façon similaire.
Y avait-il vraiment tellement moins d’animaux rejetant du méthane il y a 500 ans que de nos jours? Les chiffres ne sont que des estimations. Et même si c’était le cas : est-ce vraiment le méthane des vaches qui détruit le climat?Le méthane est un gaz à effet de serre environ 30 fois plus puissant que le CO2, cela ne fait aucun doute (1, 2, 3, 4).
Lorsque sa concentration s’élève dans l’atmosphère, il réagit avec l’oxygène et se dégrade en CO2 et en eau, y reste – un certain temps – et participe à l’augmentation des températures globales. Cependant, le méthane est également la nourriture de certaines bactéries vivant dans le sol et l’eau. Ces bactéries vivent littéralement de méthane et d’oxygène et produisent comme « déchets » du CO2 et de l’eau. Le méthane fait également partie des biogaz (jusqu’à 93 % de la totalité du méthane est utilisé dans les biogaz).
Il est libéré lors de l’extraction minière de charbon, d’huile brute et autres produits similaires, et est l’« ingrédient » principal du gaz de pétrole. Sa concentration dans l’atmosphère a plus que doublé depuis 17505. Dans les mêmes articles que ceux mentionnés ci-dessus, on apprend souvent que le CO2 est stocké dans les plantes et les arbres, et que les forêts tropicales sont nos plus grands réservoirs de CO2 et sont les plus aptes à fixer le CO2. Bouclons le cercle.
Le méthane est la nourriture de bactéries vivant dans le sol et l’eau. Celles-ci produisent du CO2 et de l’eau, qui sont à leur tour stockés dans les plantes et les arbres qui, en absorbant le CO2 de l’atmosphère, libèrent de l’oxygène. En résumé, le méthane est un gaz contenant du carbone pouvant être employé de multiples façons par la nature. Tant qu’il reste près du sol, bien entendu.
Revenons aux vaches : sont-elles donc néfastes pour notre climat? Réfléchissons une seconde sur la façon dont nous les élevons de nos jours: en Europe, la plupart d’entre elles vivent en étable tout au long de l’année. Le méthane qu’elles rejettent est recueilli à l’intérieur de l’étable (avec le reste de l’air) et relâché dans l’air loin au-dessus du sol par une cheminée, une sortie d’air conditionné ou des fenêtres. Leurs excréments sont stockés collectivement dans une cuve à lisier ou une fosse septique avant d’être dispersés dans les champs par des tracteurs à essence ou d’être brûlés dans des usines de biogaz.
Au cours de ce processus, l’environnement ne peut à aucun moment récupérer le méthane, le consommer, le dégrader et le stocker sous forme de CO2 dans des plantes et des arbres avant qu’il ne s’élève dans l’atmosphère. En Amérique du Nord comme du Sud, la plupart des bovins sont élevés dans des parcs d’engraissement (feedlock). Les parcs d’engraissement n’ont pas de murs ou de cheminées mais les bovins y sont tellement entassés qu’il n’y a ni herbe, ni arbres, ni buissons et la terre est tellement polluée par les excréments que les bactéries aérobies comme celles se nourrissant de méthane et d’oxygène y connaissent une vie difficile, lorsqu’elles arrivent à y subsister.
Et quand bien même ces bactéries produiraient du CO2 dans le sol, celui-ci ne pourrait pas être stocké dans une plante parce que rien ne pousse dans ces parcs d’engraissement. Et que mangent les bovins? Nous les nourrissons de blé, de soja et de céréales diverses, essentiellement la même chose que ce que nous donnons aux cochons et aux volailles. Certes, ils reçoivent aussi de l’ensilage, et pour quelques chanceux, du foin et de l’herbe coupée. En prenant ces éléments en compte, les bovins ont un effet plutôt néfaste sur notre climat.
Surtout en comparaison avec les cochons et la volaille. Mais réfléchissons, nous les nourrissons de blé, de soja et de céréales? Les bovins ne sont-ils pas des ruminants? Ne mangent-ils pas de l’herbe? Eh bien… nourris d’herbe et de foin, ils ne grandissent pas aussi vite et ne produisent pas autant de lait. Donc… nous préférons leur expédier du blé et du soja par bateau et par camion. Et pendant l’été? Non, au pâturage, ils ne reçoivent pas assez d’énergie et utilisent trop d’énergie à se déplacer, donc ne grandissent pas aussi vite et ne produisent pas autant de lait.
Nous préférons leur couper de l’herbe avec des tracteurs et la leur apporter. Et comment fertilisons-nous les pâturages et les champs? Nous déversons leur fumier dans les pâturages et les champs en utilisant des tracteurs à essence émettant du CO2 et tassant le sol. Marche-t-on sur la tête? Ce n’est pas fini: le blé, le soja et les céréales rendent les bovins malades. En plus de problèmes de sabots (l’un des signes cliniques de l’acidose, liée à ce régime alimentaire), ils ont aussi des problèmes d’estomacs6.
Leurs quatre estomacs sont parfaits pour extraire toute l’énergie de l’herbe, des feuilles, de la mousse et autres grâce aux bactéries et micro-organismes présents en parfait équilibre dans leurs estomacs pour digérer la cellulose rigide et rendre disponible la moindre quantité d’énergie pour la vache. Elles mangent même deux fois – elles ruminent – afin de détruire plus de cellulose mécaniquement en mâchant des plantes à moitié digérées. Leurs estomacs ne sont pas faits pour le blé. Ni le soja. Ni les céréales. Manger un peu de blé n’est probablement pas dommageable.
Mais les rations de nourriture contiennent bien trop peu de « matière sèche », comme le foin, l’ensilage ou la paille dans ce contexte. La conséquence la plus visible est une diarrhée constante. La moins visible est certainement les morts subites dues à une perforation de l’estomac7. Le pire dans tout ça est que cela est considéré comme normal. Très peu de vétérinaires considèrent cela comme un véritable problème. Pour la première fois cette année, un vétérinaire a déclaré dans un documentaire allemand sur les vaches laitières diffusé nationalement que la plupart des bovins avaient des problèmes d’estomac (telle une diarrhée constante), et que la raison était qu’ils recevaient une nourriture non adaptée.
Il n’y a à notre connaissance aucune étude scientifique sur ce sujet. Comment savoir s’il s’agit bien de diarrhée et non de fèces normales? Avec un œil un tant soit peu exercé, il est facile de repérer les différences évidentes entre les déjections provenant d’animaux nourris avec des rations d’herbe, de foin et d’ensilage, et celles provenant d’animaux nourris avec des rations bourrées de blé, de soja et de céréales, pourtant considérées comme « normales »…
Alors que pouvons-nous faire? Que se passe-t-il si nous élevons des bovins au pâturage et que nous les nourrissons d’herbe et de foin? Ils grandissent moins vite et produisent moins de lait. Mais ils coupent leur propre herbe, fertilisent le sol où ils se trouvent, vivent d’énergie que les humains ne peuvent pas utiliser et travaillent la terre en douceur. Les agriculteurs qui envoient leurs bovins dans les champs après la récolte pour qu’ils se nourrissent de la paille restante et des céréales tombées s’économisent le labour, l’engrais, l’essence, du temps et du travail.
Ils évitent un nouveau tassement du sol. Ils possèdent également des bovins qui peuvent exprimer leur comportement naturel, qui se nourrissent de nourritures différentes et variées, qui sont physiologiquement capables de se déplacer, qui peuvent bénéficier du soleil, sentir la pluie, résister à la grêle, prendre un bain (de boue), au moins avec les pieds, explorer le terrain et expérimenter la vie en troupeau. Cela semble-t-il négatif?
Cela semble même plutôt bien, du point de vue d’une vache ou d’un être humain qui se soucie du bien-être animal: la bienveillance envers les animaux dans l’agriculture comme effet secondaire. Cela s’appelle faire d’une pierre deux coups. Pour l’agriculteur, cela semble raisonnable: moins de rendement de la part des bovins en termes de lait et de viande, mais moins d’investissement en termes de travail et d’argent. Bien sûr, l’organisation doit alors être différente. Au-delà même de ces considérations, cela semble également être une bonne option pour le climat.
Soyons clairs : NON, les bovins ne sont pas des tueurs de climat. Les bovins peuvent couper leur propre herbe. Les bovins peuvent utiliser l’énergie de plantes que nous ne pouvons pas transformer. Les bovins peuvent aider à conserver la biodiversité en gardant les paysages ouverts et en produisant un sol en bonne santé contenant une diversité de micro-organismes. Les bovins peuvent fertiliser nos pâturages et nos champs.
Ils peuvent faire tout ce travail pour nous et sans utiliser le moindre millilitre d’essence. Ils peuvent faire cela sans être en compétition avec nous, les humains, pour leur nourriture. Ils peuvent faire ça sans tasser le sol et sans tailler en pièce les oisillons d’oiseaux nichant au sol et les faons à la récolte ou au labourage. Oui, ils produisent toujours des gaz, mais ils sont entourés d’un environnement qui peut absorber, capter et utiliser leurs flatulences.
Les bovins, vu la façon dont nous les élevons et nous les nourrissons, font partie d’une énorme machine « de production » de nourriture que nous les humains avons inventée et mise en place et qui est néfaste pour le climat. Cependant, les ruminants exhalant du méthane existaient déjà bien avant. Nous devrions prendre nos responsabilités pour régler le vrai problème et ne pas en rejeter toute la faute sur les vaches. C’est la nôtre, et uniquement la nôtre. Les bovins peuvent être utiles et respectueux du climat comme seuls les ruminants peuvent l’être : ils vivent d’une énergie que nous ne pouvons pas utiliser. Si seulement nous les laissions faire.
Katharina Graunke
Traduit de l’anglais par Juliette Caseau
- Myhre, G., D. Shindell, F.-M. Bréon, W. Collins, J. Fuglestvedt, J. Huang, D. Koch, J.-F. Lamarque, D. Lee, B. Mendoza, T. Nakajima, A. Robock, G. Stephens, T. Takemura and H. Zhan : Anthropogenic and Natural Radiative Forcing. In : Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, United, Kingdom et New York, NY, USA. http://www.climatechange2013.org/images/report/WG1AR5_Chapter08_ FINAL.pdf
- Shindell, D. T., Faluvegi, G., Koch, D. M., Schmidt, G. A., Unger, N., & Bauer, S. E. (2009). Improved attribution of climate forcing to emissions. Science, 326(5953), 716-718.
- Keppler, B.K., Ding, A. 1997, Chemie für Biologen, Spektrum Akademischer Verlag, Heidelberg. Shindell, D. T. ; Faluvegi, G.; Koch, D. M.; Schmidt, G.A.; Unger, N. et Bauer, S. E. (2009): Improved attribution of climate forcing to emissions. Science 326, No. 5953, pp. 716–718.
- Satellitenbild der Woche: Riesiges Methanleck in den USA entdeckt. Dans: SPIEGEL.de. 11 octobre 2014. http://www.spiegel.de/wissenschaft/weltall/satellitendaten-zeigen-methan-ausstoss-der-usa-a996542.html
- Klöpffer, W. (1990). Atmosphärisches Methan als Treibhausgas. Umweltwissenschaften und SchadstoffForschung, 2(3), 163-169.
- Pour en savoir plus: Jarrige, Robert, ed. Nutrition des ruminants domestiques: ingestion et digestion. Editions Quae, 1995. http://www.quae.com/fr/r535nutrition-des-ruminants-domestiques.html
- Pour les germanophones, voir le reportage « Verheizt für billige Milch – Das Leiden der deutschen Turbokühe » (Epuisées pour du lait bon marché : les souffrances des turbovaches allemandes), ARD, 20 juillet 2015 (disponible jusqu’au 19 juillet 2016) : http://www.ardmediathek.de/tv/ReportageDokumentation/Verheizt-f%C3%BCr-billige-Milch-DasLeiden-/Das-Erste/Video?documentId=29615400&bca stId=799280
Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.