CR: Il faut continuer de marcher – Mémoires

Allain Bougrain-Dubourg, Éditions de La Martinière, 448p., 2015 (20,90€).

Point n‘est besoin de présenter Allain Bougrain Dubourg. Il occupe, on le sait dans le domaine de la protection animale, la situation d’un militant exemplaire et d’un maître à penser. Il est donc particulièrement heureux qu’il nous présente ici une sorte de bilan de sa vie depuis son enfance. Le père d’Allain était résistant, pendant la dernière guerre, sous le nom de « Monsieur Allain », d’où l’origine des mystérieux deux « l » du prénom de l’intéressé.

Et après la guerre, lorsque son père entre en politique, « étrange enfance que la mienne, bercée de souvenirs mondains, de soirées merveilleuses organisées par mes parents auxquelles écrivains et ministres assistent volontiers » (p. 10), avec, en parallèle, une éducation très stricte : « Vous apprendrez avec les fils de marins-pêcheurs qu’il n’y a pas que des privilèges dans la vie! nous lance mon père » (p.11).

Le ton de l’ouvrage est, on le voit, extrêmement vivant et le livre se lit comme un roman. Très tôt intéressé par la nature, l’enfant se passionne pour le Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, où il est en pension. Le week-end, il parcourt les plages où « chaque marée, hélas, reflue déjà son lot d’oiseaux mazoutés» (p.20). Au Muséum, il rencontre François Chanudet, un scientifique dont l’influence va le marquer. « François bat en brèche les idées reçues qui pénalisent tous les serpents » (p. 27).

Fort des expériences qu’il réalise dans le monde animal, l’enfant « entre par la grande porte dans l’univers animalier » (p. 30), qui ne le quittera plus. Il devient le correspondant de Jean-Paul Steiger, fondateur du club des Jeunes amis des animaux (JAA) et fait, avec ce club, ses débuts dans le journalisme. Nous assistons ensuite aux premiers essais professionnels du jeune homme, à ses premières conférences sur les reptiles dans les lycées, à l’élevage qu’il maintient chez lui de serpents ou de fennecs, à l’apprentissage du dressage de fauves avec quelques déboires qui enseignent qu’« avant tout les bêtes n’ont pas été créées pour le bon plaisir des hommes » (p. 69).

Par suite, « ce dressage (…), je l’ai désormais en horreur » (p 71). Un peu plus tard, l’auteur rencontre Antoine Waechter, futur candidat écologiste aux présidentielles. Durant son service militaire, Allain apporte certains de ses serpents au ministère des Armées, où il travaille, et, du coup, se retrouve… chez les psychiatres! Le jeune homme développe ensuite des expositions animalières itinérantes, comme le Pavillon de la Nature, qui ont un grand succès, même si ses démonstrations de manipulation des vipères le conduisent parfois à l’hôpital : « Ne manipulez plus les vipères (…), la prochaine morsure sera fatale » (p. 95), lui disent les médecins. « À tort ou à raison, je n’ai pas suivi leur conseil » (p. 95).

La rencontre avec le biologiste Jean Rostand aura d’heureuses conséquences. Rostand suggère à Allain de se présenter au concours de la Fondation de la vocation, où Allain est couronné comme lauréat: « pour la première fois (…), j’ai la conviction que mon engagement est à la fois reconnu et apprécié » (p. 105). Dans le cadre de son Pavillon de la Nature, Allain adopte de nombreux animaux, dont un félin sud-américain, un margay, qui a, hélas, mis en liberté près de la maison familiale, sera tué par un chasseur qui « avait tiré pour savoir ce que c’était! » (p. 115). « Cet épisode ne manqua pas (…) de me révolter contre l’irresponsabilité de certains chasseurs » (p. 115).

S’enchaînent alors les émissions télévisées: « que de courses éperdues ai-je menées dans les couloirs de TF1… » (p. 134) et aussi les débuts du militantisme écologique qui a fait la gloire d’Allain (comme la lutte contre la marée noire qui atteindra, en 1976, l’île d’Ouessant). En 1973, nous retrouvons Allain accompagnant Jean-Claude Nouët (futur fondateur de la LFDA) et son épouse sur le quai de la Mégisserie à Paris pour protester contre les « conditions déplorables de détention et de vente des animaux » domestiques et sauvages dans les animaleries (p. 153), et peu après lors d’une action « commando» montée par « les Nouët » pour dénoncer publiquement l’entreprise Tropicanim spécialisée dans l’importation et la vente d’animaux sauvages, à Meaux.

Cet épisode donne à l’auteur l’occasion de nous exposer les abominations du trafic d’animaux sauvages, d’autant qu’« à ce triste bilan s’ajoute un mal sûrement plus grave, celui du bouleversement des milieux naturels. La forêt tropicale est assassinée… » (p. 163). Viennent ensuite des actions contre le massacre des bébés phoques du Canada, aux côtés de Brigitte Bardot: « entouré de cadavres encore fumants, je crois sincèrement avoir atteint le fond de l’horreur » (p. 180).

De longs développements relatent les rapports affectueux que l’auteur a pu nouer avec la star et les combats qu’ils ont pu mener ensemble par la suite, comme celui qui concerne le trafic d’ivoire. Allain intervient aux côtés de l’association Œuvre d’Assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), contre « les conditions médiévales qui prévalent dans le négoce de chevreaux sur certains marchés provinciaux » (p. 196).

Face à un domaine alors tabou, celui de l’expérimentation animale, Allain produit un film retentissant. « Notre film, Autopsie d’un sacrifice, ne plaide pas l’abolition de la recherche, mais dénonce les abus sans la moindre complaisance » (p.204). Il intervient à nouveau avec l’OABA pour que l’Administration décide enfin d’envoyer à l’abattoir le plus proche un bovin blessé, pour lui éviter des souffrances de transport inutiles (et inadmissibles).

C’est aussi l’occasion pour Allain de nous raconter ses aventures comme conseiller au ministère de l’Agriculture, puis ses visites auprès de François Mitterrand, auprès de Konrad Lorenz, auprès d’Indira Gandhi qui « me répond dans un français parfait » (p. 256), auprès de Marguerite Yourcenar, son amitié avec Michel Drucker et Dany Saval, sa femme, et bien sûr, ses innombrables émissions télévisées. Il n’est évidemment pas possible de relater ici toutes les actions « de terrain » effectuées par Allain au cours des années pour libérer des animaux de boucherie, comme, par exemple, des chevaux : « À mon sens, tous les animaux méritent notre respect, et plus particulièrement ceux avec lesquels nous entretenons des relations de tendresse et de proximité » (p. 253).

Nous assistons aux combats d’Allain, en collaboration avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), contre les abus de la chasse aux oiseaux migrateurs, comme au col d’Organbidexha dans les Pyrénées ou au col de l’Escrinet en Ardèche: « J’ai pourtant la conviction que (…) les “bons chasseurs” gagneraient à condamner les “viandards” » (p. 283). Nous participons aux missions de l’auteur en Afrique aux côtés de sa compagne, la chanteuse Jeane Manson, qui lui donnera un enfant « qui répond au doux nom de Marianne » (p. 317).

Nous suivons l’auteur quand il accepte, à la demande d’Antoine Reille, de devenir président de la LPO: « Aujourd’hui mon cœur bat pour la LPO » (p. 335). Il s’ensuit de nombreuses actions de protection des oiseaux, parfois en collaboration avec Dominique Voynet, comme, par exemple, la gestion des conséquences catastrophiques de la marée noire due au naufrage de l’Erika, « la plus grande catastrophe ornithologique que nous ayons connue » (p. 343).

Il s’ensuit aussi une cause qui a rendu Bougrain-Dubourg célèbre : la lutte pour les tourterelles du Médoc, à propos de laquelle on a su la difficulté à faire respecter la loi, ainsi que les violences exercées contre les militants écologistes par les braconniers du Médoc. On le voit: il s’agit d’une vie tout entière consacrée à la protection des animaux et que l’auteur sait nous conter sur un mode particulièrement attachant, en y mêlant des souvenirs tendres ou émouvants de sa vie personnelle. Le livre intéressera tous les publics. « Allain, il faut continuer de marcher » (p. 385).

C’est le message donné, lors de ses derniers instants, par Théodore Monod à Allain Bougrain-Dubourg, et qui a fourni le sous-titre de l’ouvrage. « À l’évidence, l’idée de reconsidérer l’animal avec davantage de respect n’est pas encore passée dans nos mœurs » (p. 428), mais « l’urgence impose désormais de passer à l’action » (p. 443). Gageons que l’auteur continuera, avec la même énergie et la même passion, ses combats contre les situations, qui restent innombrables, de misère animale. À la LFDA, nous sommes, bien sûr, de tout cœur avec lui.

Georges Chapouthier

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