CR: Requiem pour les bêtes meurtries – essai sur la poésie animalière engagée

Françoise Armengaud, Éditions Kimè, 2015

Ces dernières années ont vu la parution d’innombrables ouvrages de philosophie ou droit sur la question animale et nos colonnes s’en sont fait l’écho. En revanche peu d’auteurs se sont penchés sur la place de la question animale dans la poésie d’aujourd’hui. C’est justement le grand mérite du présent ouvrage, dédié « à tous les animaux péris sous la botte de l’humaine brutalité et dont on voudrait qu’ils sachent un jour que des poètes les ont aimés » (p. 9).

L’ouvrage qui cite de manière variée et éclectique des poètes de l’Antiquité comme des poètes de la modernité, se divise en six chapitres : « Le sang je ne veux pas le voir… » (verser le sang), « Dans la forêt sans heures… » (consacré à la dévastation écologique des territoires), « Et en ce lieu gisait blessé par un chasseur… » (la chasse), « Interdite et déroutée une bête… » (consacré à la cruauté), « Tard dans la nuit d’août » (consacré à la boucherie) et « Plus jamais le sang des bêtes » (ne pas verser le sang). Errons ensemble au fil des pages.

Verser le sang fait notamment appel au sang des taureaux, déversé dans les corridas, et largement évoqué par Garcia Lorca, à qui fait écho André Verdet (p. 28) : (…) Massacre de la Saint-Barthélemy Massacre du Biafra (…) Carnage des Phoques des Truites des Baleines Et des Goujons (…)

Sang de la vie mais aussi sang de la terre, comme le rappelle Aimé Césaire ou comme le suggérait déjà dans l’Antiquité le poète latin Ovide. Cet abus de sang rejoint la dévastation de la nature, dont l’homme reste le principal responsable. Arbres qu’on abat, comme le peint Supervielle (p. 35), mort de la forêt et de ses hôtes, brossée par Leconte de Lisle (p. 40), la nature a la fragilité du tatou du poème de l’Américaine Élisabeth Bishop (p 45).

La question de la chasse rencontre le poème sur le cerf blessé de Shakespeare qui donne son titre au chapitre, mais aussi les assassins des oiseaux, mentionnés (p. 60), dès le Ve siècle avant notre ère, par le poète grec Aristophane, ou un peu plus tard par Ovide. Pour la cruauté, on retrouvera l’admirable poème de Victor Hugo, où un crapaud, laid et martyrisé par les humains, est ménagé et respecté par la bonté d’un âne.

La danse (macabre) du rat pris au piège, contée par poète anglais Ted Hughes (p. 76) est de la même veine. La question de l’expérimentation animale n’est pas oubliée et renvoie aux poèmes de Jacques Rimant comme « laideur cosmétique » (p. 72). La boucherie est évoquée dès l’Antiquité par Lucrèce à propos de la douleur de la vache séparée de son veau, abattu pour un sacrifice. Mais le thème de l’abattage est repris par Lorca (p. 90) ou par Prévert (p. 93)…

Une conclusion s’impose : « Ne pas verser le sang » et on retrouve là une position plus fondamentalement philosophique, à laquelle on peut associer Empédocle d’Agrigente aussi bien que Gourou Nânak, fondateur en Inde du sikhisme, « religion considérée comme alliant la mystique soufi de l’Islam et la spiritualité de l’hindouisme » (p. 110).

Nânak fait notamment référence à la non-violence hindoue, l’« ahimsa ». La plupart de ces poèmes métaphysiques brassent une conception végétarienne du monde, qui est l’un des axes qui traverse la pensée du respect de l’animal de l’Antiquité à nos jours. Et nous terminons notre promenade sur le texte puissant du groupe de rock britannique The Smiths : « Meat is Murder » (p. 116), où Françoise Armengaud affirme sa profession de foi végane et qui constitue comme la clé de voûte de l’ouvrage.

Tous ceux qui aiment la poésie et qui se soucient du bien-être animal trouveront à penser, ou à rêver d’un monde meilleur, dans ce livre riche et original, qui, comme les différentes traditions philosophiques qui le sous-tendent, aborde toutes les facettes de la question animale.

Georges Chapouthier

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