La pratique du « gingering » : l’élégance a un prix

À une époque où les revendications sociétales relatives au bien-être des animaux semblent avoir pris une importance jusqu’alors inégalée, à l’heure où l’on ne se contente plus d’interdire les mauvais traitements mais où l’on recherche le bien-être de l’animal qui, au-delà de la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux propres à l’espèce, prend également en compte une dimension psychologique en lui évitant peur et anxiété, force est de constater la persistance au-delà des frontières de pratiques anciennes irrespectueuses et parfois cruelles envers l’animal.

Si l’invocation de la tradition locale ininterrompue permet de justifier le maintien de certaines de ces pratiques d’un point de vue réglementaire, comme c’est le cas en France par exemple pour les courses de taureaux ou les combats de coqs1, d’autres, plus « discrètes », moins connues, persistent au sein même de milieux où la préservation de la santé de l’animal et de son bien-être sont nécessaires à sa bonne utilisation.

Ainsi en est-il de la pratique du gingering consistant à placer une substance irritante sous la queue d’un cheval, en région périanale ou à l’intérieur même du rectum (ou du vagin) afin de créer une irritation et un inconfort obligeant le cheval à lever la queue. Comme son nom l’indique, du gingembre peut être utilisé à cette fin, mais nombreuses sont les substances irritantes qui, comme le poivre, l’oignon, le tabac, voire même le kérosène, ont d’ores et déjà été testées afin de rendre l’animal plus élégant aux yeux de l’Homme.

Pratique assez courante en début de XXe siècle parmi les vendeurs de chevaux, notamment en Bretagne, et ayant pour but de donner à la bête une allure factice, elle semble persister malheureusement encore à l’heure actuelle sur les rings de concours de beauté aux États-Unis, et ce malgré l’interdiction explicite des organisateurs.

Au-delà de l’irritation recherchée, l’usage de cette pratique peut entraîner des dommages beaucoup plus graves et parfois irréversibles comme la lésion de tissus. Afin de lutter efficacement contre cette pratique dont la détection n’est pas toujours aisée, certains scientifiques, comme Turner et Scoggins2 ont proposé en 1985 d’utiliser la thermographie permettant de donner de façon non invasive une image thermique de chaque animal et révélant ainsi les zones anormalement enflammées.

A priori, l’usage de cette méthode ne s’est toujours pas développée puisque trente ans plus tard, le problème persiste et qu’en 2007, un dictionnaire « moderne vétérinaire »3 note que « le placement par voie vaginale est plus efficace que l’insertion anale, parce que l’irritant est susceptible de rester en place plus longtemps », avant de conclure que « le gingering serait considéré comme un acte de cruauté dans toute communauté civilisée ».

Qu’elle soit anecdotique, sous-estimée ou bien même considérée comme trop lointaine pour être digne de s’y intéresser, la pratique du gingering illustre toutefois de manière significative à quel point les limites de la reconnaissance de l’animal comme « être sensible » peuvent être repoussées quand il s’agit de préserver l’intérêt financier, honorifique ou même esthétique tel que défini par l’être humain.

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne


  1. Code pénal, art. 521-1 et R654-1.
  2. Turner TA & Scoggins RD (1985). Thermographic detection of gingering in horses. Journal of Equine Veterinary Science, 5(1): 8-10.
  3. Studdert VP, Gay CC & Blood DC (2011). Saunders comprehensive veterinary dictionary. Elsevier Health Sciences. (?) Audouin, Jean Victor. Dictionnaire classique d’histoire naturelle: Four – G. Rey ; Gravier, 1825.

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