L’animal dans le commerce international: présentation et articulation des systèmes de règlement des différends

Les États membres sont tenus par les accords internationaux qu’ils ont signés « Pacta sunt servanda: Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. » (Art. 26 de la convention de Vienne sur l’interprétation des traités).

Ainsi, les dispositions nationales protectrices de l’animal dépendent de normes mises en place au niveau supranational. Il existe différents forums d’encadrement du commerce international, tels l’Organisation mondiale du commerce, les Unions douanières et les traités de libre échange. Le premier forum relève du cadre multilatéral et les deux derniers sont des formes de régionalisme qui connaissent des degrés différents d’intégration.

Certains forums sont plus favorables que d’autres au développement de normes nationales de bien-être animal et de protection des espèces sauvages. Les systèmes de règlement des différends mis en place par ces instances internationales jouent un rôle important dans la mise en œuvre des règles internationales et nationales relatives aux animaux.

Les mérites et les faiblesses de l’OMC et des traités de libre-échange, quant à la protection des animaux, ont été abordés lors du colloque intitulé « Le bien-être animal, de la science au droit» organisé par la LFDA et ce thème fera l’objet d’un article publié dans les actes du colloque.

Le présent article a pour objet de compléter la présentation des normes internationales faite à l’Unesco le 11 décembre 2015 et d’appréhender les rapports complexes qui existent entre leurs systèmes de règlement des différends, qu’il s’agisse de litiges inter-étatiques ou de litiges entre un investisseur et un État.

I. Présentation du système de règlement des différends de l’OMC

L’OMC dispose d’un seul système de règlement des différends, qui est ouvert aux seuls États : il s’agit de « l’Organe de règlement des différends » (ORD) qui est régi par un des accords de l’OMC intitulé « Mémorandum d’accord sur les règles et les procédures régissant le règlement des différends ». Son objectif est de mettre fin aux conflits inter-étatiques du commerce international qui nuisent au système multilatéral de libéralisation des échanges.

Ainsi, les particuliers (les investisseurs étrangers) sont exclus du système de règlement des différends de l’OMC, mais il ne s’agit pas d’un déni de justice pouvant être préjudiciable aux investisseurs puisqu’il a toujours été prévu qu’ils puissent agir en justice contre un État devant les tribunaux nationaux.

Le système de règlement des différends de l’OMC a beaucoup évolué lors des négociations multilatérales de l’OMC du cycle de l’Uruguay (1986-1995) : sa procédure, devenue plus efficace qu’à l’époque du GATT, a permis à l’OMC de devenir « une véritable organisation de régulation du commerce mondial »1.

Il s’agit désormais d’un mécanisme de nature quasi juridictionnel2. La « jurisprudence » multilatérale (c’est-à-dire d’envergure mondiale) de l’OMC, dont certaines décisions récentes ont été très favorables à l’animal, forme les balbutiements d’un droit applicable à l’animal dans le commerce international.

Le système de sanction de l’organe de règlement des différends vise davantage à mettre fin à la violation des traités de l’OMC par un État membre qu’à punir celui-ci : les sanctions sont des contre-mesures économiques, comme l’augmentation des droits de douane sur un produit provenant de l’État fautif, qui sont en principe temporaires.

En conséquence, ce système est peu générateur de gel normatif de normes éthiques. L’article 23.1 du mémorandum d’accord sur le règlement des différends prévoit un recours exclusif à l’ORD : « Lorsque des Membres chercheront à obtenir réparation en cas de violation d’obligations ou d’annulation ou de réduction d’avantages résultant des accords visés, ou d’entrave à la réalisation d’un objectif desdits accords, ils auront recours et se conformeront aux règles et procédures du présent mémorandum d’accord. »

Le caractère exclusif de ce système de règlement des différends a d’ailleurs été confirmé par l’ORD dès lors que les « États cherchent à obtenir réparation en cas de violation des accords visés »3.

II. Présentation des systèmes de règlement des différends des traités de libre-échange

Contrairement aux accords de l’OMC, les traités de libre-échange prévoient souvent deux formes de règlement des différends : Le premier système est ouvert aux seuls États parties au traité et concerne les litiges relatifs à l’interprétation du traité lorsqu’un État considère que l’autre partie n’a pas respecté ses engagements.

Ces dispositions se situent généralement dans les chapitres relatifs à la procédure ou au règlement des différends des traités. Le second système protège les investisseurs étrangers en leur permettant de poursuivre un État qui n’a pas respecté les termes du traité devant un tribunal arbitral international. Ces dispositions se situent dans les chapitres relatifs aux investissements.

A. Le règlement des litiges entre États parties à l’accord :

Les modalités du règlement des différends entre États au sein d’un traité de libre-échange varient d’un traité à l’autre : il peut s’agir d’une clause de conciliation entre États auprès d’une instance créée par le traité ou encore du recours à un groupe arbitral. Cette logique s’apparente, et entre en concurrence directe, avec le système de règlement des différends de l’OMC puisque le règlement des litiges commerciaux internationaux entre États risque d’être soustrait au forum de l’OMC pour être redirigé vers celui du traité.

Deux traités de libre-échange sont étudiés dans le cadre du présent article: l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l’accord économique et commercial global (AEGC) dit « traité CETA»4:

L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) :

Le règlement des différends entre États parties à l’ALENA est régi par le chapitre XX du traité. Ces dispositions prévoient une phase consultative préalable, puis, le cas échéant, la constitution d’un « groupe spécial arbitral » à la demande d’une partie. Les personnes composant les groupes spéciaux d’arbitrage sont choisies pour leur objectivité et font l’objet d’une liste préétablie par États parties au traité.

La sanction prononcée par le groupe spécial arbitral est une compensation ou la suspension d’avantages économiques (articles 2018.2. et 2019.1 du traité).

Le système de règlement des différends de l’ALENA est particulier en ce qu’il fragmente le contentieux commercial inter-étatique: en parallèle du traité ALENA, les parties ont négocié un accord dans le domaine de l’environnement intitulé ANACDE.

Celui-ci institue la commission de coopération environnementale (CEE) dont le but est la protection de l’environnement et la prévention des litiges commerciaux en lien avec l’environnement.

Le gouvernement canadien affirme à ce propos que l’ANACE est assorti « d’un mécanisme solide de résolution des différends prévoyant des pénalités financières ou des sanctions commerciales, ainsi que d’un cadre de mise en œuvre d’activités en collaboration. ».

Ainsi le système de l’ALENA prévoit un choix entre le forum de l’OMC et celui du traité ALENA, mais affirme l’exclusivité de sa compétence pour les litiges relatifs à l’environnement (il existe dans le cadre de l’ALENA d’autres domaines de compétence exclusive mais ceux-ci ne concernent pas directement l’animal et ne sont pas détaillés dans cette contribution).

L’accord économique et commercial global (AEGC) dit « traité CETA » :

Le traité CETA est considéré comme l’initiative «la plus ambitieuse du Canada, plus vaste et plus approfondie que l’Accord de libre-échange nord-américain ». À l’instar de l’ALENA, le traité CETA met en place un système de règlement des différends entre États. Celui-ci est considéré par les signataires du traité comme « le plus novateur de tous les accords de libre-échange conclus par le Canada […] beaucoup plus rapide que le processus de règlement des différends de l’OMC ».

Les dispositions relatives aux litiges inter-étatiques se trouvent dans le chapitre 33 du traité et « s’appliquent à tout différend portant sur l’interprétation ou l’application des dispositions du présent accord » (article 14.2), mais le traité CETA prévoit une clause de répartition des compétences entre l’OMC et son propre système de règlement des différends: l’État demandeur dispose d’un choix entre la saisine de l’OMC et de l’instance du traité CETA (article 14.3).

B. Le règlement des litiges entre État et investisseurs

La logique est différente de celle du système OMC et du règlement des litiges entre États au sein d’un traité de libre-échange. La finalité des Investor-state dispute settlement (ISDS) est de protéger les investisseurs afin de promouvoir les échanges commerciaux. En effet, en cas d’instabilité politique ou de mauvaise foi d’un État, un investisseur étranger peut être victime d’expropriation directe ou indirecte.

Dans le premier cas, une autorité publique peut contraindre un particulier à céder sa propriété, dans le second cas, une loi mise en place par l’autorité publique peut anéantir la rentabilité de l’investissement. Les investisseurs étrangers bénéficiaient déjà d’un recours devant les tribunaux étatiques mais ceux-ci peuvent manquer de neutralité lorsque le défendeur est l’État lui-même.

Le recours à un tribunal arbitral international offre aux parties un cadre juridictionnel neutre pour les litiges relatifs aux investissements internationaux, mais il n’est pas sans risques pour les lois nationales éthiques et doit être solidement encadré. L’ISDS est un système de règlement des différends qui s’ajoute à celui prévu par le traité de libre-échange pour litiges entre États puisqu’il vise des parties différentes.

Ainsi, contrairement aux clauses de règlement des litiges entre États, les ISDS n’entrent pas en concurrence directe avec le système de règlement des différends de l’OMC. Cependant, les arbitres des tribunaux arbitraux sont amenés à examiner les dispositions du traité qui sont identiques à celles examinées par les instances inter-étatiques prévues par le traité, et similaires aux dispositions de l’OMC.

Le système OMC se trouve donc affaibli en raison d’un risque de déplacement du contentieux vers le règlement des litiges inter-étatiques des traités bilatéraux et de décisions contradictoires des litiges inter-étatiques ou entre investisseurs et États qui nuisent à la cohérence et à la gouvernance du droit du commerce international.

Le traité ALENA et le traité CETA prévoient un ISDS afin de protéger les investisseurs. Le chapitre XI de l’ALENA prévoit un recours devant un tribunal arbitral du CIRDI. Il s’agit d’une alternative aux actions des investisseurs étrangers devant des tribunaux nationaux de l’État défendeur à l’action en justice. Les dispositions relatives à l’ISDS du traité CETA se situent au chapitre X du traité.

III. L’articulation des différents systèmes de règlement des différends

A. La similarité des dispositions de l’OMC et des dispositions des traités de libre-échange :

Les traités de libre-échange comportent généralement des dispositions relatives aux mesures sanitaires et phytosanitaires, aux obstacles techniques au commerce (telles les formalités aux douanes) et au traitement identique des produits nationaux et des produits issus de l’État partie à l’accord.

Ces règles sont similaires aux dispositions contenues dans les accords de l’OMC, notamment à l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), à l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et à la clause de traitement national de l’article III du GATT.

Certains traités, comme le traité CETA, vont plus loin en incorporant par référence les dispositions des accords de l’OMC. Les mesures de l’OMC et du traité de libre échange sont alors identiques.

À titre d’exemple, l’article 2.1 du chapitre XX du traité CETA énonce que « les dispositions ci-après de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce de l’OMC (ci-après l’« Accord OTC ») sont intégrées au présent accord. » Il s’agit notamment de l’article 2 de l’Accord OTC qui régit les règles applicables à l’étiquetage, et encadre à ce titre la mention des méthodes éthiques de production sur les produits importés.

Lorsque des dispositions, similaires voire identiques sont susceptibles d’être portées devant plusieurs instances de règlement des différends (l’OMC, le règlement des litiges inter-étatique du traité de libre échange et l’ISDS du traité de libre échange), la question du choix du forum se pose. De nombreux auteurs de doctrine ont exprimé leur inquiétude face au risque de chevauchement des compétences entre les systèmes de règlement de différends5.

B. L’incidence des ISDS sur les normes éthiques et sur le contentieux de l’OMC

La compétence des tribunaux arbitraux des ISDS ne pose pas de difficultés pratiques: dès lors que le demandeur à l’action n’est pas un État mais un investisseur étranger, le tribunal arbitral mentionné par l’ISDS sera l’instance compétente. Cependant, leur existence a une incidence néfaste sur les lois de protection des animaux et sur le contentieux issu de l’OMC puisque ces litiges, qui sont très onéreux, viennent s’ajouter aux sanctions économiques prises lors du règlement des litiges inter-étatiques de l’OMC ou des traités de libre-échange et augmentent ainsi le risque de gel normatif des règles éthiques.

En outre, les ISDS dont les décisions arbitrales constituent une jurisprudence relative aux mêmes dispositions et obligations que celles prévues par les accords de l’OMC, entre des parties différentes, éloignent davantage le contentieux commercial issu du traité de libre-échange du cadre multilatéral de l’OMC.

Enfin, la multiplication des instances de règlement des différends du commerce international nuit à la création d’une jurisprudence cohérente et globale. Cohérente car ces différentes instances risquent de rendre des décisions contradictoires concernant une même disposition du commerce international, et globale car la portée de la décision des tribunaux arbitraux des ISDS (et celle des groupes spéciaux arbitraux entre États) est limitée à un traité donné, ce qui entraîne une fragmentation du contentieux commercial international.

C. L’incertitude doctrinale et pratique relatif aux litiges entre États

La règle de principe : un contentieux détourné de l’OMC

La situation est plus délicate lorsqu’il s’agit de départager l’Organe de règlement des différends de l’OMC du système prévu par le traité de libre-échange, puisqu’il existe une identité des dispositions invoquées et une identité des parties à l’action. La solution pourrait être simple : les accords de l’OMC autorisent par dérogation la création de traités de libre-échange (article XXIV 5. du GATT), et prévoient que l’Organe de règlement des différends n’est compétent que pour interpréter ses propres accords (Article 1 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends).

Dès lors, l’organe de règlement des différends devrait pouvoir se prononcer sur les seuls litiges ayant trait à l’OMC et être exclu en cas de traité de libre-échange. En effet, il s’agit de la règle de principe, mais des exceptions tempèrent cette règle.

Exception 1 : l’intégration par référence d’articles des traités de l’OMC dans le traité de libre-échange

L’article 30 de la convention de Vienne sur les règles d’interprétation des traités indique que : «Lorsqu’un traité précise qu’il est subordonné à un traité antérieur ou postérieur ou qu’il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité, les dispositions de celui-ci l’emportent. »

L’incorporation de dispositions de l’OMC (le traité antérieur) dans un traité de libre-échange postérieur revient à subordonner explicitement le traité de libre échange aux accords de l’OMC et notamment à son mémorandum d’accord sur le règlement des différends.

Le recours à l’ORD pour traiter les questions de l’OMC, pourtant formellement incluses dans un traité de libre-échange serait donc conforme aux règles internationales d’interprétation des traités.

À titre d’exemple, le traité CETA incorpore dans ses dispositions certains articles ou accords de l’OMC et prévoit un choix entre l’instance de règlement des différends de l’OMC et celle du traité.

Ceci affaiblit le développement d’un contentieux qui commence à se montrer respectueux de l’animal au sein de l’OMC mais présente l’avantage de répartir les compétences et d’éviter ainsi tout risque de décisions contradictoires.

Exception 2 : la compétence de l’OMC sans intégration explicite des normes de l’OMC

La règle précitée, accordant une compétence à l’OMC en cas d’incorporation par référence, ne devrait plus s’appliquer lorsque les traités de libre-échange affirment explicitement qu’un litige doit être porté devant une juridiction spéciale. En effet, dans cette situation, le traité ne « précise » pas « qu’il est subordonné à un traité antérieur » au sens de la convention de Vienne précitée, c’est-à-dire à l’OMC.

L’OMC considère pourtant, dans un effort de conserver le contentieux dans le champ de compétence de son organe de règlement des différends, que « Le recours au système de règlement des différends de l’OMC est possible lorsqu’un Membre considère qu’un avantage résultant pour lui directement ou indirectement des accords de l’OMC est compromis par les mesures prises par un autre membre»6.

Le caractère « direct » renvoie à l’incorporation par référence (une subordination explicite à un traité antérieur au sens de la convention de Vienne précitée) alors que le caractère « indirect » renvoie à une subordination implicite à ce traité et constitue ainsi un fondement douteux à la compétence de l’ORD de l’OMC.

En outre, certains auteurs de doctrine, et certains États considèrent que lorsque le litige concerne formellement un traité de libre-échange, le contentieux devrait être porté devant le système de règlement de différends de ce traité et non devant celui de l’OMC7.

Cette volonté de l’OMC d’attraire le contentieux international des traités de libre-échange devant l’ORD peut être saluée, puisqu’elle permet le développement d’une « jurisprudence » commerciale globale et cohérente qui est, depuis peu, assez favorable à l’animal. Mais elle semble difficilement justifiable d’un point de vue juridique lorsque le traité de libre-échange ne précise pas explicitement sa volonté de subordonner ses dispositions à celles de l’OMC ou n’offre pas explicitement un choix entre les deux forums.

Par ailleurs cette tendance de l’OMC risque d’entraîner des décisions contradictoires si aucun de ces deux systèmes de règlement des différends ne choisit de se dessaisir de l’affaire…

Katherine Mercier


  1. M. Rainelli, l’Organisation mondiale du commerce, collection repères, p. 64. 
  2. Id. 
  3. Rapport sur le commerce mondial 2011, L’OMC et les accords préférentiels: de la coexistence à la cohérence p. 173; citant le rapport de l’Organe d’appel États-Unis/Canada – maintien de la suspension d’obligations, paragraphe 371.
  4. Acronyme anglais issu des termes « Comprehensives Economic and Trade Agreement ».
  5. Rapport sur le commerce mondial 2011, L’OMC et les accords préférentiels: de la coexistence à la cohérence p. 172.
  6. Id.
  7. Henri Culot, Le commerce international entre bi- et multilatéralisme; OMC et accords régionaux: les relations entre les mécanismes de règlement des différends, éd. Larcier p. 209.

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