Requiem pour les oiseaux ou le paradoxe du chat domestique

Le chat domestique est devenu l’animal de compagnie préféré des Français. Plus de 12 millions de chats domestiques sont aujourd’hui présents dans nos foyers, sans compter les chats errants. Le chat a été domestiqué depuis 5 000 ans, en partie pour son rôle de chasseur et de prédateur des rongeurs jugés ravageurs, et cette prédation devient aujourd’hui un problème pour la biodiversité, non simplement de nos jardins, mais aussi d’écosystèmes complets.

En Nouvelle-Zélande, où un chat tuerait en moyenne 65 animaux (oiseaux, amphibiens, micro-mammifères) par jour, 40% des espèces endémiques d’oiseaux auraient ainsi disparu. En Australie, une solution radicale a été prise le 16 juillet 2015 d’euthanasier 2 millions de chats afin de stopper l’extinction d’espèces endémiques estimées aujourd’hui à 27 espèces pour les mammifères.

Cette solution d’euthanasier les chats soulève de nombreuses réactions de la part des associations de défense de l’animal et le Gouvernement australien a dû expliquer son action par une lettre écrite à la Fondation Brigitte Bardot le 9 octobre 2015 (réf.: MS15-002277).

Le problème est en effet complexe. Ainsi, un projet français de recherche a été lancé en collaboration avec le MNHN, la SFEPM et la LPO. Ce projet a pour but, entre autres et grâce à la recherche participative, de mieux comprendre l’impact des chats domestiques sur la biodiversité en France. Au sein de l’enseignement en éthique animale à l’université de Strasbourg, nous avons également organisé une conférence sur ce thème afin d’énumérer et peser les solutions qui pourraient être proposées pour contrer ce fléau.

Nous avons cependant été étonnés de voir la réaction de personnes lors de l’invitation à la conférence, surtout de personnes faisant elles-mêmes partie d’association de protection animale. Elles s’étonnaient de voir que nous traitions d’un tel sujet alors qu’il serait peut-être plus important de traiter d’autres sujets tels que les animaux élevés pour la fourrure, la corrida, la chasse et bien d’autres encore.

Il nous semblait donc essentiel de répondre à cela et de comprendre ce qu’implique l’éthique animale :

  1. Bien sûr, il y a d’autres sujets à traiter en éthique animale et c’est ce que nous nous efforçons de faire à Strasbourg ou à la LFDA par exemple, mais prioriser et hiérarchiser les sujets au détriment d’autres n‘est pas une solution. Cela s’apparente à de la dévalorisation et rappelle le sophisme le plus employé par les détracteurs de la défense animale consistant à s’insurger que l’on puisse penser aux animaux quand des humains souffrent et meurent de faim. À quoi Théodore Monod répondait que ce n’est pas parce qu’il y a pire ailleurs qu’on ne peut rien faire ici. L’équité et la considération doivent être les mêmes quelle que soit l’espèce animale et ses intérêts, ou nous entrons alors dans le sentimentalisme et donc le spécisme.
  2. En deuxième point, il est important de redéfinir que ce que l’animal ressent comme douleur et ce que l’on peut en apercevoir et interpréter sont bien deux concepts distincts. Qui peut démontrer qu’une souris ou un oiseau ressentent moins de douleur lorsqu’un chat joue avec eux jusqu’à la mort, qu’un taureau sous les coups du matador ? En éthique animale, nous devons nous attacher à mesurer objectivement la douleur de l’animal qu’elle soit visuelle ou non et ne pas hiérarchiser encore une fois la douleur en fonction du sang qui coule et de l’émotion que cela suscite chez nous.
  3. En troisième point, il est important de prendre en considération les intérêts des animaux ou l’utilitarisme. La valeur d’une vie d’un oiseau est la même, pour l’oiseau lui-même ou pour les humains que la valeur d’une vie d’un taureau, sauf si nous considérons l’éthique environnementale et l’importance écosystémique de l’espèce d’oiseau en question. Au minimum, les 12 millions de chats domestiques en France tueraient chaque année près de 300 millions d’animaux, soit un peu plus de 9 par seconde. Au maximum, ce serait près de 780 millions d’animaux qui seraient tués chaque année par nos félidés, soit près de 25 par seconde. L’impact de cette prédation est plus important pour certaines espèces que pour d’autres, en particulier pour les espèces migratrices et souvent en danger d’extinction. Ces dernières seraient plus prédatées du fait d’une perte énergétique accrue lors de la migration et d’une méconnaissance de l’environnement1-2. Il ne faut donc pas négliger les conséquences que les actes de nos animaux de compagnie préférés ont sur la biodiversité mais également la souffrance qu’ils infligent à chacune de leur proie. Nous sommes maintenant conscients de ce fléau, et étant conscient de ce fléau nous sommes, humains, autant responsables de laisser se commettre ces actes que d’autres actes de souffrance animale tel que le broyage des poussins, la corrida ou la chasse à la baleine. Le chat domestique (et le chat errant) ne fait pas parti d’un écosystème clos, il a été sélectionné et amené là par l’homme. Quant aux solutions qu’il faut trouver pour diminuer cet impact, l’euthanasie est bien sûr une solution extrême.

D’autres solutions sont possibles

  • un collier avec une cloche,
  • l’obligation de la stérilisation,
  • une autorisation de posséder un seul chat par foyer
  • mais pour appliquer ces solutions,
  • nous devrons d’abord passer par une prise de conscience des citoyens,
  • en particulier des propriétaires de chats et des défenseurs des animaux eux-mêmes3 qui sont pour l’instant encore totalement ignorants de l’urgence et de la gravité de la situation.

Cédric Sueur


  1. Woods, M., McDonald, R. A., & Harris, S. (2003). Predation of wildlife by domestic cats Felis catus in Great Britain. Mammal review, 33(2), 174-188.
  2. Loss, S. R., Will, T., & Marra, P. P. (2013). The impact of free-ranging domestic cats on wildlife of the United States. Nature communications, 4, 1396.
  3. Lohr, C.A. et al.; Costs and Benefits of Trap-NeuterRelease and Euthanasia for Removal of Urban Cats in Oahu, Hawaii. Conservation Biology Article first published online: 25 Sep 2012 DOI: 10.1111/j.15231739.2012.01935.x

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