Il semble que depuis 1999 l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) a renoncé à publier chaque année les bilans des nombres d’animaux tués à la chasse. Si l’ONCFS fait vraiment son travail, il doit pourtant continuer à effectuer des enquêtes annuelles, absolument nécessaires en tant qu’indicatrices de l’état de la faune « gibier », et de l’importance de la prédation exercée sur elle par la chasse.
Mais les résultats restent dans les tiroirs. On ne peut que continuer à faire référence à des chiffres datant de 15 ans. Ils ont probablement diminué depuis, puisque le nombre de chasseurs a fortement décru, sans que l’on puisse pourtant chiffrer exactement leur effectif actuel : il est surestimé par les milieux dirigeants de la chasse, soucieux de ne pas avaliser le déclin. Le total serait inférieur à 1 million, en diminution de plus d’un tiers depuis 15 ans.
Le bilan des gibiers abattus devrait lui aussi avoir évolué, et dans les mêmes proportions. Celui de 1999, auquel on s’accroche faute d’en disposer d’un plus récent, totalisait une trentaine de millions d’animaux, dont 5 millions de pigeons ramiers, 5 millions de faisans, 4,5 millions de grives, 3,2 millions de lapins, perdrix grise et perdrix rouge, 1,5 million de canards colverts, 1,2 million de bécasses, etc., ainsi que 41 000 cerfs, 500 000 chevreuils, 450 000 sangliers.
Aujourd’hui, le total pourrait donc être de 20 millions ; on n’ose pas dire « seulement » de 20 millions ! Car il s’agit toujours d’un massacre général de la faune par la chasse, sous couvert de « régulation » et de « gestion ». Passe encore que l’on utilise ces termes pour le sanglier, lequel n’a plus de prédateurs naturels et prolifère, parce qu’il est nourri artificiellement par « l’agrainage » et surtout parce qu’il est élevé pour être relâché comme gibier.
Mais que l’on ne parle pas de régulation et de gestion raisonnée pour les perdrix, la bécasse, les grives, les canards, les oies, l’alouette, les tourterelles, la caille, les lièvres, et tant d’autres parmi les 84 espèces classées « gibier » flingués sans discernement, sans respect, et sans autre motif avouable que la distraction, sous le vocable abusif de « sport », deuxième derrière le football en nombre d’adeptes…
Les chasseurs seraient donc essentiellement des « sportifs » ? Le sport conserve, paraît-il; on ne voit pas bien comment celui-ci pourrait agir bénéfiquement sur la physiologie, comme le jogging, la natation, la gymnastique. D’autant que ce « sport » semble aussi tuer.
Outre les quelque 20 millions d’animaux qui en sont victimes inutiles, s’ajoute notre propre espèce, certes dans de moindres proportions. Comme chaque année, c’est seulement en juillet prochain que nous pourrons disposer du relevé des accidents et décès survenus durant la saison de chasse actuelle.
Nous ne manquerons pas de les commenter, et de les comparer aux relevés de la saison 2014-2015 publiés en juillet 2015. Ce sont ces derniers que nous allons examiner ci-dessous, après consultation de deux documents fiables, l’un très détaillé publié par La Buvette des alpages (2), l’autre assez succinct établi par l’ONCFS (3).
La Buvette des alpages indique que la saison de chasse août 2014-mars 2015 s’est soldée par 42 décès, dont 17 directement causés par la chasse, 19 survenus à la chasse, et 6 dus à une cause indéterminée ou dite « naturelle ». Parmi les 17 accidents de chasse : 12 chasseurs tués par un autre chasseur, 4 tués par leur propre arme, plus un non-chasseur ; et parmi les 19 accidents à la chasse : 7 dus à des chutes, à des noyades, 5 lors du transport vers la chasse ou au retour de la chasse, 6 par cause naturelle, plus 1 suicide.
Le bilan ONCFS rapporte 122 accidents dont 14 mortels, dont « aucun non-chasseur » ; il souligne que la baisse des accidents se poursuit, 14 pour 16 durant la saison 2013-2014, et il est complété par quelques commentaires concernant le type d’arme (fusil à bascule, semi-automatique…), le type de chasse (au grand gibier pour les 2/3 des cas), et les causes directes des accidents : tir sans identifier la cible, tir injustifié sans gibier, tir en direction des participants à la traque, utilisation de chevrotines, et âge proportionnellement plus élevé que la moyenne des chasseurs.
La Buvette mentionne aussi une baisse du chiffre des décès : 17 au lieu de 18 dans l’année 2013-2014. Mais dans les deux bilans, les baisses signalées sont bien minimes et n’ont pas de valeur statistique. Les statistiques de La Buvette sont fondées sur les renseignements reçus d’informateurs locaux, tenus de mentionner date, commune, département, explications, sources…
En sorte que le bilan Buvette comporte la liste détaillée des accidents, mois par mois et presque jour par jour : ce sont des précisions très instructives ; totalisant 96 accidents, (dont les 17 mortels), il révèle des circonstances précises, variées, et parfois consternantes. Illustrons par quelques exemples choisis, en évitant de mentionner la date de l’accident, éventuellement indicatrice d’une identité :
- assis à son poste lors d’une chasse au chevreuil, un chasseur (65 ans) manipule maladroitement son arme, et se tue ;
- le corps d’un chasseur (72 ans) victime d’un probable arrêt cardiaque est trouvé dans un bois ;
- au retour de la chasse, un septuagénaire perd le contrôle de sa voiture, la mort ayant pu précéder l’accident ;
- le corps d’un chasseur de 74 ans est trouvé au pied d’une falaise ;
- lors d’une battue au sanglier, un chasseur de 63 ans a tué raide une femme de 47 ans ;
- un chasseur de 77 ans se blesse grièvement en tombant du haut d’une palombière ;
- un chasseur de 62 ans est trouvé mort au bas d’un à-pic ;
- lors d’une battue au chevreuil, un chasseur de 71 ans en blesse un autre aux jambes ;
- un chasseur de 65 ans est tué d’une balle en plein cœur, tirée par l’un ou l’autre de deux autres chasseurs, âgés de 67 ans, dont l’un se suicidera le lendemain ;
- le corps d’un homme de 58 ans est retrouvé, sans blessure, son fusil près de lui – un chasseur de 70 ans, assis à son poste, se tue d’une balle en pleine tête ;
- en voulant achever un sanglier avant de le transporter, un chasseur en tue un autre ;
- un chasseur septuagénaire en blesse grièvement un autre en posant son arme ;
- un chasseur se donne une décharge mortelle en franchissant un ruisseau ;
- trois joggeurs reçoivent des giclées de plombs tirés par deux chasseurs sur un faisan ;
- un chasseur de 66 ans est foudroyé par un accident cardiaque ;
- un chasseur de 80 ans tire sans identifier la cible, tue son compagnon de 45 ans, et meurt lui-même le lendemain d’une crise cardiaque ;
- posté sur un mirador, un chasseur de 70 ans laisse tomber son fusil dont la chute au sol déclenche le tir, qui le blesse ;
- lors d’une battue au sanglier, un chasseur de 84 ans en tue un autre ;
- un homme de 34 ans se tue en nettoyant son fusil ;
- pendant une partie de chasse, un homme de 79 ans blesse grièvement au visage son beau-frère âgé de 87 ans ;
- chargé par un sanglier, qu’il réussit à éviter, un chasseur décède d’un malaise ;
- parti faire l’ouverture de la chasse, un homme de 68 ans décède subitement ;
- un chasseur de 82 ans se tue en tombant d’une palombière ;
- en croyant tirer sur des merles dans un cerisier, un septuagénaire blesse grièvement son fils qui ramassait les cerises. Etc.
Parmi les causes et les circonstances des accidents comme des décès relevées par l’ONCFS, figure bien l’âge proportionnellement plus élevé que la moyenne des chasseurs, mais sans qu’il soit insisté comme il le faudrait ni sur l’importance de l’état physiologique des individus et le danger qu’ils présentent pour autrui comme pour eux-mêmes, ni sur les mesures à prendre.Or, l’âge est un facteur de risque considérable.
Et ce risque pourrait être évité : voyons pourquoi et comment. Si la délivrance initiale du permis de chasser est soumise à la production d’un certificat médical attestant que « la santé physique et psychique est compatible avec la détention d’une arme » (code de l’environnement, art. L.423-6*), en revanche les validations ultérieures du permis, annuelles ou temporaires, n’exigent pour condition que le demandeur lui-même certifie « sur l’honneur » qu’il « ne se trouve pas dans l’un des neuf cas prévus » qui font obstacle à cette validation, parmi lesquels le fait d’être atteint « d’une affection médicale ou d’une infirmité […] rendant dangereuse la pratique de la chasse » (formulaire Cerfa 10803-04).
Ces affections sont détaillées à l’article R.423-25* du code : infirmité ou mutilation empêchant un tir précis et sûr, existence de troubles moteurs, sensitifs ou psychiques affectant vigilance, équilibre, comportement, un déficit visuel ou auditif ainsi qu’une intoxication chronique ou un traitement médicamenteux compromettant l’appréciation de l’objectif et de ses environs.
Or il est d’observation médicale courante qu’un individu porteur d’une affection telle que mentionnée ci-dessus n’est capable ni d’en estimer le degré, ni d’en apprécier les conséquences, sans compter la possibilité, voire la tentation de la cacher volontairement.
De plus, l’âge avançant, la capacité de reconnaître l’existence d’une affection ou d’une infirmité s’émousse, jusqu’à se perdre (anosognosie).
Puisque l’on sait que « l’âge proportionnellement plus élevé que la moyenne des chasseurs » est en cause dans la dangerosité de la chasse, comme l’avait déjà montré il y a vingt ans une analyse de l’ONC révélant que 50 % des accidents impliquent des chasseurs de plus de 50 ans, des dispositions spéciales auraient dû être prises depuis longtemps : elles ne l’ont pas été. Et encore aujourd’hui aucun des 152 députés membres du « Groupe chasse et territoires » (dont 19 sont âgés de plus de 60 ans) ne semble disposé à en proposer.
Quelles pourraient-elles être?
- La liste des affections mentionnées dans le code doit être précisée, voire quantifiée parce que cela est souvent possible (vue, audition, équilibration, limitation des mouvements), afin d’éliminer des appréciations subjectives, inutilisables en cas de procédure, pénale comme civile;
- Au-delà de 50 ans, la certification annuelle doit être établie et signée par un médecin à l’issue d’une consultation spéciale, lequel pourrait être agréé par la compagnie d’assurance à laquelle souscrit le chasseur ;
- En deçà de 50 ans, la «certification sur l’honneur » pourrait être conservée, mais à la condition absolue qu’une fausse attestation soit traitée en tant que parjure ;
- La formation préalable au permis de chasser et l’examen doivent concerner les limitations médicales à la capacité de détenir et d’utiliser une arme de chasse ; 5.
- Les facilitations accordées aux « anciens », telle l’organisation imprudente de battues à l’intention des chasseurs du 3è voire du 4è âge doivent être proscrites.
Ce sont-là des demandes que renouvelle la Fondation LFDA depuis plus de trois décennies, sans résultat. Elles se justifient d’ailleurs pleinement par le simple fait que les pratiquants du tir sportif doivent, quel que soit leur âge, produire chaque année un certificat médical d’aptitude, alors que ce tir s’effectue dans des stands aménagés, sous surveillance et obligatoirement en tant que membre d’une association ou d’une fédération de tir. Pourquoi donc les chasseurs « sportifs » ne sont pas soumis aux mêmes règles?
Alors chaque année, surviennent à la chasse accidents et morts, que la FNC semble se satisfaire de voir en nombre décroissant. Certes, mais c’est une apparence, car cette décroissance se révèle exactement parallèle à celle du nombre des chasseurs! Il y a une quinzaine d’années, ils étaient encore 1,4 million ; on comptait alors quelque 165 accidents de chasse dont une trentaine mortels.
Aujourd’hui, il y en a 122 pour 1 million : il n’y a donc aucune décroissance vraie, quoi qu’affirme l’ONC. La raison évidente est que les causes de ces accidents sont restées identiques, avec au premier rang l’âge des personnes concernées qui dépasse la cinquantaine. L’absence d’initiatives de la part des élus et notamment des 152 du groupe chasse, initiatives pourtant nécessaires pour renforcer la sécurité, pourrait avoir pour origine le désir corporatiste de préserver « l’image » de la chasse « réunion conviviale », et celle des chasseurs « usagers de la nature » au même titre sportif que les randonneurs ou au titre pacifique des ramasseurs de champignons.
On s’empêche de penser que seulement 142 accidents par an pourraient justifier de ne pas légiférer
Qui se risquerait à aller dire ça aux parents d’un garçon de 20 ans, tué raide par un chasseur de 61 qui l’avait pris pour un chevreuil, comme cela s’est produit en Isère en octobre dernier, ou à l’épouse d’un homme de 45 ans, tué par un chasseur de 80 ans ? Le nombre ne fait rien à l’affaire, et n’y aurait-il qu’une seule mort par coup de fusil, ce serait une de trop, parce qu’une réglementation mise à jour par référence au simple bon sens aurait pu, ou plutôt aurait dû l’empêcher.
Jean-Claude Nouët
- www.buvettedesalpages.be/accidents-de-chassefrance.html
- http://www.oncfs.gouv.fr/Chasser-dans-les-reglesru18/Bilan-des-accidents-de-chasse-2014-2015news1810
NOTE : En complément de notre encart de soutien au « Collectif pour le dimanche sans chasse » (dimanche-sans-chasse.fr, voir revue n° 87, p. 14), un sondage IFOP de janvier 2016 montre que 8 Français sur 10 souhaitent que le dimanche devienne un jour non chassé. Sachant que c’est le jour où surviennent le plus d’accidents liés à la chasse, la libération du dimanche est une véritable question de « santé » publique…
Article publié dans le numéro 88 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.