Un colloque pour « positionner le vétérinaire comme l’expert garant du bien-être animal »
Le 24 novembre 2015 s’est tenu un colloque intitulé « Vétérinaire, le professionnel garant du bien-être animal » au palais du Luxembourg à Paris*.
Quatre de nos administrateurs y ont été invités par l’ordre national des vétérinaires : Mme Suzanne Antoine, ancienne présidente de cour d’appel et secrétaire générale de la LFDA était invitée d’honneur ; M. Louis Schweitzer président, est intervenu sur le sujet de la définition scientifique et la perception sociétale du bien-être animal (voir extraits de son intervention ci-dessous) ; M. Jean-Claude Nouët vice-président s’est exprimé sur l’animal d’expérimentation et enfin M. Alain Grépinet s’est exprimé sur l’expertise vétérinaire et, en particulier, a mis en avant la difficulté morale des vétérinaires en abattoirs lors de la mise à mort des animaux sans étourdissement préalable (notamment lors des abattages sans étourdissement).
Le président de l’ordre national des vétérinaires, M. Michel Baussier a d’ailleurs très clairement répondu à cette remarque lors de son discours de conclusion en prenant une position dont nous nous réjouissons très vivement. Ainsi, et enfin pour l’ordre:
« Tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace, préalablement à la saignée et jusqu’à la fin de celle-ci. »
Cette annonce illustre parfaitement la prise en compte par les vétérinaires de la thématique grandissante du bien-être animal, sur laquelle ils se positionnent maintenant officiellement. Si l’on reconnaît aux vétérinaires une autorité sans égale en matière de santé animale, cela peut ne pas être automatiquement le cas en matière de bien-être, et l’on ne peut que se réjouir que l’enseignement des principes du bien-être animal se fasse (heureusement) de plus en plus en écoles vétérinaires, ainsi que pendant la formation des inspecteurs de la santé publique vétérinaire.
Il faut donc saluer la volonté de l’ordre de faire inscrire officiellement le bien-être animal au sein des missions du vétérinaire. En témoigne l’ordonnance n°2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’ordre des vétérinaires, qui a permis de graver dans le code rural l’article suivant: « [Le vétérinaire] peut participer à toute action dont l’objet est d’améliorer la santé publique vétérinaire, y compris le bien être animal » (L242-1).
Sophie Hild
Intervention de Louis Schweitzer, président de la LFDA (extraits)**
(reproduit après enregistrement, avec l’autorisation de l’ordre national des vétérinaires) […] J’ai été très frappé d’un avis donné par le Conseil scientifique consultatif du ministère allemand de l’Agriculture, qui déclare: « Le système actuel d’élevage n’est plus viable à l’avenir; il ne sera socialement plus admis. »
Par conséquent, nous sommes dans un moment où les choses changent; elles changent beaucoup moins vite qu’elles ne le devraient, mais j’ai le sentiment d’une accélération du changement. Effectivement, nous sommes passés d’une situation d’élevage de proximité de l’éleveur et de ses animaux qui ne se retrouvera pas à l’identique à l’avenir, à un système de production, d’entreprises de production qui ont tendance à se massifier.
Ce système est sans doute économiquement efficace. Cependant, il ne va pas pouvoir continuer. Les Allemands ont évalué, et c’est important, la nécessité de changer le système en affirmant qu’il faudrait accroître de 13 à 23 % les coûts de l’élevage. Lorsque l’on sait ce que sont les marges des agriculteurs aujourd’hui, nous mesurons ce que cela signifie. Nous ne sommes pas dans un petit aménagement de détails.
[…] La recherche sur le bien-être est un objet essentiel de la recherche agronomique. […] Je dis que c’est un objet de recherche parce qu’il existe deux champs où il y a encore beaucoup à progresser. D’abord, évaluer la réalité du bien-être d’un animal. […] La réponse à la question « Un animal est-il heureux? » ne va pas de soi.
C’est un sujet de recherche. Un second sujet de recherche est le suivant : comment peut-on évaluer rapidement, par exemple lorsqu’on est vétérinaire, et qu’on visite un élevage, si ces animaux sont heureux ? Nous voyons bien qu’il s’agit d’un sujet différent du premier. Il s’avère essentiel parce que la réglementation veut aller d’une obligation de moyens à une obligation de fins.
À propos de l’augmentation de la taille des cages de poules, beaucoup de personnes ont dit: « nous augmentons de 40 % la taille des cages, mais les poules sont-elles vraiment plus heureuses avec cette taille supplémentaire? » Nous disons qu’avec une obligation de moyens, il existe tout de même une possibilité de contrôler la taille des cages. En revanche, le fait que les animaux y soient « bien » reste quelque chose de beaucoup plus difficile à contrôler. Il faut donc mettre en place une recherche sur les techniques de contrôle du bien-être animal.
[…] Cela conduit à remettre en cause beaucoup d’éléments de nos pratiques actuelles. Notamment sur un sujet comme l’évolution génétique. Au fond, les animaux sont de moins en moins des êtres naturels. Ce sont des êtres que nous faisons évoluer et la génétique peut dégrader l’aptitude au bien-être des animaux. La recherche génétique doit être surveillée de façon particulière pour éviter de créer des animaux
- on pense à certaines espèces bovines
- inaptes au bien-être,
ce qui, à mes yeux, est quelque chose d’éthiquement insupportable. Il faut également que les organismes de recherche, aux côtés des vétérinaires, soient des prescripteurs de bien-être auprès de tous ceux qui sont engagés dans l’élevage. L’INRA est prescripteur d’un modèle à suivre dans l’agriculture végétale.
Il faut que l’INRA devienne un prescripteur de bien-être et dans ses propres élevages expérimentaux, ce qui, hélas, n’est pas encore toujours le cas. Il est très difficile de prêcher la bonne parole quand on ne l’applique pas à soi-même. […] Ajoutons, de plus, comme nous l’avons rapidement évoqué, la formation, qui est un enjeu essentiel, ainsi que la dimension internationale. L’Europe a été un élément essentiel de la dynamique du progrès du bien-être animal.
Aujourd’hui, il y a dans tous les pays une sorte de résistance à la sur réglementation européenne. Nous voyons bien que cette résistance nationale est un vrai problème pour le progrès du bien-être animal. Nous constatons que si le libre-échange doit ne comporter aucune clause sur le bien-être animal, il sera destructeur de celui-ci.
Si des produits qui ne sont soumis à aucune contrainte et dont le coût de production sera plus bas viennent en compétition avec ceux de nos éleveurs – alors soumis à l’augmentation de 13 à 23 % que j’évoquais –, nous connaîtrions une résistance au progrès de bien-être de la part éleveurs, ce qui serait de leur part une sorte de résistance vitale. Ils déclareraient: « Vous avez sans doute raison, mais nous ne pouvons pas le supporter.» Il ne faut pas mettre les éleveurs dans cette situation.
[…] Jusqu’à il y a peu, la perception sociétale était souvent en retard sur la réglementation, mais en ce moment elle évolue plus vite, pour commencer à être en avance sur elle. Nous avons fait allusion aux grandes entreprises qui ne vendent plus d’œufs de poules élevées en batteries; elles ne le font pas du fait de la réglementation, mais de la perception sociétale.
Je connais un peu le monde de l’entreprise, et je sais qu’aujourd’hui pour beaucoup de grandes entreprises, et notamment celles qui ont une marque, le risque de réputation est le premier risque. La maltraitance animale est pour ces grandes entreprises de l’alimentation un risque de réputation majeur. Je pense qu’effectivement la perception sociétale est aujourd’hui en avance sur la réglementation. Elle va tirer la réglementation, je l’espère, et également les comportements.
- Retrouvez plus de détails sur le colloque des vétérinaires ainsi que la retranscription de l’intégralité des interventions sur: https://www.veterinaire.fr/connaitrelordre/actualites/colloque-du-24-novembre-2015.html
- Retrouvez l’allocution intégrale de M. Schweitzer au colloque de la LFDA « Le bien-être animal, de la science au droit » dans le cahier spécial « colloque » adjoint à cette revue.