Pour ses 130 années d’existence, la revue Le Chasseur Français a été reçue à l’Élysée à la fin de 2015 pour un entretien de 40 min avec le président de la République. L’entretien a été publié dans le numéro de novembre 2015 de ce mensuel; cette rencontre avait été organisée et convenue entre les services de communication, l’un de la présidence, l’autre de la chasse, les deux parties pensant y trouver chacune son avantage : pour les chasseurs, se parer de la caution présidentielle, pour le président, saisir une occasion de passer un message à un million de citoyens, à supposer évidemment que tous les chasseurs lisent ce magazine …
Ainsi, les chasseurs ont pu, sous couvert de ruralité, insister sur leur rôle économique, social, écologique, et sur leur engagement bénévole pour la nature et la communauté. De son côté, le président Hollande a pu développer longuement son attachement à la campagne, son souci de mettre fin au « sentiment de délaissement que rencontrent nos concitoyens ruraux », son admiration pour notre « agriculture reconnue pour sa qualité » et pour notre « industrie agro-alimentaire puissante », sa détermination à revitaliser le monde rural, son souci d’y maintenir les stations-service, d’y multiplier les bornes électriques, d’y assurer la rénovation thermique des logements. Vaste programme rural.
Mais il a fallu au président, en échange de cette tribune ouverte à des considérations générales rassurantes, prononcer les mots attendus de lui au sujet précis de la chasse. D’emblée, la question ouvre l’interview : « M. le président, qu’est-ce que ce magazine évoque pour vous ? », à quoi le président Hollande répond : « L’amour. Celui de la nature, de la campagne et de la ruralité. Il évoque aussi les rencontres ». Puis il poursuit en affirmant que « la chasse est bien plus qu’une tradition, c’est un engagement pour le respect des équilibres naturels », et en soulignant les avantages que « la chasse génère comme consommation et donc comme emplois », prenant pour exemples démonstratifs les vêtements, les chaussures, l’armurerie.
Il a affirmé ses regrets de voir les chasseurs « parfois déçus du manque de compréhension qu’ils peuvent rencontrer et des caricatures qui leur sont accolées, alors qu’ils entretiennent la flore et protègent la faune ». Le président, qui aurait découvert la chasse grâce à la Corrèze, a dit manifester « beaucoup de considération pour ceux qui défendent la nature, les chasseurs en font d’ailleurs partie », ces derniers donnant « de leur temps pour entretenir la nature, raison pour laquelle [il a] veillé à ce que leur représentants puissent siéger aux côtés des associations environnementales ».
Quant au loup, qui « est une espèce protégée », le président estime pourtant que l’on doit « décider du nombre de loups à abattre en fonction de l’évaluation des risques et de la croissance de la population de loups ». L’entretien s’est achevé sur ses quelques souvenirs d’enfant né à la campagne, allant chercher le lait à la ferme d’à côté, mangeant les poulets élevés à la maison, et ayant « toujours vécu avec des vaches dans des prés » ; et il se termine sur cette déclaration du président : « Vous êtes le magazine de la rencontre, de la rencontre de gens qui sans vous n’auraient jamais pu se connaître ».
Les chasseurs devraient être satisfaits : le président François Hollande voit dans la chasse un amour de la nature, une protection de la faune dans le fait de tuer par millions les animaux qui la composent, et un respect des équilibres naturels dans une prétendue gestion uniquement axée sur le maintien des espèces « gibier ».
Au bilan, chacun a donc trouvé son compte. Le président a été satisfait d’être à la fois revenu à la campagne et entré en campagne, Le Chasseur Français de l’avoir entendu louer la chasse, et les communicants d’avoir réussi leur coup. Si le lecteur ne s’arrête pas à l’interview, et feuillette ce magazine, il découvre un article vantant la chasse à la bécasse, un oiseau dont la raréfaction justifierait la protection totale, un autre donnant quelques recettes pour attirer et abattre les canards « qui se laissent plus aisément tromper », et toute une suite d’articles sur les techniques de pêche aux « carnassiers », brochets et perches.
Mais surtout, le lecteur a la déplaisante surprise de découvrir que l’opuscule Le Chasseur Français consacre sept pages à des publicités pour des rencontres chaudes, des téléphones roses, des confidences coquines, des révélations pour couples, des propositions érotiques et autres suggestions salaces. N’aurait-il pas été d’une primordiale prudence que les chargés de la communication de l’Élysée regardent à deux fois dans quel plat ils allaient mettre les pieds, sans risquer d’entrainer le président dans un voisinage peu honorable ?
En effet, reviennent à la mémoire les derniers mots de son interview s’adressant à ses visiteurs, représentants de la revue Le Chasseur Français : « Vous êtes le magazine de la rencontre, de la rencontre de gens qui sans vous n’auraient jamais pu se connaître ». Les annonceurs des pages roses 136 à 143 de la revue en question sont exactement du même avis…
Jean-Claude Nouët
Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.