Avec l’autorisation du Dr Jean-Paul Richier, du collectif Protégeons les enfants de la corrida (PROTEC), nous reproduisons ici les lettres ouvertes qu’il a adressées la première en août 2014 au Président de la République, au Premier ministre, et aux ministres de la Justice, des Affaires sociales et de la santé, de la Culture et de la communication, et la seconde en mars 2016.
Le 11 août 2014
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre,
Le Comité des Droits de l’Enfant (CRC, Committee on the Rights of the Child), organe des Nations Unies chargé de faire respecter la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990, a rendu en février 2014 son rapport sur le Portugal. Dans la Convention, le terme « enfant » signifie âgé de moins de 18 ans.
Dans son rapport, le Comité s’est dit préoccupé par l’état de santé physique et mentale des enfants qui participent à un apprentissage de la tauromachie et aux corridas liées à celle-ci, de même que par l’état de santé mentale et l’état émotionnel des enfants spectateurs exposés à la violence de la tauromachie. »
Le Comité, « en vue d’interdire à terme la participation des enfants à la tauromachie, invite instamment l’État partie à prendre les mesures législatives et administratives permettant de protéger tous les enfants qui participent à un apprentissage de la tauromachie et aux corridas, et aussi ceux qui assistent à la corrida en tant que spectateurs. » Il est ainsi demandé au Portugal de relever l’âge légal minimum pour participer ou pour assister à des corridas.
Et le Comité « engage instamment l’État partie à mener des campagnes de sensibilisation sur la violence physique et mentale liée à la tauromachie et sur ses effets sur les enfants. »
Soulignons tout particulièrement que le Comité estime, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres domaines, que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur la responsabilité parentale, et que l’État se doit donc d’intervenir. Ce principe avait été énoncé par le rapport Kriegel remis en 2002 au ministre de la Culture français : « en cas de heurt perpendiculaire entre la liberté d’un adulte et la protection d’un enfant mineur, c’est la protection de l’enfant qui doit l’emporter. »
Nous partageons complètement les pré-occupations du CRC, ainsi que maints professionnels des autres pays où se pratiquent des corridas. Il va de soi que ces préoccupations s›appliquent non seulement aux corridas portugaises, où le taureau est abattu hors la vue du public, mais à plus forte raison aux corridas espagnoles, dont le dernier tiers est consacré à la mise à mort en public de l’animal. Celles-ci sont pratiquées dans onze départements du Sud de la France. Le Comité des Droits de l’Enfant devrait rendre son rapport sur la France début 2016.
Nous souhaitons vous interroger sur les mesures réglementaires que le gouverne-ment a l’intention de mettre en œuvre d’ici là pour protéger les mineurs des corridas, compte -tenu des recommandations clairement exprimées par ce Comité :
1) Quel âge minimum le gouvernement entend-il imposer :
– pour l’inscription dans les associations dites « écoles taurines » dédiées aux courses sanglantes ?
– pour la participation aux spectacles tauromachiques sanglants, y compris les becerradas et les novilladas ?
– pour l’assistance aux spectacles tauromachiques sanglants, où il n’existe pas d’âge minimum requis, les enfants bénéficiant souvent au contraire de la gratuité ?
2) Le gouvernement va-t-il continuer à autoriser les écoles taurines dédiées aux courses sanglantes telles qu’elles existent, dès lors que leur raison d’être est d’accueillir des enfants à partir de 10 ans voire moins, pour les entraîner à plan-ter des banderilles et à tuer des veaux ?
3) Quel contrôle le gouvernement en-tend-il mettre en œuvre sur le prosélytisme exercé envers les enfants, dans le cadre d’attractions leur étant destinées à l’occasion des férias, ou dans le cadre d’activités périscolaires voire scolaires (confection d’affiches, exposés, sorties à thématique tauromachique, invitations de matadors…) ?
4) Quelles mesures le gouvernement en-tend-il mettre en œuvre pour sensibiliser les citoyens à la violence physique et mentale associée à la corrida et son impact sur les enfants ?
Signé Jean- Paul Richier, cosignataires Pr L. Bègue, Pr J. Leroy, Pr J-P. Marguénaud, Pr H. Montagner.
Le Comité des Droits de l’Enfant ayant renouvelé ses déclarations en 2015 puis en janvier 2016, une nouvelle lettre ouverte a été adressée le 11 mars 2016, par les mêmes signataires, au Président de la Ré-publique, au premier Ministre, au Ministre de l’Intérieur et au Garde des Sceaux.
11 mars 2016
Monsieur le Président, Monsieur le Pre-mier ministre, Monsieur le ministre, Mon-sieur le Garde des Sceaux,
Cette lettre fait suite à notre lettre d’août 2014.
En février 2014, le Comité des Droits de l’Enfant, organe des Nations Unies com-posé de 18 experts indépendants, char-gé de faire respecter la Convention rela-tive aux droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990, avait rendu son rapport sur le Portugal. Dans ce cadre, il avait fait part de ses préoccupations quant à l’im-pact des corridas sur les enfants (c’est-à-dire les mineurs), et émis des recomman-dations demandant à l’État portugais de protéger les enfants de la participation et de l’exposition aux corridas.
A la suite de ces conclusions, nous avions adressé le 11 août 2014 un courrier à Mon-sieur le président François Hollande pour demander les mesures que le gouverne-ment comptait prendre pour protéger les mineurs des corridas. Nous rappelions que le Comité des Droits de l’Enfant allait rendre son rapport sur la France début 2016.
Madame la Chef de cabinet nous avait ré-pondu le 8 septembre 2014 qu’elle avait transmis notre courrier à Monsieur le ministre de l’Intérieur, afin qu’il examine les points soulevés et nous tienne direc-tement informés de la suite pouvant être réservée à notre démarche.
Le Comité des Droits de l’Enfant a renou-velé ses préoccupations et ses recom-mandations concernant la corrida pour la Colombie en février 2015 puis pour le Mexique en juin 2015. Et fin janvier 2016, au terme de sa 71e session, il les a renou-velées pour le Pérou et pour la France.
Ainsi, il recommande à la France « d’ac-croître les efforts pour changer les traditions et les pratiques violentes qui vont à l’encontre du bien-être des enfants, ceci incluant l’interdiction de l’accès des enfants aux corridas et aux manifestations associées. »
C’est pourquoi, connaissant l’attachement historique, culturel et éthique de la France aux Droits de l’Homme, et ne doutant pas que depuis un an et demi les conseillers de Monsieur le ministre Cazeneuve se sont penchés sur nos préoccupations, nous vous demandons de nous communiquer les réponses du ministère de l’Intérieur. Notre démarche est en effet soutenue par de nombreux citoyens et associations demandant l’interdiction des spectacles sanglants de la corrida aux enfants et aux adolescents. Il est de notre responsabilité de protéger nos jeunes contre toutes les formes de violence. A côté des mesures réglementaires, nous souhaitons savoir si le gouvernement compte soumettre certaines mesures au Parlement, dans le même esprit que l’initiative législative soutenue par la majorité du groupe écologiste de l’Assemblée nationale en avril 2015.
La Chef de cabinet de la Présidence, le 4 avril, et le Chef de cabinet de Matignon, le 7 avril, ont répondu en indiquant qu’ils avaient rappelé ces correspondances au ministre de l’Intérieur, M. Bernard
Cazeneuve, en lui demandant d’informer leurs auteurs « de la suite qui pourra être réservée » à leur intervention. Le PROTEC n’a encore reçu aucune information venant du ministre.
Jean-Paul Richier
Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.