Après être resté longtemps timide dans ce domaine, l’Ordre national des vétérinaires se positionne maintenant dans les débats de société portant sur la relation entre les animaux et l’homme.
Depuis trois ans, le travail est intense au sein des conseils régionaux et du conseil national, une commission de réflexion éthique sur le vétérinaire et l’animal a été mise en place ainsi que des « référents régionaux éthique animale » qui échangent, correspondent, se réunissent.
À la fin de l’année 2015, l’Ordre avait, par exemple, pris position sur les conditions de mise à mort des animaux à l’abattoir. Il avait annoncé pour 2016 une prise de position sur la question de la corrida, en réponse à une interpellation, du reste interne à la profession, émanant d’un comité appelé le COVAC (Collectif des vétérinaires pour l’abolition de la corrida).
En réalité, le COVAC interpellait surtout l’Ordre, sur le comportement de vétérinaires regroupés au sein d’une association taurine, qu’il accusait de réaliser la promotion de la corrida.
Sur le sujet précis de la corrida, le travail a consisté tout à la fois en travaux de recherche bibliographique et en auditions de personnes – dont à la fois les vétérinaires opposés à la corrida à l’origine de la question et, bien entendu, les confrères « taurins ». S’agissant de ces derniers, il était essentiel de connaître et comprendre leurs explications et les motivations historiques de leur implication au sein d’une association de vétérinaires taurins. Les élus ordinaux se sont livrés à une étude méthodique de la douleur lors de la corrida. Un rapport interne d’étape avait été établi. Le fonctionnement des groupes ordinaux, associé à un travail considérable effectué dans le sacro-saint respect du principe de la contradiction, obéit à une lenteur institutionnelle quelque peu voulue, favorable au recul et à une certaine hauteur de vue, à l’opposé de toute agitation ou pression médiatique.
L’Ordre n’a pas esquivé la réponse à la question précise posée mais il a voulu considérer d’abord et avant tout le regard du vétérinaire en général sur le bien-être de l’animal, bien-être considéré en la circonstance de façon objective, scientifique. Il a voulu prioriser le questionnement éthique du vétérinaire. Cela en distinguant le citoyen qu’il est aussi et d’abord, évidemment parfaitement libre dans sa pratique d’activités légales, et le citoyen affiché comme vétérinaire, notamment quand il s’exprime publiquement, et plus encore quand il s’engage et quand il agit en tant que vétérinaire tenu au respect de principes d’éthique et d’un code de déontologie.
L’Ordre a ainsi clairement voulu prendre position sur la souffrance des taureaux lors de corridas. Et il a notamment énoncé :
« Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort d’animaux tenus dans un espace clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but d’un divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien-être animal. »
L’Ordre a renforcé sa position par la déduction suivante : « La dérogation dont la corrida bénéficie dans le code pénal confirme a contrario qu’elle est juridiquement considérée comme tenant ou pouvant tenir des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux. »
L’Ordre a surtout voulu, à travers l’exemple marquant et peut-être même extrême de la corrida, amener chacun des vétérinaires à s’interroger, dans le cadre du nouveau code de déontologie, celui publié en mars 2015, en tant que professionnel reconnu du bien-être animal, face aux diverses activités humaines susceptibles de porter atteinte au bien-être animal, à la caution que chacun d’eux, consciemment ou non, apporte ou n’apporte pas. C’est un appel au questionnement éthique permanent de cet intellectuel libéral, nécessairement humaniste.
À l’opposé de toute passion et de tout extrémisme, pour une profession historiquement engagée sur toute la planète aux côtés de l’élevage et des éleveurs, il appelle de la même manière à ce que ce questionnement soit fait avec le sens de la juste mesure.
Dans le cas de la corrida, l’exercice était finalement relativement facile, dans la mesure où la douleur provoquée n’était pratiquement contestée par personne et dans la mesure où le code pénal en faisait déjà un acte de cruauté.
Mais il a toutefois permis à chacun des vétérinaires de France de réaliser que ce nouveau code de déontologie vétérinaire, qu’ils doivent brandir avec fierté, ne leur impose pas seulement le respect des animaux, il leur impose de s’efforcer de toujours atténuer la souffrance de l’animal ou d’éviter ce qui est qualifié dans le texte de souffrances injustifiées et qu’il vaudra mieux qualifier à l’avenir de souffrances évitables. Le code a écrit ce qu’en réalité ils faisaient déjà spontanément dans leur immense majorité, par vocation et par éthique. C’est encore mieux quand c’est écrit. Et c’est aussi une façon de graver une affaire d’honneur et de dignité d’un corps professionnel.
Le docteur vétérinaire Michel Baussier, président du Conseil national de l’Ordre, a été élu membre du Conseil d’administration de la LFDA lors de la réunion plénière du Conseil, le 23 mai 2016.
Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences