Rapport de la commission d’enquête sur les abattoirs

Une commission d’enquête pour répondre à un scandale

Depuis plusieurs années, l’abattage des animaux soulève des questions quant au respect des prescriptions réglementaires qui le régissent. À plusieurs reprises, les organisations de protection animale ont interpellé le ministère de l’Agriculture sur la mise à mort d’animaux, notamment de moutons, sans qu’ils soient préalablement rendus inconscients, ainsi que l’impose la loi. Le nombre de ces abattages se révélait très supérieur à celui qu’il était à prévoir, en application de la dérogation légale accordée pour des motifs de pratiques religieuses.

Ainsi, les viandes et produits issus de très nombreux animaux étaient mis en vente, en général dans le circuit de grande distribution, sans que les consommateurs en soient informés. Ces abattages abusifs ont focalisé l’attention sur l’abattage en général, donc sur les pratiques dans les abattoirs.

Des témoignages ont pu être recueillis, qui ont permis l’enregistrement de documents vidéo. L’opération de médiatisation de ces films a été particulièrement réussie, et l’opinion publique a été révoltée par des images montrant des actes de cruauté et des sévices caractérisés évidents, d’abord en octobre 2015, puis en février (1).

Le Parlement a réagi sans tarder et, le 22 mars, l’Assemblée nationale a créé, à la demande du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), une commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français.

De son côté, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt a, par courrier du 30 avril, demandé aux préfets de réaliser des inspections portant sur la protection des animaux dans 263 abattoirs de boucherie, afin de vérifier que lors de la mise à mort, toute douleur, détresse ou souffrance évitables étaient épargnées aux animaux, conformément au règlement du Conseil européen de 2009. Cette campagne nationale d’inspection et les visites inopinées des membres de la commission dans plusieurs abattoirs de volailles et d’animaux de boucherie de toutes tailles, pratiquant aussi bien des abattages avec et sans étourdissement, ont fait la lumière sur de nombreux dysfonctionnements souvent mineurs, parfois majeurs.

Rapport de la commission parlementaire

Au long d’une quarantaine de séances, la commission parlementaire a procédé à l’audition de quelque 90 personnes représentant une soixantaine de structures, groupements, services ministériels, syndicats, associations, fondations, etc. Elle s’est concentrée sur l’analyse de la réglementation et le contrôle de l’action des pouvoirs publics en ce qui concerne le respect du bien-être animal dans les abattoirs d’animaux de boucherie et de volailles, et elle a produit un rapport de 320 pages, publié en septembre.

La première partie décrit l’état des abattoirs en France (histoire, réalité contemporaine, nombre, diversité…) et fait le constat que le bien-être animal n’est pas encore suffisamment assuré, que les matériels doivent être modernisés, que la réglementation doit être renforcée dans son volet bien-être animal en ce qui concerne l’étourdissement et la mise à mort des animaux dans le souci de limiter de la souffrance animale, y compris lors de l’abattage rituel, précisant sur ce point (deuxième partie du rapport) que le code rural et de la pêche maritime doit être modifié afin de mentionner le recours possible à l’étourdissement réversible et à l’étourdissement postjugulation. À ce titre, les pouvoirs publics doivent poursuivre le débat avec les représentants des cultes, desquels doivent venir les changements.

La troisième partie du rapport traite des salariés des abattoirs qui vivent la pénibilité de leurs tâches au quotidien. Il en résulte une faible attractivité de ces métiers, voire, parfois, une stigmatisation de ceux qui les exercent alors qu’il faudrait les valoriser, renforcer la formation des personnels et mieux les sensibiliser au bien-être animal.

La quatrième et dernière partie du rapport fait état de l’insuffisance des contrôles des abattoirs en raison de l’insuffisance des effectifs des services vétérinaires de l’État, qui ne peuvent à la fois assurer la qualité sanitaire de la viande et veiller à la protection animale. Ce contrôle renforcé doit également passer par une plus grande ouverture aux associations, un droit de visite des parlementaires, la mise en place de caméras à tous les endroits de l’abattoir où des animaux vivants sont manipulés.

Le rapport se conclut par 65 propositions dont 15 jugées principales, telles par exemple augmenter le nombre de vétérinaires et de techniciens supérieurs affectés en abattoir et rendre leur présence obligatoire aux postes d’abattage, multiplier les contrôles, rendre obligatoire l’installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés, renforcer la formation des personnels notamment en ce qui concerne le contrôle de l’étourdissement.

La totalité des 65 propositions ne peut figurer dans cet article ; il faut se reporter au « dossier de presse » publié par la Commission ou au rapport complet. Nous n’en citerons que quelques-unes, touchant directement au bien-être animal :

  • Proposition n° 4 : Faire de l’adaptation aux espèces et aux gabarits des animaux la priorité dans la conception des couloirs, des boxes et des pièges.
  • Proposition n° 9 : Limiter le nombre d’animaux en circulation dans l’abattoir en fonction de leur espèce.
  • Proposition n° 14 : Intensifier les recherches sur un étourdissement par gaz moins aversif et plus efficace pour les porcs.
  • Proposition n° 17 : Faire adopter d’urgence un guide des bonnes pratiques pour chacune des espèces abattues en France.
  • Proposition n° 20 : Développer les recherches sur l’étourdissement réversible chez les ovins et les bovins.
  • Proposition n° 24 : Modifier l’article R.214-74 du code rural pour préciser que l’étourdissement réversible et l’étourdissement postjugulation sont possibles en cas d’abattage rituel.
  • Proposition n° 34 : Compléter la formation exigée pour l’obtention du certificat de compétence par une réelle formation pratique.
  • Proposition n° 37 : Afin de permettre l’assimilation des connaissances, déconnecter le temps de formation du moment de l’évaluation.
  • Proposition n° 47 : S’assurer que la présence d’un responsable protection animale soit généralisée à l’ensemble des abattoirs du territoire français.
  • Proposition n° 51 : Renforcer la formation en protection animale en abattoirs des services vétérinaires, titulaires et vacataires.
  • Proposition n° 56 : Alourdir les sanctions prévues en cas d’infraction à l’article R.215-8 du code rural et de la pêche maritime en prévoyant des amendes de 5e classe et la requalification en délit des cas de récidive.
  • Proposition n° 57 : Sensibiliser les parquets aux actes contrevenant au bien-être animal.
  • Proposition n° 62 : Rendre obligatoire l’installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés.
  • Proposition n° 64 : Interdire dans la loi l’utilisation de la vidéo pour toute autre finalité que le bien-être animal et la formation.
Le Pr Nouët, auditionné le 29 juin à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête

 

Points importants soulevés par la LFDA

Notre Fondation a été entendue par la Commission le 29 juin. Nous avons commencé par présenter la Fondation, son histoire, son objet, ses principales actions durant près de 40 années, dont la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’animal, et notamment en matière d’élevage la publication de l’ouvrage Le Grand Massacre en 1981, ainsi que l’obtention de l’étiquetage des boîtes d’œufs mentionnant le mode d’élevage des poules en 1985.

Nous avons rappelé que les trois domaines principaux doivent être l’élevage (qui comporte l’abattage) dans lequel les animaux se comptent par centaines de millions, la chasse, dont l’unité de décompte est la dizaine de millions, et l’expérimentation, dont l’unité est le million.

En ce qui concerne l’abattage, objet d’étude de la Commission, nous avons insisté sur les points suivants :

  • L’étourdissement doit être systématique avant tout abattage. Les dérogations apportées à cette règle ne respectent en rien le caractère sensible de l’animal à qui ne sont épargnées ni douleur, ni souffrance, ni angoisse. À défaut de suppression des dérogations, nous demandons que lors d’un abattage sans étourdissement préalable, soit pratiqué au moins un étourdissement immédiatement après la saignée.
  • Le durcissement des peines infligées pour actes de cruauté : actuellement deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Elles sont inférieures à celles prévues en cas de vol : trois ans et 45 000 euros. Or il est infiniment plus grave, du point de vue moral, de torturer un animal que de le voler.
  • L’article L. 1132-3-3 du code du travail prévoit une protection du salarié d’abattoir devenu lanceur d’alerte. Cette protection lui permettra ainsi de ne pas se retrouver en situation de conflit d’intérêt, soit avec son employeur, soit avec ses collègues.
  • L’amélioration de la formation des personnels. Ces formations, dispensées au personnel opérateur comme au responsable protection animale, sont insuffisantes. Elles restent théoriques.
    • Comment garantir qu’une formation généraliste, souvent réduite à une journée au lieu des deux prévues, passée autour d’une table, puisse permettre au personnel d’effectuer les bons gestes ? Un volet pratique doit être mis en place, ce qui induit un allongement du temps de formation.
    • Par ailleurs, une partie du personnel d’abattoir ne parle pas couramment le français. Qui sont ces salariés ne parlant pas français ? Ce sont des gens qui cherchent un travail sans en connaître les conditions et les difficultés. Et il se trouve que parmi ceux qui cherchent un travail en France, certains ne parlent pas français. Cela pose un grave problème, car si on ne parle pas français, à quoi peut servir une formation uniquement francophone ?
    • Quelle valeur peut-on lui accorder, comme au contrôle final de l’acquisition des notions qui y sont dispensées ? Quand on place ce contrôle final dans la foulée de l’enseignement (ce qui est le meilleur moyen pour que les connaissances ne soient pas mémorisées), quand on autorise l’accès à Internet lors de l’épreuve, quand on se satisfait de dire qu’il y a 99 % de réussite (un score tout à fait exceptionnel !), c’est que l’on ignore ce que doit être une formation, et que l’on se moque totalement du résultat.
  • Un « responsable protection animale » devrait être présent dans tous les abattoirs, alors que le règlement européen fixe un seuil minimal pour exiger cette présence. Il doit pouvoir y jouer un rôle central, en interaction avec le personnel placé sous sa responsabilité et en lien avec la direction, ses missions doivent être précisées ; il doit être doté d’un statut particulier lui garantissant de disposer du temps nécessaire à la réalisation de ses missions.
  • Le matériel devrait être amélioré et modernisé. En outre, certaines pratiques, parce qu’elles ne garantissent pas un véritable étourdissement et parce qu’elles sont sources de souffrance, douleur et angoisse, doivent être remises en cause : étourdissement par gazage au CO2 des porcs, électronarcose des ovins, bain électrique chez les volailles.
  • Afin que l’animal ne soit pas saigné en étant conscient, la vérification de la perte de conscience doit être systématique. Les modes opératoires et les signes de réapparition de la conscience devraient être connus et affichés. Car ce qui est intéressant, c’est de rechercher les signes, non pas seulement de la perte de conscience, mais ceux de la reprise de la conscience. Nous suggérons que les signes de perte et de reprise de conscience soient en permanence sous les yeux des opérateurs. Lorsqu’il y a égorgement sans étourdissement préalable, la perte de conscience survient par hémorragie et n’est pas immédiate : elle dure jusqu’à une demi-minute, quelquefois plus. Il est absolument certain – et monstrueux – que des animaux entrent dans la chaîne de déshabillage alors qu’ils ne sont pas totalement inconscients.
  • Enfin, la LFDA demande que les responsables d’abattoir soient encouragés à mettre en place un système d’enregistrement vidéo. Elle estime que s’il peut décourager les actes de malveillance, il peut surtout être un moyen capital d’améliorer la formation – y compris en formation continue – qui peut être utilisé a posteriori pour montrer à l’agent d’abattage ce qui a été mal exécuté et quels sont les bons gestes à effectuer.
  • Le président de la Commission ayant demandé si nous considérions que les « actes de malveillance à l’égard des animaux sont consubstantiels à l’abattoir », nous avons répondu par la négative. Des formations de qualité, un encadrement permanent, une sensibilisation au bien-être animal ne peuvent que prévenir et empêcher la maltraitance. De notre point de vue, la maltraitance et la cruauté sont consubstantielles à la nature humaine !.… Et quand un individu au comportement violent se retrouve employé dans un abattoir, c’est alors que peut survenir le drame ! L’abattoir peut ne pas être un lieu de malveillance si on fait le nécessaire.
  • Nous avons également évoqué l’étiquetage du mode d’abattage, dont les demandes ont été toutes rejetées, au motif d’une possible discrimination. Notre fondation a donc proposé un étiquetage destiné au consommateur, certifiant que l’animal été abattu après étourdissement, cela en considération de la liberté de conscience, très clairement mentionnée à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet étiquetage positif, et non pas négatif, satisferait à la fois le consommateur désireux d’acheter cette viande et celui qui, pour des raisons religieuses, pourrait ne pas l’acheter (2) .
  • D’une façon quasi générale, les contrôles portant spécifiquement sur le bien-être animal en abattoir n’existent pas. Les vétérinaires inspecteurs qui sont présents dans les abattoirs sont essentiellement occupés à vérifier la qualité des viandes. Leur rôle principal consiste à apposer le coup de tampon final certifiant que telle ou telle carcasse peut être livrée à la consommation. En principe, ils devraient aussi s’occuper des postes précédant la mise à mort, mais ils n’ont pas le temps de tout faire. Le contrôle du bien-être animal n’est pas suffisamment effectué, notamment à la bouverie où les animaux attendent. Il est probable que de nombreuses installations ne facilitent pas la fluidité de la marche. Or les animaux, lorsqu’ils sont un peu empêchés ou gênés, ressentent automatiquement un stress ; et quand un animal est stressé, il est plus difficile de le conduire jusqu’à l’immobilisation. C’est là une séquence qui devrait être largement améliorée.

En conclusion de son intervention, la LFDA a souligné que finalement, la solution est une affaire de volonté et de moyens, car la réglementation existe déjà. L’abattoir n’est pas un lieu irrémédiablement voué à la maltraitance. Comme l’énonce la Déclaration universelle des droits de l’animal, si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse. Cela ne semble pas insurmontable. Finalement, tout résume à peu de chose : si l’on veut vraiment, on peut.

Jean-Claude Nouët

  1. Lieux des vidéos et dates de diffusion : Alès, 15 octobre 2015Le Vigan, 23 février 2016 – Soule et Mauléon-Licharre, 29 mars 2016 – Pézenas et Mercantour, 29 juin 2016.
  2. Voir nos articles revue no 76 p. 9 et revue no 87 p. 5.

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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