De plus en plus de voix s’élèvent contre les cirques avec animaux. Dix chercheurs spécialisés dans différents domaines (biologie, éthologie, philosophie, sémiotique), parmi eux deux membres de la LFDA, ont réuni leurs disciplines sous l’égide du collectif “Paris sans captivité animale”, et ont écrit fin août 2016 dans la rubrique Tribune « Idées » du Monde une Lettre ouverte à la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, afin qu’elle interdise les cirques avec animaux sur le sol parisien. Les représentants syndicaux des cirques ont répondu à cette lettre par le même biais, en méprisant les travaux scientifiques des éthologues et biologistes.
Paris et la France, vitrines du monde, qui ont toujours montré l’exemple en matière de droits humains et de l’animal ne peuvent rester à la traîne en continuant d’accueillir des cirques avec animaux.
La société civile sensible au bien-être animal
La Lettre ouverte des dix chercheurs a été le texte le plus lu et le plus diffusé sur le site et la page Facebook du Monde pendant plusieurs jours, et ce au coeur de l’été. Elle a ensuite été relayée par l’AFP puis par différents médias comme Libération, RMC, France info, Ouest-France, etc. Accompagnée d’une pétition contre la captivité des animaux dans les cirques, qui à cette heure a recueilli près de 23 000 signatures, cette diffusion conséquente témoigne de l’intérêt croissant des citoyens pour le bien-être animal et pour une société respectueuse des conditions de vie de l’animal.
Une société respectueuse de l’animal d’un point de vue pratique et philosophique est consciente que montrer des animaux aux enfants dans des situations qui se disent « artistiques », mais qui sont surtout douloureuses, est ridicule : éléphants assis sur un tabouret, marchant sur les pattes de derrière ou de devant, faisant tourner des ballons ou autres objets. Quel tour de force physique pour l’animal que d’accomplir ces exercices qui relèvent plus dans l’esprit du citoyen d’aujourd’hui de l’animal de dessin animé ou de bande dessinée que de numéros à faire accomplir par de véritables animaux sauvages.
En effet, si l’on en croit les réactions des citoyens qui ont signé la pétition ou soutenu la Lettre ouverte, ces exercices font de moins en moins rire et choquent de plus en plus l’opinion pour des raisons éthiques, signes incontestables que l’humour et le divertissement changent avec les époques mais aussi que ces numéros avec animaux passent de plus en plus mal quand ils sont de surcroît imposés à des animaux aujourd’hui en voie de disparition.
Numéros de cirque et espèces en voie de disparition
Ces exercices sont d’autant plus choquants qu’ils concernent des animaux en voie de disparition (éléphants, primates, grands félins). Si ce n’était pas le cas au XIXe siècle, c’est désormais une réalité que personne n’ignore. Voir les derniers individus d’espèces menacées contraints à faire le clown sur une piste de cirque est un spectacle cruel et pitoyable. Au lieu de ne connaître que pelouse publique, pistes et cages, ils devraient, au contraire, pouvoir bénéficier d’une vie confortable dans de grands espaces protégés, loin des fouets et des piques de dressage.
Bien sûr, il y a très peu d’études en éthologie sur les animaux de cirque et ceci peut facilement se comprendre. Faire une étude en éthologie sur les animaux de cirque, c’est comme demander à un dictateur qui pratique la torture de nous ouvrir ses portes, soit il dit non, soit ce qu’il nous montre est factice et ne reflète pas la vérité. Le peu qui est publié est pourtant accablant.
La Finlande, la Belgique, l’Autriche, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Catalogne espagnole, dernièrement la Norvège, l’ont bien compris et ont légiféré contre la présence des animaux dans les cirques, pensant que les textes européens actuels n’étaient pas suffisants pour assurer l’absence de maltraitances et de souffrances psychologiques et physiques des animaux et estimant que ces exercices imposés aux animaux étaient une offense à l’image de ces grands animaux menacés.
En France, pensant également que cette pratique était d’un autre temps et ne répondait pas aux besoins physiologiques et comportementaux des animaux, plusieurs municipalités ont d’ores et déjà fait le choix d’interdire les cirques avec animaux sur leur sol comme les villes de Bagnolet, Truchtersheim, Ajaccio, Roncq, Vourles, Oncourt, Montreuil et récemment Chartres.
Des conditions de vie indignes
Tout le monde a vu un jour dans sa vie, des animaux de cirque, sauvages ou domestiques, attachés à une chaîne sur un petit lopin de pelouse de place publique ou au beau milieu d’un carrefour, sur un parking de supermarché ou sur le bord d’une nationale, symbole de la triste vie des animaux des cirques itinérants. Baladés d’une ville à l’autre, transportés dans des camions surchauffés, la vie des « animaux de cirques » est à des années lumières de ce qu’elle pourrait être dans un sanctuaire animalier ou un parc national.
Qu’est-ce que « l’un des arts les plus aboutis du cirque » (Le Monde, 09/2016) quand les animaux de cirque sont élevés dans des conditions qui ne respectent par leur bien-être. Qu’est-ce que « l’un des arts les plus aboutis du cirque » quand ces derniers présentent des mimiques faciales de stress et de menace ?
Un animal qui fait des va-et-vient ou présente des stéréotypies, comme nous le voyons souvent avec les fauves ou les éléphants de cirque, est un animal qui n’a pas la possibilité de présenter l’ensemble de son répertoire comportemental et qui est en mal-être.
Si les animaux domestiques, comme le chat et le chien ont depuis un siècle, dans la très grande majorité des cas, trouvé le bonheur dans des familles aimantes, voyant même leur espérance de vie doubler depuis qu’ils sont choyés tels des enfants, la vie des animaux destinés à être dressés dans le but de faire un spectacle est nettement moins rose.
L’arrêté du 18 mars 2011, que citent les auteurs de la Lettre « Présenter un animal dans un cirque obéit, en France, à la plus exigeante des réglementations européennes », stipule que « les animaux doivent être entretenus et entraînés dans des conditions qui visent à satisfaire leurs besoins biologiques et comportementaux, à garantir leur sécurité, leur bien-être et leur santé » et que « les animaux doivent avoir la possibilité de se déplacer librement dans les installations extérieures chaque jour ». Nous sommes bien loin de ce constat quand nous voyons les fauves enfermés souvent seuls dans des cages de 10 m2 et les éléphants attachés alors que ces derniers présentent de nombreuses stéréotypies et qu’il a été montré scientifiquement (Sueur & Pelé, 2015) que ces conditions sont inadéquates pour le bien-être de l’animal.
Un animal qui fait des va-et-vient ou présente des stéréotypies, comme nous le voyons souvent avec les fauves ou les éléphants de cirque, est un animal qui n’a pas la possibilité de présenter l’ensemble de son répertoire comportemental et qui est en mal-être. Si un chien s’agite autour de sa gamelle, ce n’est pas de la stéréotypie mais un comportement d’anticipation, qui implique des émotions positives, qui se manifeste par une augmentation de la fréquence des comportements en prévision d’un événement plaisant imminent.
Les bases neurologiques et physiologiques impliquées ne sont pas les mêmes entre la stéréotypie et le comportement d’anticipation (Wichmal & al., 2012, Boissy & al., 2007). La stéréotypie est la dernière manifestation du stress de l’animal dans la cascade des mécanismes comportements essayant de contrecarrer le mal-être de ce dernier. Elle montre une médiocrité des conditions de vie et surtout un manque de connaissance de la part des dresseurs qui n’ont pas vu les signes précurseurs du stress de l’animal.
Ces stéréotypies démontrent un manque d’espace, un manque d’activité et un manque d’objets avec lesquels l’animal peut interagir.
Exemple de stéréotypie chez des éléphants. Source: Code Animal
La souffrance animale n’est pas un « art »
Ces animaux, bien souvent issus de croisements d’individus qui n’ont jamais connu ni savane ni grands espaces, n’en restent pas moins biologiquement, physiquement, morphologiquement et psychologiquement des animaux sauvages dont les besoins journaliers répondent à des stimuli d’ordre physiologique précis qui engendrent l’envie de courir, chasser, se cacher, s’amuser, développer leurs différents sens, se reproduire, activités impossibles dans un cirque mais indispensables au bien-être de l’animal. Rappelons qu’un éléphant peut faire plus de 30 km par jour dans la savane, les félins font partie des animaux ayant le plus besoin de courir sur de grands espaces pour se sentir au mieux de leur forme, les primates ont une vie sociale très développée lorsqu’ils sont dans la nature, tous ces animaux jouent pour entretenir leur équilibre ou leur nature de chasseur.
Il existe des races de chiens, de chats ou de cheval mais il n’existe pas de race d’éléphants, d’otaries ou de tigres. C’est bien pour cela que l’on appelle ces espèces « non domestiques » par rapport au cheval, au chien ou au chat, qui sont des espèces « domestiques » dans lesquelles des races existent pour présenter des caractéristiques précises utiles à l’homme.
Un éléphant, un lion ou une otarie, même après des dizaines de générations, n’ont en aucun cas été sélectionnés et ne sont pas du tout « adaptés » à des conditions captives et itinérantes. Il a fallu une quarantaine de générations à Dmitri Beliaïev en 1959 pour que des renards présentent quelques caractéristiques similaires aux chiens et soient qualifiés d’animal domestiqué. Ici encore, cette ineptie de « tigres de cirque » (sic) montre bien un manque de connaissance scientifique de la part des professionnels du cirque.
Il n’existe pas, dans la science ou dans la réglementation, de tigre « de cirque ». De plus, comment pouvoir écrire « ils proviennent de croisements réfléchis pour obtenir des individus intelligents, habiles, physiquement beaux et respectueux des hommes » sans n’avoir aucun sursaut de conscience éthique. Comment se permettre d’utiliser le terme « respectueux » quand chaque « tigre « de cirque » ou primate « de cirque » montre durant chaque spectacle des mimiques faciales qui sont des signes de peur, de stress et de menace (Bradbury & Vehrencamp, 1998). Ces animaux ne prennent aucun plaisir à faire ce spectacle comme un chien, espèce domestique montrant une affinité pour l’apprentissage de « tours », pourrait le faire, mais ils sont bien forcés à le faire. Sinon, ils ne montreraient pas ces mimiques de peur ou de menace envers leur dompteur.
Le fait que ces animaux soient nés dans des cirques ne change en rien leur nature première et ne les prédispose nullement à savoir marcher spontanément sur les pattes de devant ou à sauter à travers un cerceau de feu. Car il est dans l’instinct de tout être vivant de craindre le feu. Ce n’est qu’en se faisant violence, et sous la menace du fouet, qu’un tigre ou un lion peut traverser un cerceau de feu.
Forcer un animal à braver le feu, est-ce cela qu’on appelle « l’art du cirque » ? Un éléphant qui peut peser entre 2 à 6 tonnes n’a ni les pattes ni le dos adaptés pour marcher sur les pattes de derrière. Le forcer à accomplir cet exercice, est-ce cela qu’on appelle « l’art du cirque » ?
Pour parvenir à ce type de performances dites « artistiques », l’« artiste » fait fièrement claquer son fouet, fouet, qui, à en croire les gens du cirque, ferait partie du folklore du lieu et ne serait jamais vraiment utilisé. En tout cas, pour l’animal, le fouet est bien présent sur la piste, qu’il soit utilisé ou non, il est et restera toujours l’instrument de toutes les peurs et menaces. Si le fouet fait partie du décor, pour l’animal, c’est un son, une forme, une odeur, un contact qui font peur et qui font mal psychologiquement et physiquement.
Présenter un « art » à des enfants mettant en scène des animaux que l’on mène du bout d’un fouet est un message déplorable d’un point de vue pédagogique et éthique quand en parallèle on leur inculque à ne pas être violents envers les animaux.
Sachant de surcroît que ces animaux sont en voie de disparition, on comprendra aisément qu’il y a une grave distorsion dans la communication.
Un business juteux pour un certain nombre de corps de métier
Les cirques qui incluent l’animal dans leurs spectacles sont des entreprises à part entière, qui font vivre un certain nombre d’employés, de vétérinaires, de fournisseurs en nourriture végétale et carnée. Tous ces corps de métier vivent des cirques et ont intérêt à maintenir ce business juteux. Soigner ou nourrir les animaux d’un cirque à l’année est une affaire rentable pour les fournisseurs comme pour les vétérinaires.
Pour aveugler les contrôles, les médias et le public, pour mieux dissimuler la souffrance animale, la compagnie du cirque recours à différents tours de passe-passe lexicaux. Elle ne parle plus désormais de « dressage » mais de « formation » ou « d’éducation », plus de « fouet » mais « d’objet de folklore », plus d’« animaux en cage » mais de « sportifs de haut niveau »
Sur cette base économique et entrepreneuriale, les cirques considèrent l’animal non pas comme un être vivant doté de sensibilité et d’émotions aux besoins physiologiques précis, mais comme un produit générant pertes et profits (frais de vétérinaire, nourriture, nombres d’entrées).
Dans ce contexte, l’entreprise-cirque ne se soucie guère du ressenti physique et psychologique de l’animal, obligé d’accomplir une performance que sa morphologie (poids, forme des pattes) ou son psychisme (peur du feu, du bruit, de la lumière) ne lui permettent d’accomplir qu’au prix d’une souffrance réelle et insupportable.
Nul besoin d’un fouet pour maltraiter un animal, il suffit de lui imposer des exercices que son mental et son corps ne peuvent accomplir que dans la douleur. C’est un esclavagisme pur de l’animal.
Des « extrémistes » qui s’opposent à la maltraitance ?
Énoncer ces évidences scientifiques génère la foudre des gens du cirque qui n’hésitent pas à taxer les chercheurs d’extrémistes ou d’incompétents notoires.
C’est bien mal connaître les travaux scientifiques menés sur les animaux non-domestiques et domestiques par les éthologues depuis 50 ans. C’est bien mal connaître également les expressions du bien-être animal que l’on ne retrouve jamais sur les visages et corps des animaux qui travaillent dans les cirques.
Qui est l’extrémiste ? Celui qui utilise la science et le bon sens pour démontrer la souffrance ou la maltraitance animales ou celui qui utilise le fouet et la cage faisant fi de la psychologie animale ?
Une pratique obsolète
Le cirque avec animaux a connu ses heures de gloire au XIXe siècle mais c’était bien avant les documentaires scientifiques sur les animaux, avant la démocratisation des voyages vers l’Afrique et l’Asie, avant que les espèces utilisées par les cirques ne soient menacées et en voie d’extinction.
Ce qui faisait rire au XIXe siècle par méconnaissance de la sensibilité animale et quand les savanes regorgeaient de félins et d’éléphants, est devenu scandaleux et attristant au XXIe siècle à l’heure où 95 % des éléphants, primates et autres grands félins ont disparu de la planète.
Pour des raisons éthiques, écologiques et politiques, ces spectacles d’une autre époque devraient être reconnus hors la loi au même titre que le braconnage pour l’ivoire.
Les arts du cirque sont multiples et ancestraux, ils peuvent être maintenus pourvu qu’on y retire les animaux. Les jongleurs, clowns, magiciens, contorsionnistes, funambules, lanceurs de couteaux, voltigeurs, trapézistes, danseurs, cracheurs de feu continueront d’éblouir petits et grands, sans parler des chorégraphies sur fond de nouvelles technologies qui sont aussi l’avenir du cirque, nul besoin d’ajouter les animaux dans ce décor : l’animal n’est ni un clown ni un contorsionniste acrobate.
La prestidigitation lexicale
Pour aveugler les contrôles, les médias et le public, pour mieux dissimuler la souffrance animale, la compagnie du cirque recours à différents tours de passe-passe lexicaux. Elle ne parle plus désormais de « dressage » mais de « formation » ou « d’éducation », plus de « fouet » mais « d’objet de folklore », plus d’« animaux en cage » mais de « sportifs de haut niveau ».
Mais qui est dupe de ces stratagèmes lexicaux visant à masquer une réalité autrement moins rhétorique ? Ce sont là les dernières cartouches des cirques pour survivre, car le public est de moins en moins présent derrière les cirques avec animaux, et il y a fort à parier que ces cirques vivent leurs dernières heures de « gloire ».
On ne peut plus accepter aujourd’hui dans une société qui se dit éthique et soucieuse de la sensibilité animale, qui légifère sur le bien-être animal au niveau européen que des animaux soient esclavagisés (cirques et delphinariums) ou mis à mort (tauromachie) pour le spectacle d’une poignée d’individus nostalgiques de traditions archaïques.
La souffrance et la mise à mort publiques d’un animal ne relèvent pas de l’activité artistique mais du sadisme. Sous prétexte que les cirques avec animaux sont des entreprises qui génèrent des emplois et font vivre tout un pan de l’économie, il faudrait maintenir cette pratique antique ? Une économie qui repose sur la maltraitance physique et psychologique de l’animal et de l’humain n’a aucun avenir.
Astrid Guillaume & Cédric Sueur
Pour aller plus loin sur la question des animaux dans les cirques, voir notre page d’information, ainsi qu’une sélection d’articles sur le site de la Fondation Droit animal, Éthique et Sciences (LFDA).
La LFDA s’engage depuis ses débuts pour mettre un terme à la captivité des animaux sauvages dans les cirques. Vous avez la possibilité de l’aider ici.
Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences
- Sueur, C & Pelé, M. (2015). Utilisation de L’analyse Des Réseaux Sociaux Dans La Gestion Des Animaux Maintenus En Captivité. Analyse des réseaux sociaux appliquée à l’éthologie et à l’écologie. Editions Matériologiques, Paris, 445-468.
- Wichman, A, Keeling, LJ & Forkman, B. (2012). Cognitive bias and anticipatory behaviour of laying hens housed in basic and enriched pens. Applied Animal Behaviour Science, 140(1), 62-69.
- Boissy, A, Manteuffel, G, Jensen, MB, Moe, RO, Spruijt, B, Keeling, LJ & Bakken, M. (2007). Assessment of positive emotions in animals to improve their welfare. Physiology & Behavior, 92(3), 375-397.
- Bradbury, JW, & Vehrencamp, SL. (1998). Principles of animal communication.