Les cachalots (Physeter macrocephalus) communiquent par un système de « clics » constituant un répertoire varié et riche en informations, sur lequel se fonde l’organisation sociale de ces cétacés en groupes et en clans individualisés.
Ce système est commun aux cachalots du Pacifique et de l’Atlantique, mais chaque groupe ou clan utilise un « dialecte » qui lui est particulier, et qui l’identifie. Les combinaisons de clics émis en séries de trois à cinq ou « codas », fonctionnent comme des « mots » ou des « phrases », qui permettent aux individus de s’identifier, d’identifier les membres du même clan, d’entrer en relation avec ceux d’autres clans.
Un récent travail a été publié dans la revue de la Royale Society Open Science par Shane Gero et collaborateurs : il porte sur l’étude de la communication des cachalots de l’Atlantique, dans des groupes sociaux des Caraïbes orientales, comparée à ce qui avait été observé en Pacifique.
Le cachalot permet une étude intéressante de l’évolution des dialectes transmis culturellement dont les répertoires vocaux diffèrent entre les bassins océaniques. Tant dans le Pacifique qu’en océan Atlantique, les unités sociales des cachalots femelles possèdent des répertoires de « codas » qui ont été enregistrés, étudiés et rapportés aux types de relations sociales. Il semble que les cachalots des Caraïbes orientales vivent dans une société beaucoup plus individualisée qu’en Pacifique, et dont les membres entretiennent entre eux des relations sociales dynamiques soit entre clans, soit entre individus par identification personnelle directe. La société cachalot du Pacifique semble être plus structurée au niveau culturel, sous la forme « nous contre eux », de sorte que les unités s’associent à d’autres unités partageant un dialecte vocal. Ces différences pourraient être une réponse à des environnements différents dans lesquels la reconnaissance générale de l’appartenance à un clan est plus importante dans le Pacifique, pour faciliter la formation de groupes dans un environnement à haut risque prédateur.
Dans les Caraïbes, les interactions sociales et les similitudes acoustiques sont organisées en réseaux reliant trois niveaux de la structure sociale, entre individus, dans le clan, et dans le groupe. Les individus sont liés par des relations sociales fondées sur la communication sonore et la photo-identification entre femelles adultes, jeunes dépendants, mâles d’escortes. Le seul lien social entre les clans est un mâle d’escorte, et il n’y a pas d’association directe entre les femelles dans les clans différents.
De cette publication scientifique, on peut en outre tirer un enseignement d’ordre général, et une remarque d’ordre particulier.
Parmi les mammifères, les variations du répertoire vocal entre des groupes individualisés mais qui peuvent se croiser sont généralement appelées dialectes. Alors que les différences entre des populations séparées par de longues distances qui ne se croisent pas sont à attribuer à la variation géographique. Cette variation géographique des répertoires vocaux est très répandue dans les taxons de mammifères, y compris les petits mammifères terrestres, les chauves-souris, les singes ; elle est également observée chez les mammifères marins, ainsi qu’il a été démontré dans l’étude de Shane Gero.
Parmi les mammifères figure Homo sapiens, dont l’évolution a été fortement influencée par la formation de frontières sociales basées sur la « culture ». Les frontières culturelles, dont la « langue » et ses innombrables variétés, peuvent constituer des limites aux échanges coopératifs et altruistes en affectant la reproduction, la survie et la sélection. Mais la « langue » inconnue, frontière culturelle, peut être décodée (apprise), et cela a permis de résoudre la question « avec qui coopérer », et d’ouvrir ainsi la voie menant à des sociétés humaines coopératives de plus en plus étendues.
Article publié dans le numéro 92 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.
