Plusieurs articles de presse se sont récemment intéressés à l’orpaillage illégal en Guyane, qui ravage la nature à renfort de cyanure et de mercure au sein même du Parc amazonien de Guyane.
Les survols de surveillance par hélicoptère effectués en novembre 2016 ont révélé 140 sites d’orpaillage, soit 25 % de plus qu’en 2015. De multiples puits d’extraction, une centaine de campements d’orpailleurs, et tout un réseau de pistes taillées dans la forêt, qui doublent le réseau des cours d’eau servant aux déplacements par pirogues ou par barges, lesquelles permettent à des milliers d’orpailleurs illégaux (garimpeiros) de traverser les deux fleuves frontaliers, Oyapock à l’est et surtout Maroni à l’ouest.
La production illégale totale est estimée à 9 tonnes par an ; elle nécessite 12 tonnes de mercure, dispersées dans l’environnement comme sont dispersés les sites d’orpaillage, ce qui a des effets redoutables parce que très étendus. L’eau courante polluée diffuse l’empoisonnement qui gagne l’ensemble de la chaîne alimentaire, des poissons aux populations locales. L’intervention de la sous-directrice du Parc devant la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale en février 2016 avait eu pour effet probable d’activer la surveillance, et de découvrir l’aggravation des dégâts. Le WWF suggère que l’État passe un accord de coopération avec le Suriname, afin de renforcer surveillance et répression, comme cela a été fait avec le Brésil, dont le parc Tumucumaque, de l’autre côté de l’Oyapock, s’étend sur près de 4 millions d’hectares.
Cette affaire ou plutôt ce drame de l’exploitation de l’or en Guyane remonte à plus de dix ans. La LFDA était intervenue dès avril 2006 au sujet du projet de mine d’or à ciel ouvert de Camp Caïman, près de Cayenne, déposé par la société canadienne Cambior. À notre demande le député Lionel Luca avait transmis notre dossier au ministre des Outre-mer François Baroin. Ce dernier nous avait fait savoir qu’il avait transmis le dossier au « service compétent de son département ministériel afin que cette situation fasse l’objet d’un examen approfondi ». Par ailleurs, il nous a été possible de transmettre un argumentaire directement à l’Élysée dans lequel nous soutenions que la mise en service d’une telle exploitation aurifère, en raison de la déforestation et de la pollution chimique d’une forêt primaire d’une grande importance biologique, mettrait en péril une faune et une flore locales comprenant de nombreuses espèces protégées par la Convention de Washington.
Nous soulignions en outre que le projet d’exploitation « est incompatible avec un développement local et durable de la Guyane. La France a les moyens de protéger ce patrimoine mondial de l’humanité, et est en mesure d’encourager dans ce département des activités plus durables (écotourisme, recherche scientifique, artisanats), et à terme économiquement plus rentables que les quelque trois cents emplois sur sept ans que fait espérer cette exploitation minière, soucieuse de rentabilité financière immédiate, sans réelle préoccupation pour la sauvegarde de la biodiversité, et de l’intérêt général des générations futures ». En mai, le conseiller technique de la présidence de la République faisait savoir que « M. Jacques Chirac, sensible à votre démarche et à vos préoccupations, m’a confié le soin de vous en remercier et de vous assurer qu’il en a été pris connaissance ». À la suite de l’enquête publique le commissaire enquêteur avait rendu un avis défavorable au projet.
Lors du Grenelle de l'environnement de 2007, l’espoir d’un refus pesant sur le projet d’exploitation aurifère dans le Parc naturel de Guyane avait été formulé. Le danger que faisait peser ce projet sur la biodiversité et l’environnement de cette région a semblé définitivement écarté en janvier 2008, lorsque le président de la République Nicolas Sarkozy a annoncé sa décision de « ne pas donner une suite favorable à un projet d’exploitation de mine d’or en Guyane ». Devant les prétentions d’indemnisation avancées par la société minière, nous avions souligné, dans un courrier au président, qu’il serait moralement scandaleux que, du fait du refus d’autorisation d’exploiter, cette multinationale puisse revendiquer d’être indemnisée à hauteur de 80 millions d’euros, alors que ces travaux ont au contraire entraîné la déforestation et le ravage de plus de trente hectares du territoire du Parc naturel. Il serait au contraire légitime que la France réclame et obtienne réparation des dommages portés sur une portion de son territoire.
Mais l’or, c’est beaucoup d’argent… Et les transactions ont continué, sans fuite ni information, du moins qui nous soient parvenues. Et, dernier acte, un arrêté du 26 août 2016 a accordé un permis exclusif de recherches de mines d'or et substances connexes (argent, cuivre et zinc) dit « Permis Maripa » à la société IAMGOLD France. Ce permis est accordé pour cinq ans et le territoire concédé est défini par des coordonnées portées sur une carte au 1/25 000 annexée au présent arrêté, carte que la LFDA n’a pas pu obtenir.
Ainsi, la boucle est refermée. Après onze années, la IAMGOLD a fini pas avoir gain de cause, et va pouvoir ravager tout un secteur de la forêt amazonienne. Officiellement. Pour quel bénéfice de l’État ? Pour quelques emplois locaux précaires ? De leur côté, les orpailleurs vont certainement continuer à empoisonner la nature clandestinement, s’il n’est pas décidé de les en empêcher une bonne fois pour toutes.
Il est inexplicable que les autorités locales et que les hautes personnalités de l’État, et notamment celles d’origine guyanaise, n’aient pas eu à cœur depuis longtemps de veiller sévèrement à la préservation intégrale de ce territoire, qui abrite une biodiversité animale et végétale unique, un trésor infiniment plus précieux que des lingots empoisonnés, lesquels, de plus, sont emportés frauduleusement hors de France pour financer Dieu sait quelles mafias.
Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.