Le 14 mars, le parlement néo-zélandais a adopté un texte reconnaissant la personnalité juridique au fleuve Whanganui, mettant ainsi un terme à un des plus anciens conflits de l’histoire de la Nouvelle-Zélande (1).
Tout commença en 1840 avec la signature du traité Waitangi (2) entre les chefs Maoris et la Couronne britannique. Ce texte, conformément aux normes coutumières en vigueur à l’époque, garantissait aux chefs des tribus, à leur famille et à tous les individus qui les composaient le bénéfice de leurs terres, forêts et pêcheries. En contrepartie, les Maoris acceptèrent de conférer à la reine, un droit exclusif de préemption sur leurs terres dès lors qu’ils s’accordaient sur la cession et le prix. Mais dans les années qui suivirent, l’interprétation du traité par les juges néo-zélandais se révéla défavorable aux Maoris, et aboutit à la confiscation progressive de leurs terres par la Couronne.
En 1975, le tribunal Waitangi fut créé pour formuler des recommandations sur l’application du traité. L’une des principales revendications portait sur le fleuve Whanganui, voie navigable la plus longue de Nouvelle-Zélande située dans l'île du Nord, qui depuis des décennies était le centre de la vie de plusieurs tribus (Whanganui Iwi). Au cours des XIXe et XXe siècles, la population Maori s’étant dispersée le long de la rivière et de ses affluents, les gouvernements successifs ont limité considérablement la participation du Whanganui Iwi à la gestion du fleuve. Plusieurs décisions de justice successives ont d’ailleurs reconnu l’extinction du droit coutumier de propriété du fleuve.
En 1999, une décision marquante fut prise par le tribunal de Waitangi. Il reconnaissait d’une part la validité du traité de Whanganui qui garantissait au Whanganui Iwi un droit de propriété, de gestion et de contrôle du fleuve et, d’autre part l’absence de renonciation à ces droits par le Whanganui Iwi. À partir de là, il est apparu nécessaire que l’État néo-zélandais reconnaisse l’existence des liens spécifiques unissant le peuple à son fleuve.
En 2003, le gouvernement a donc entamé des négociations avec Whanganui Iwi afin de régler les revendications historiques portant sur le fleuve. Suite à ces négociations, un règlement a été signé le 5 août 2014 par l’ensemble des parties en vertu duquel, la Couronne reconnaît que Te Awa Tupua (nom Maori du fleuve) est un ensemble vivant et indivisible composé du fleuve Whanganui, de ses affluents et de tous ses éléments physiques et métaphysiques, et lui attribue la personnalité juridique. Ce règlement prévoit en outre la création d’un Conseil agissant en qualité de tuteur chargé notamment de représenter le fleuve dans les procédures judiciaires et le versement au Whanganui Iwi d’une contribution financière de 80 millions de dollars néo-zélandais au titre des frais de justice et de 30 millions de dollars pour l’amélioration de l’état du cours d’eau.
Mais pour que ce règlement entre en vigueur il devait encore être confirmé par un vote du Parlement. Un projet de loi a donc été déposé dans ce sens en mai 2016 et le processus législatif s’est achevé avec un vote favorable le 10 mars dernier. Le législateur a ainsi reconnu l’existence d’une connexion profondément spirituelle entre un peuple et son fleuve ancestral. La Nouvelle-Zélande ouvre la voie vers la reconnaissance de la personnalité juridique pour les biens communs alors même que la quasi-totalité des systèmes juridiques font de la nature et de ses composantes des objets de droit.
Cette consécration d’un fleuve comme sujet de droit constitue un tournant majeur dans le processus d’attribution de droits au profit de la nature. Elle ouvre une nouvelle voie dans laquelle l’Inde s’est rapidement engagée puisque quelques jours plus tard la Haute Cour de l'État himalayen de l'Uttarakhand, a publié un décret attribuant la personnalité juridique au Gange et à la rivière Yamuna. Ces cours d’eaux sont ainsi devenus des entités juridiques dotées de droits et de devoirs.
Dans les deux cas, la reconnaissance d’une personnalité juridique non humaine est certes importante mais se révèle insuffisante dans la mesure où ne sont concernés que des éléments désignés. Pour ne pas se limiter à une approche protectionniste telle que pratiquée par le droit à l’environnement, il importe de considérer comme sujet de droit la nature et ses composants dans leur ensemble à l’instar de ce qui existe dans certains pays d’Amérique latine. L’Équateur et la Bolivie sont les précurseurs en matière de reconnaissance de droits au profit des éléments naturels. Ces deux pays présentent des caractéristiques communes – multiplicité des communautés partageant le territoire, rapport spécifique avec la terre nourricière (Pachamama) –, qui ont conduit constituants et législateurs à désigner la nature comme un « sujet de droit » titulaire de droits fondamentaux. Les constitutions équatorienne et bolivienne ont intégré la notion de vivre bien comme fondement d’une société en harmonie avec la nature et solidaire dans ses communautés.
C’est en 2008 que l’Équateur devint le premier pays à reconnaître la Pacha Mama comme un véritable sujet de droit doté à l’instar des humains, de droits fondamentaux garantis par la Constitution (3). Si en 2009, le préambule de la Constitution bolivienne fait référence à son tour à la Pachamama et à l’objectif du bien vivre (4), c’est surtout la « loi sur les droits de la Terre-Mère » (5) adoptée quelques mois plus tard qui est venue renforcer l’arsenal juridique.
Dans ce texte élaboré sur le modèle de la déclaration des droits de l’Homme, la Terre-Mère, est un sujet collectif d’intérêt public englobant la faune et les animaux en général, la flore, les minéraux, l’eau, mais aussi des ensembles tels que les paysages et chacune des entités animées ou inanimées la composant individuellement. Cette loi lui accorde un ensemble de droits, à l’instar de ceux de la Pacha Mama équatorienne.
Parmi ces droits consacrés par l’article 7, on notera notamment la reconnaissance du droit à la vie (droit à la perpétuation de l’intégrité des écosystèmes et des processus naturels qui les soutiennent), du droit à la diversité de la vie (droit à la préservation de la différence et de la variété des êtres qui composent la Terre-Mère, sans être modifiés génétiquement, ni même de manière artificielle, de telle façon que cela puisse menacer leurs existences, fonctionnements et potentiels futurs) ou encore du droit à l’équilibre (droit au maintien ou la restauration l’interdépendance, la complémentarité et la fonctionnalité des composantes de la Terre-Mère, de manière équilibrée pour la continuité de ses cycles et la reproduction de ses processus vitaux).
Cette approche biocentrique qui reconnaît à la nature des valeurs intrinsèques indépendamment de sa fonction utilitaire pour l’homme est évidemment très éloignée de la posture occidentale selon laquelle seul l’être humain peut accorder et reconnaître des valeurs et des droits. Mais toutes ces évolutions sont l’expression de la modification des rapports entre les hommes et le monde, la nature, les animaux. Il existe désormais une nouvelle approche de la nature qui s’écarte de définitions patrimoniales plus classiques. Ni res communis ni res nullius, la nature peut devenir sujet de droit et non objet d’appropriation, même collective, par la nation ou la société. Et si, le XXe siècle a vu la reconnaissance des droits de l’Homme, le XXIe devra être celui des droits de la Terre et de tous ses êtres vivants.
Muriel Falaise
1. Te Awa Tupua (Whanganui River Claims Settlement) Bill n° 129-2.
2. C. Orange, The traity of Waitangui, Australie, Allen & Unwin Port Nicholson Press, (c) 1987, éd. 1989, pp. 255-256.
3. Constitution de la République d’Équateur, 20 octobre 2008.
4. Constitution de l’État plurinational de Bolivie, 9 février 2009.
5. Loi n° 071 « Derechos de la Madre Tierra », Gaceta Oficial de Bolivia, 21 décembre 2010, http://www.gacetaoficialdebolivia.gob.bo/normas/buscar/71
Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.