La campagne électorale présidentielle de 2017 a permis de sonder les candidats sur l’intérêt qu’ils portent à la cause animale. Vingt-six organisations, dont la LFDA, se sont groupées sous le titre Animal Politique à l’initiative de deux députés, Laurence Abeille et Geneviève Gaillard, pour dresser la liste de trente propositions, d’importances très inégales, dans six domaines : élevage, expérimentation, spectacles, faune sauvage, rapports animal et société, animaux de compagnie.
Pour la plupart, ces propositions étaient de nature ponctuelle et d’ordre réglementaire voire législatif, et à visée à échéance brève. Néanmoins, elles pouvaient mobiliser l’attention et la réflexion des interrogés. La réponse à chaque question pouvait n’être donnée qu’en cochant une case correspondante. Elle s’est souvent limitée à cela, ce qui est l’indice d’une réaction spontanée plus que réfléchie et le signe d’un intérêt modéré. Ce OUI/NON devait pourtant avoir valeur d’un engagement à une mise en œuvre ; certains candidats ont ajouté un commentaire.
Mais que valent les promesses ? Bien des sentences définitives ont été prononcées à ce sujet, dont celle du cardinal Jules Mazarin, l’une des plus cyniques : « Il n’y a aucun obstacle à promettre ce que l’on sait ne pas pouvoir tenir. » Ne soyons pas pessimistes et souhaitons que nos politiques se soient prononcés avec sincérité, en particulier celui qui a été élu.
Mais vouloir être optimiste n’empêche pas de feuilleter les archives à la recherche de ce qui s’est passé lors des campagnes électorales antérieures : cela aiderait à répondre à la question posée en titre de cet article, et pourrait apporter une leçon.
En la matière, l’expérience de la LFDA est ancienne, puisque nous avons interpellé les candidats lors de toutes les présidentielles : lors de chacune durant les trois dernières décennies, un dossier personnel a été envoyé à chacun des candidats, et a fait l’objet d’une publication en encart dans Le Monde. La LFDA s’est toujours attachée à questionner les candidats sur des sujets de l’ordre conceptuel général et à visée sur un temps long, qui est propre à la Présidence.
Le tout premier questionnaire concernant l’animal a été lancé par la LFDA à l’occasion de la campagne présidentielle de 1981, inaugurant ainsi ce qui est ensuite devenu une habitude. Elle avait constitué un groupe de dix-sept personnalités éminentes, académiciens, universitaires, politiques (1) présidé par le Pr Alfred Kastler. Publié en pleine page du Monde du 20 mars 1981, et doublé par un document envoyé personnellement à chaque candidat, un « Appel » ambitieux a lancé l’idée que le président, chargé par la Constitution d’être le garant de l’intégrité du territoire, devait l’être non seulement pour ses frontières, mais aussi pour sa qualité écologique. Préserver le contenu vaut autant que préserver le contenant. Huit questions suivaient, concernant notamment l’éthique à l’égard de la vie, l’éducation, l’élevage concentrationnaire, l’expérimentation, la chasse, la préservation de la nature. Six des candidats avaient répondu. Nous ne retiendrons, sans en faire ici de commentaire, que les citations du candidat élu, François Mitterrand : « La préservation de la vie et de la nature font partie intégrante de ce que chacun doit connaître, et justifie que le Président de la République se préoccupe d’en promouvoir l’enseignement » ; « Il paraît normal que chacun puisse s’opposer à l’exercice de la chasse sur la terre qu’il possède ou dont il a l’usage » ; « Le réalisme politique oblige à envisager [l’abandon des élevages concentrationnaires] comme un objectif à terme plus qu’une interdiction immédiate » ; « Je suis favorable à ce que les divertissements utilisant des animaux vivants restent limités aux seuls endroits où ils correspondent à des coutumes profondément ancrées. » M. Mitterrand n’avait répondu ni à la suggestion d’un président garant de la qualité du territoire, ni aux questions concernant l’expérimentation substitutive, et la multiplication des espaces naturels protégés.
En 1988, la LFDA, de concert avec la Fondation Assistance aux animaux, a posé une seule question : « Serez-vous déterminé à faire accorder à l’animal le statut de personne juridique ? », question doublée d’une publication dans Le Monde du 16 avril. Ce sujet fondamental n’a pourtant suscité l’intérêt d’aucun des candidats, lesquels en revanche ont répondu à d’autres questionnaires concernant principalement les animaux de compagnie.
Lors de la campagne de 1995, quatre réponses ont été sollicitées sur l’éthique à l’égard de l’animal, l’éducation civique au respect de la nature, le statut juridique de l’animal et à nouveau l’intégrité écologique du territoire, avec la caution de six membres de l’Institut et d’un prix Nobel de littérature. Seul M. Balladur a envoyé ses réponses, d’ailleurs très favorables.
En 2002, la LFDA a posé les mêmes questions, ajoutant l’exigence du respect des accords communautaires et des traités internationaux visant à assurer le bien-être des animaux et la pérennité des espèces. M. Jacques Chirac s’est engagé sur tous les points, y compris « sur la question du statut de l’animal », afin que « les droits des animaux soient réellement préservés ».
2007 : la LFDA et six organisations qui l’ont rejointe réclament la réforme du droit et l’instauration d’un nouveau régime juridique de l’animal, le renforcement des contrôles grâce à l’instauration d’une Haute Autorité indépendante, et l’instauration d’une éducation civique au respect de la nature, depuis l’école primaire jusqu’à l’enseignement supérieur. M. Sarkozy ne donne pas de réponse, mais il s’exprime ici et là sur les maltraitances inutiles, l’encadrement de l’expérimentation, les chiens, et il rencontre longuement les chasseurs.
Enfin en 2012, le candidat François Hollande envoie au président de la LFDA des réponses très fermes et positives et à valeur d’engagements sur le bien-être animal, le régime juridique de l’animal dans le code civil, l’application des lois, sa sensibilité à l’urgence environnementale, la reconquête de la biodiversité.
Qu’est-il résulté directement des positions annoncées, voire des engagements pris ? Autrement dit, les présidents élus ont-ils tenu compte des (quelques) propos tenus par les candidats ? Voyons quelles ont été les avancées de la condition animale durant la même période au niveau de la loi, laquelle peut impliquer un avis du Conseil des ministres. La distinction entre animal et chose dans le code civil a été prononcée par la loi du 6 janvier 1999, qui modifie les articles 524 et 528 du code en mentionnant dans l’un « les animaux et les objets » et dans l’autre « les animaux et les corps qui peuvent de transporter d’un lieu à un autre ». Elle ne résulte nullement d’une initiative de l’exécutif, mais des interventions répétées depuis 1984 par la LFDA et Mme Antoine auprès de parlementaires. Avec son article 24, la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse abroge l’obligation faite à quiconque d’accepter que l’on chasse chez lui : cette justice rendue aux convictions morales personnelles ne résulte en rien de l’engagement présidentiel, mais d’un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 avril 1999. L’ajout des sévices sexuels à l’article 521-1 du code pénal relatif aux actes de cruauté et sévices graves, prononcée par la loi du 9 mars 2004, dite loi Perben, est venue en conclusion de la campagne ouverte à ce sujet par la LFDA en 1996. Quant à la modification du code civil de 2015, qui mentionne la qualité d’être sensible de l’animal, elle a été obtenue après trente années de démarches initiées et répétées par la LFDA, après six questionnaires aux candidats successifs à la présidence, et seulement dix ans après la remise du Rapport Antoine au garde des Sceaux en 2005.
Ainsi, aucun des progrès législatifs marquants n’a été consécutif aux opinions émises par les présidents encore candidats. En revanche, les propositions conceptuelles de fond telles que l’éthique à l’égard de l’animal, l’éducation civique au respect de la nature, l’urgence environnementale, la reconquête de la biodiversité, qui entraînent des orientations politiques, n’ont eu aucun écho, pas plus que la préservation de l’intégrité écologique du territoire national.
Il en a été de même lors de la campagne présidentielle de 2017. Au nom de la Fondation, le président Schweitzer s’est adressé aux candidats, les interrogeant notamment sur la nécessité d’organiser un élevage agricole recentré sur le bien-être des animaux et sur le soutien que la France pourrait apporter à un projet de déclaration des droits de l’animal à promouvoir dans un cadre européen et international, notamment à l’Unesco. Quelques réponses de convenance ont été reçues. Le candidat Emmanuel Macron n’a pas envoyé la sienne.
On en arrive donc à conclure que lors des sept campagnes présidentielles, il n’a pas été utile d’interroger les candidats, sinon pour avoir eu le plaisir intellectuel de réfléchir aux grands sujets à aborder, jugés dignes du niveau des préoccupations d’un chef d’État.
Nous ne sommes pas seuls à tirer cette leçon. Un article fort intéressant publié dans Le Monde du 22 février (2) mentionne que « recueillir les positions des candidats à la présidentielle n’est plus à la hauteur des enjeux actuels », et cela pourtant sur des sujets hautement importants tels qu’énergie, éducation, régulation des technologies, innovation. En effet, rien n’avait suivi les promesses faites en 2012 : redéploiement du crédit d’impôt recherche pour les universités, arrêt du financement de projets à court terme, reconnaissance de la valeur du doctorat. L’auteur de l’article déplore que les scientifiques semblaient « ne pas avoir plus de poids que les chasseurs ou le secteur des services à la personne, alors que les valeurs scientifiques sont menacées de toute part ».
Nous sommes en plein accord avec cette analyse désabusée, car contrairement à la condescendance avec laquelle elle est encore considérée, la « condition animale » est hautement impliquée dans les orientations et les décisions politiques concernant l’économie (élevage), les sciences (recherche), l’enseignement, le droit, et l’écologie (biodiversité), sans oublier l’évolution de la sensibilité éthique de la société.
Jean-Claude Nouët
1. Parmi les signataires de l’Appel de 1981 figuraient Mme Marguerite Yourcenar, MM Jacques Baumel, Paul Belmondo, Yves Brayer, Remy Chauvin, Florian Delbarre, Jean Fourastié, Charles Hernu, Serge Lifar, Thierry Maulnier, Théodore Monod, Jean-Claude Pecker, Edgar Pisani, jacques Soustelle, Pierre-Yves Trémois, Robert de Vernejoul.
2. Le Monde, 22 février, Antoine Blanchard
Article publié dans le numéro 94 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.