Cette année, l'université de Limoges accueillait un colloque intitulé « Les droits de regard sur l'abattage des animaux d'élevage », organisé par l'Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques sur le campus de Brive-la-Gaillarde. La première partie du colloque s'est tenue au mois d'avril et traitait des droits de regard au sein des abattoirs. Cet article traite de la seconde partie traitée lors du colloque qui s'est déroulé le 8 septembre sur le thème des droits de regard sur l'abattage à la ferme.
Cette journée s'est composée de plusieurs parties :
- d'abord une table ronde intitulée « L'abattage à la ferme : l'opportunité d'une généralisation », qui réunissait Yves-Pierre Malbec, éleveur dans le Lot, représentant de la Confédération paysanne du Lot et membre du collectif Quand l’abattage vient à la ferme ; et Alain Grépinet, administrateur de la LFDA, docteur vétérinaire, anciennement professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et expert près de la cour d'appel de Montpellier ;
- ensuite, quatre interventions de doctorants et maîtres de conférences en droit public et privé sur l'encadrement juridique de l'abattage à la ferme ;
- enfin, une cérémonie de remise des diplômes du Diplôme universitaire en Droit animalier, co-créé par Lucille Boisseau-Sowinski, maître de conférences en droit privé (lauréate du Prix de Droit 2016 de la LFDA), et Jean-Pierre Marguénaud, professeur en droit privé et sciences criminelles, tous les deux responsables de ce colloque.
Les différentes prises de parole des intervenants ont permis de révéler les dissensions entourant cette idée d'abattage à la ferme et les défis qui attendent les législateurs s'ils étaient amenés à légiférer sur le sujet.
L'abattage à la ferme : de quoi s'agit-il ?
Le projet d'abattage à la ferme a été développé par des éleveurs qui souhaitent pouvoir contrôler le processus d'élevage de leurs animaux depuis la naissance jusqu'à la mort. Ils se sont regroupés avec des vétérinaires, des chercheurs et des organisations de protection animale pour former le collectif Quand l'abattoir vient à la ferme. Ce collectif milite pour obtenir la possibilité d'abattre les animaux directement sur l'exploitation agricole dans un caisson d'abattage, ou bien dans un camion mobile qui se déplacerait de ferme en ferme. Le caisson d'abattage permet la saignée des animaux à la ferme mais nécessite le transport rapide des carcasses vers un abattoir de proximité pour y être transformées, à moins de posséder sur place une pièce frigorifiée, onéreuse. Quant au camion mobile, il dispose non seulement d'une remorque d'abattage mais également de remorques frigorifiques où la transformation des carcasses est éventuellement réalisable.
Les points positifs
Ce mode d'abattage fait débat, ce qui a pu être constaté lors de cette deuxième partie du colloque. Selon M. Malbec, permettre l'abattage à la ferme aurait un impact important sur le bien-être des animaux puisque ces derniers ne subiraient plus le stress du transport et de l'attente au sein de l’abattoir. De plus, cela permettrait de faire face à la « pénurie d'abattoirs » qui sévit en France, avec moins de 300 abattoirs de boucherie en activité, selon lui. Il a insisté sur la mise en place fructueuse, en Suisse et en Suède notamment, de structures d'abattage à la ferme. Si un pays comme la Suède, membre de l'Union européenne, utilise des camions mobiles d'abattage, cela signifie que d'un point de vue juridique, la France pourrait également développer des structures de mise à mort similaires.
Les points négatifs
Alain Grépinet reconnaît que pour les animaux d'élevage, l'abattage à la ferme est « sûrement mieux ». Cependant, une note de l'association Œuvres d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs (OABA) nuance ces propos, en indiquant qu'il n'est pas sûr que les animaux soient abattus d'une balle dans le cerveau en plein milieu du pré. Ils seront donc toujours amenés à être manipulés pour être isolés dans le caisson ou camion et pour être contraints à l’abattage. Ensuite, ces deux méthodes d'abattage à la ferme auraient un coût important qui entraînerait une augmentation inévitable du prix de la viande. En effet, les installations, la gestion des déchets et le transport des carcasses en chambre froide seraient coûteux, et le nombre d'animaux abattus par jour s'en trouverait largement réduit par rapport à l'abattage industriel. Selon l'OABA, il n'est pas sûr que les consommateurs soient prêts à payer plus cher les produits carnés. Enfin, l'argument le plus important pour le docteur Grépinet est celui des problèmes sanitaires et de traçabilité de la viande. Dans un abattoir fixe, des vétérinaires indépendants effectuent des inspections ante-mortem et post-mortem qui sont indispensables pour éviter les risques sanitaires (contaminations…). Or, si l'inspection ante-mortem à la ferme est réalisée par le vétérinaire traitant, il peut y avoir un conflit d'intérêt, le vétérinaire ne souhaitant pas causer de tort à son client. Le nombre de vétérinaires missionnés par l’État ne cesse de diminuer et est insuffisant. Alain Grépinet et l'OABA estiment donc peu réaliste le recrutement d'un nombre suffisant de vétérinaires acceptant de se déplacer d'une exploitation à une autre. Pour ce qui est de la traçabilité de la viande, le docteur vétérinaire pense que seuls les abattoirs fixes sont en mesure de répondre à cent pour cent à la réglementation actuelle qui permet de réduire considérablement les risques pour la santé publique.
Les défis à relever
Si la mise à mort à la ferme comporte des points positifs comme des points négatifs, elle entraîne également des challenges de taille. En plus des défis d'ordre sanitaire qui ont déjà été abordés, la maître de conférences en droit public Émilie Chevalier a indiqué lors de son intervention que les règles dérogatoires qui permettent déjà de pratiquer un abattage à la ferme (abattage familial pour consommation propre, vente directe au consommateur et abattage d'urgence, qui suivent des règles strictes et concernent un nombre marginal d'animaux et de personnes) ne pourraient pas se généraliser. Cela impliquerait donc la création d'un cadre juridique autonome par le législateur. Pour Baptiste Nicaud, maître de conférences en droit privé, il y a aussi les difficultés relatives aux contrôles des animaux par vidéo-surveillance dans les élevages. Il a précisé dans son intervention que, dans la mesure où la ferme est à la fois le domicile et le lieu de travail de l'éleveur, la vidéo-surveillance se confronterait à la vie privée de celui-ci ainsi qu'à celle de ses éventuels salariés. Comme les animaux sont présents dans plusieurs endroits de l'exploitation, il faudrait des caméras partout. Comment distinguer alors la vidéo qui sert à la protection animale de celle qui sert à la formation des employés ou de celle qui surveille ces derniers ? Selon B. Nicaud, l'abattoir mobile serait la mesure la moins intrusive puisque l'éleveur serait en mesure de donner son consentement (qui est indispensable selon la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés) et seules les étapes de l'abattage seraient filmées.
Conclusion
Ainsi, l'abattage à la ferme divise. Certes, quelques éleveurs, tels que le Périgourdin Stéphane Dinart, ont décidé d'abattre leurs animaux dans leur ferme en assumant l’illégalité de l’acte. De son côté, la société Bœuf Éthique a déjà commencé la construction d'un abattoir sur roues qui pourra se déplacer de ferme en ferme et qui sera théoriquement opérationnel dans quelques mois. Pourtant, il semble que la légalisation de ce type de mise à mort ne soit pas à l'ordre du jour en France. En effet, le rapport de la Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français menée en 2016, proposait l'expérimentation d'abattoirs mobiles en métropole mais elle n'a finalement pas été retenue par les législateurs lors du passage de la proposition de loi à l'Assemblée Nationale en janvier dernier.
Colloque « Les droits de regard sur l’abattage de animaux d’élevage », Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques – Université de Limoges, 7 avril et 8 septembre 2017, Campus de Brive-La-Gaillarde.
Chloé MARRIAULT, « Ces éleveurs qui prônent l'abattage à la ferme », Le Figaro, 03 septembre 2017.
Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.