L'interdiction de production de fourrure instaurée dans un nombre grandissant de pays européens pourrait entraîner le déplacement de la production hors de l'Union européenne, ce qui aurait de graves conséquences pour le bien-être des animaux.
Dynamique croissante de fermetures légales de fermes à fourrure en Europe ou le soupçon d’une éthique de façade
De moins en moins portée en Europe, de plus en plus demandée en Chine, objet de campagnes de publicités et d’information, d’engagement de certaines marques à ne pas en utiliser, la fourrure ne laisse personne indifférent. Alors que la consommation mondiale ne cesse d’augmenter ces dernières années, la moitié des États de l’Union européenne, première productrice de fourrure, a successivement pris la décision d’interdire l’élevage des animaux pour leur fourrure d’ici 2028. Ainsi, la portée de cette nouvelle dynamique mérite d’être étudiée.
L’Europe en tête sur le marché de la fourrure
Plus qu’une simple parure luxueuse, la fourrure engendre une immense industrie de plus en plus juteuse. En effet, de 15,6 milliards de dollars en 2011 (soit environ 14 milliards d’euros), celle-ci pèse 35,8 milliards de dollars en 2013 (soit environ 32 milliards d’euros), et près de 40 milliards de dollars en 2015 (1). Dans le même temps, son utilisation s’est totalement transformée. Elle devient maintenant courante dans les gammes de prêt-à-porter, et se trouve partout, surtout là où on ne l’attend pas, comme sur les cols de capuche, les chaussures, ou au sommet des bonnets. En 2016, environ 80 millions d’animaux ont été tués pour leur fourrure, dont plus de la moitié en Europe. En produisant entre 50 et 60 % de la fourrure mondiale, c’est bien l’Europe qui détient la première place en la matière, avec 39 millions de visons, 3 millions de renards, 200 000 chinchillas et 180 000 chiens viverrins en 2016. Elle est suivie par :
- la Chine (environ 25 % de la production mondiale),
- l’Amérique du Nord (12 %)
- la Russie (5 %).
En produisant à elle seule 2,5 millions de fourrures de renards (soit 50 % de la production totale de renards), la Finlande se classe en première position mondiale. En Europe, elle est 4e derrière les Pays-Bas (4 millions de visons en 2016), la Pologne (8,5 millions de visons) et le Danemark, qui génère à lui seul 18,5 millions de peaux de visons. L’élevage pour la fourrure représente dans ce pays le troisième plus grand type d’élevage, et le premier type d’export vers La Chine et Hong-Kong. Qu’elle soit sauvage (obtenue par chasse et piégeage) ou d’élevage, la fourrure est vendue pour un tiers par ventes privées et deux tiers par enchères. Une fois encore, c’est en Europe que se trouve Kopenhagen fur House, la plus grande maison d’enchères parmi les six existantes (3 en Amérique du Nord, 1 en Russie et 2 en Europe). Au plus haut de la saison de vente, cette maison danoise détenue par 1 500 fermiers (à fourrure) peut vendre plus de 7 millions de visons par cession d’enchères, et réalise en 2015 1,63 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Sa première cliente n’est pas l’Europe, de moins en moins friande de produits en fourrure, mais la Chine, dont la demande explose depuis quelques années.
Un vide juridique persistant et une fermeture progressive des fermes à fourrure dans la moitié des États Européens…
S’agissant des réglementations encadrant l’élevage pour la fourrure, un immense vide juridique demeure dans l’Union européenne malgré l’importance de l’activité. Ainsi, alors que 20 États membres sur 28 exploitent des fermes à fourrure à ce jour, il n’existe aucune règle de droit spécifique à ce type d’élevage, à part l’interdiction d’importer et de vendre sur le marché européen de la fourrure de chien, chat, et phoque (2). Par défaut, il est assimilé à l’élevage des animaux d’alimentation, dont la réglementation reste extrêmement générale et rare. En effet, seule la directive 98/58/CE du conseil du 20 juillet 1998 règle l’élevage, imposant qu’aucune souffrance inutile ne soit infligée aux animaux, et que leurs besoins physiologiques soient assurés conformément à des dispositions (peu exigeantes) présentes en son annexe concernant notamment les stabulations, la nourriture et les équipements. Un unique règlement aborde la mise à mort, qui doit être la moins douloureuse possible (3). Enfin, l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) demande aux États de prendre en compte le bien-être des animaux dans la formulation de leur droit interne. Ainsi, l’Union préfère laisser la liberté aux États membres de réglementer l’élevage pour la fourrure, ce que peu d’entre eux ont fait.
Afin de pallier ce manque, des programmes de recommandations existent, comme Welfur, créé en 2009 par l’Association européenne des éleveurs de fourrure (EFBA). Il propose des guides de bonnes pratiques et des protocoles permettant de mesurer le bien-être des animaux grâce à des grilles d’évaluation et de notation (de 1 : « meilleures pratiques actuelles », à 4 : « pratiques inacceptables »), dont les résultats sont connus par l’EFBA, qui peut prévenir les autorités compétentes en cas de sévères manquements. Néanmoins, toutes les conclusions des études scientifiques menées au sujet des élevages dans les fermes à fourrure convergent sur plusieurs points.
D’une part, les conditions de vie de ces animaux ne respectent pas leur physiologie, comme le mettent en évidence leurs stéréotypies systématiques et leur taux élevé de cortisol, indicateur de stress. En effet, le vison par exemple est un carnivore territorial, solitaire, qui vit principalement en milieu aquatique. Or, il est élevé dans une cage 45x30x90 cm (taille recommandée), alignée à une centaine d’autres avec vue directe et contact à travers les barreaux avec ses congénères, sans bassin d’eau où nager. Sur ce point, une domestication (génétique) a déjà été testée, notamment sur les renards, afin d’améliorer leur tolérance aux conditions d’élevage. Mais il en est résulté la modification de certaines caractéristiques physiques, dont le pelage (couleur, toucher) ; dès lors cela n’est plus jamais pratiqué à un niveau suffisant.
D’autre part, concernant l’abattage, les études jugent inefficace et cruelle la méthode d’électrocution à vif, utilisée habituellement comme unique moyen de mise à mort des renards et chinchillas, sauf si elle est précédée par un fort étourdissement préalable (ce qui n’est pas obligatoire donc très peu pratiqué). Un rapport de l’année 2000 explique à ce sujet que « l’électricité ne traverse pas le corps jusqu’au cerveau ; l’animal reste éveillé et ressent entièrement une énorme attaque cardiaque d’une puissance insoutenable [qui entraine] une fibrillation cardiaque, mais [l’animal] reste conscient durant un certain temps avant de mourir ». (4)
Ainsi, en réaction à la contestation citoyenne contre la fourrure, notamment à la suite de ce genre de rapports (manifestations, campagnes, propositions de loi, etc.), certains États ont décidé de réagir. L’Italie et l’Allemagne en 2001 et 2017 ont renforcé leurs réglementations et rendu obligatoires divers protocoles et installations favorables au bien-être de chaque espèce à fourrure, rendant le coût d’élevage insupportable pour la très grande majorité des fermes, qui ont fermé ou fermeront leurs portes prochainement, de même pour les élevages de renards en Suède. Douze autres États ont décidé, eux, d’interdire totalement les élevages sur leur sol. Le Royaume-Uni en a été le précurseur en 2001, suivi de nombreux États : l’Autriche, quatre États allemands, la Macédoine, la Slovénie, la région de Bruxelles, le Luxembourg, la Croatie en 2017, suivie de la Bosnie et la République-Tchèque pour 2019, les Pays-Bas pour 2024 et enfin la Serbie pour 2028. La France, elle qui élève des visons et des lapins Orlylag, a rejeté pour des raisons économiques une proposition de loi en 2013 qui demandait l’interdiction d’agrandir les fermes à fourrure actuelles et d’en ouvrir de nouvelles, la soumission des produits contenant de la fourrure à une taxe environnementale pour sanctionner la pollution générée par cette activité, ainsi qu’un étiquetage plus strict des produits.
…Qui in fine empire la situation des animaux à fourrure
A priori, toutes ces prochaines fermetures d’élevages laissent présager une nouvelle dynamique en Europe, plus respectueuse du bien-être et de la souffrance animale. Or, nous pouvons déjà remarquer deux choses. La première est le rejet de la proposition de résolution faite au parlement européen le 15/05/2015 visant l’interdiction d’importer dans l’Union de la fourrure angora et des peaux de lapin provenant de Chine, au motif d’une perte de revenus trop importante aux vues du volume des importations chinoises et des relations économiques bien établies entre elle et l’Union. Cette dernière a pourtant reconnu que le traitement des lapins en Chine n’est pas ou peu réglementé et est particulièrement violent, pouvant causer d’importantes souffrances (épilation à vif, coups, voire dépeçage à vif…). La seconde est l’importance des activités de transformation des peaux et d’exportation de produits finis en Europe, y compris dans ces mêmes États où l’élevage est interdit. Le Royaume-Uni par exemple, qui ne veut plus voir de ferme à fourrure sur son sol, connait un revenu d’exportation de produits finis en fourrure de 26,5 millions € en 2015 (5). De même l’Italie exporte cette même année pour 353,4 millions € de produits finis, et l’Allemagne pour 60,6 millions €. La France, elle, connait un revenu de plus de 95 millions €, mais ne compte pas arrêter son activité d’élevage. Bien qu’il soit nécessaire de garder en tête que de tels revenus représentent une part importante de l’activité économique de ces États et génèrent de nombreux emplois, leur positionnement éthique mérite tout de même d’être nuancé ou questionné.
Par ailleurs, même si la part de l’Europe dans la production de fourrure risque de diminuer dans les prochaines années, la demande elle, ne cesse de croitre. Ainsi, selon la logique de marché, la production ne devrait pas être réduite, mais seulement déplacée. Or, elle risque de l’être en grande partie dans des États moins regardants sur les conditions d’élevage et d’abattage, comme la Chine, qui depuis une dizaine d’années a justement saisi ce marché et le développe de façon exponentielle. Multipliant déjà par 6 sa production de peaux en seulement 4 ans, entre 2005 et 2009, elle continue depuis sur sa lancée. Dès lors, ne plus élever en Europe est loin d’être une solution tant que l’offre demeure à la hauteur de la demande, car les animaux seront sujets à d’autant plus de souffrances ailleurs.
Des solutions existent
Deux types d’actions sont envisageables. La première serait d’agir sur l’offre, en interdisant tout bonnement sur un territoire l’import et la vente de produits contenant de la fourrure, comme l’ont fait West Hollywood et Sao Paulo, bientôt rejoints par Israël et le Luxembourg. La seconde serait d’agir sur la demande, par exemple en développant au maximum la fausse fourrure qui grâce aux techniques actuelles peut imiter son homologue de manière extrêmement fidèle. En effet, bien que certains consommateurs désirent sciemment porter de la vraie fourrure, beaucoup ne souhaitent que le visuel et dans une moindre mesure le toucher d’une fourrure. Par ailleurs, un meilleur étiquetage des produits est nécessaire (voir l’article de Violaine Labarre dans la revue n°94 de juillet 2017), car de nombreuses personnes achètent de la fourrure à leur insu. Enfin, les stylistes pourraient mettre en avant d’autres matières textiles dans la mode, changer les tendances, afin de déshabituer les consommateurs à l’esthétique de la fourrure et la faire disparaître des collections et des enseignes.
- D’après la Fédération internationale du commerce de la fourrure (IFTF).
- Régulation N° 1523/2007.
- Règlement N° 1099/2009 adopté par le Conseil le 24 septembre 2009.
- Rapport de l’American Veterinary Medical Association repris dans la thèse de K.Gremmen « Safeguarding animal welfare in the European fur farming industrustry ». European public administration Bachelor, Twente, 2014.
- D’après le centre d’information européen sur la fourrure, http://www.fureurope.eu/fur-information-center/fur-industry-by-country/.
Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.
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