Une « première »: la chair d’un animal génétiquement modifié est en vente libre

Le projet de l’entreprise AquaBounty Technologies (située à Maynard, Massachusetts) a enfin abouti après une longue attente : le 4 août 2017, son PDG Ron Stotish a annoncé la vente de 4,5 tonnes du saumon transgénique, désigné AquAvantage, à des enseignes commerciales canadiennes dont il n’a pas précisé l’identité (1).

 

L’aventure de ce saumon qui a débuté en 1989 a été relatée ici à deux reprises (2a, 2b). Ce fut un long parcours pour franchir de multiples procédures réglementaires. En novembre 2015 enfin, la FDA (Food and Drug Administration des USA) a approuvé la consommation de ce saumon ; elle a été suivie six mois plus tard par

les autorités canadiennes. Mais des dispositions réglementaires datant de décembre 2015 émanant du Budget US interdisent sa vente tant que n’aura pas été décidé s’il doit être ou non labellisé comme génétiquement modifié. En tout état de cause, il vient d’être commercialisé au Canada.

Il s’agit donc d’un animal génétiquement modifié issu du saumon Samo salar qui a reçu un gène de l’hormone de croissance du saumon Oncorhynchus tshawytscha et des gènes régulateurs d’un poisson d’une troisième espèce (Zoarces americanus). Ainsi transformé, ce poisson subit une croissance très rapide qui lui permet d’atteindre en 18 mois une taille adulte propre à la vente, au lieu de 30 mois chez le saumon « sauvage » et avec une moindre consommation d’aliments (3). L’entrée de ce saumon dans le commerce est contestée à la fois aux États-Unis et au Canada par des organisations de consommateurs qui ont demandé que soient reconsidérées les décisions prises par les autorités réglementaires ; la saga va-t-elle se poursuivre ?

Quoi qu’il en soit, quelques commentaires peuvent être exposés. Tout d’abord, l’élevage de ce saumon est conduit actuellement au Panama dans des bassins en terre mais si d’aventure avec le temps son élevage se répand dans d’autres pays et dans des parcs d’aquaculture en mer, même étroitement surveillés, le risque que des fugitifs «  contaminent » par croisements intempestifs le génome de populations de saumons sauvages n’est pas nul (2b). Un cas récent de telles fuites vient d’être signalé par la revue Nature (4). Ainsi, selon la compagnie d’aquaculture des îles San Juan (État de Washington) des filets ont été endommagés par des marées exceptionnellement hautes le 19 août dernier et des milliers de saumons atlantiques sont passés dans l’océan Pacifique. Devant le risque d’atteinte des populations autochtones de saumon par le saumon atlantique, les autorités ont décidé la suspension temporaire des règlements de la pêche afin que les pêcheurs, professionnels ou de loisir, capturent et vendent les saumons atlantiques qu’ils attrapent. AquaBounty Technologies a élevé son saumon au Panama dans un petit élevage en bassin au sol mais l’entreprise a en projet l’expansion de la production au Canada dans l’île du Prince Edward depuis l’autorisation accordée en juin par les autorités locales. Dans ce même mois la compagnie a acquis une ferme d’aquaculture à Albany (Indiana) et elle attend l’accord des autorités de règlementation des USA pour y démarrer la production (1). Les élevages risquent de se multiplier éventuellement dans le monde si AquaBounty Technologies commercialise les pontes des saumons transformés.

Une fois franchies les procédures réglementaires, comment gagner l’accord des consommateurs ? Le point central repose sur la traçabilité de ce saumon. Les autorités canadiennes considèrent qu’il ne doit pas être labellisé au regard de la réglementation canadienne puisque celle-ci impose un étiquetage des produits uniquement s’ils représentent un risque, comme par exemple la présence d’un allergène. On notera au passage, à cet égard, que le saumon AquAdvantage aurait un potentiel allergénique de 20 à 50 % plus important que le saumon sauvage selon T. Schwab (cité dans 2a). Mais si la consommation de l’animal est sans danger, pourquoi ne pas le labelliser ? Selon T. Schwab, 2 500 supermarchés se sont engagés à ne pas vendre ces saumons et 260 chefs cuisiniers ont signé une lettre incitant au boycott de ces poissons. Mais à défaut d’étiqueter « OGM » ce saumon, rien n’empêche d’étiqueter « non OGM » les saumons sauvages.

En réalité la situation est beaucoup plus compliquée qu’elle le paraît. En effet, les accords commerciaux récemment conclus entre le Canada et l’Union européenne dans le cadre du CETA (5) relancent la question de l’étiquetage si est importé et mis en vente en Europe ce poisson OGM (Organisme Généreusement Masqué ?).

Alain Collenot

  1. Waltz E. (2017). First transgenic salmon sold. Nature 548 p.148.
  2. Revue Droit Animal, Éthique & Sciences (a) n°78 Juillet 2013 et (b) n°91 Octobre 2016
  3. Mougeot O. (2017). « Le Canada, premier pays à commercialiser du saumon transgénique » Le Monde.
  4. Runaway Salmon in Nature (Seven Days) 548, 505.
  5. Mougeot O. (2017). « L’impossible traçabilité du saumon génétiquement modifié canadien ». Le Monde (15 septembre).

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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