Protection animale et formations à l’expérimentation

La Commission nationale de l'expérimentation animale est toujours en attente du décret qui permettra d'augmenter le nombre de représentants de la "protection animale" légitimes à statuer sur la protection des animaux dans les formations à l'expérimentation.

Composition de la CNEA

La Commission nationale de l’expérimentation animale (ou CNEA) a été instaurée par le décret 87-848 du 18 octobre 1987 issu de la transposition de la Directive du Conseil 24 novembre 1986. Elle a été reconduite par le décret 2013-118 du 1er février, qui a transposé en droit français les dispositions de la nouvelle directive 2010/63/UE. Ses missions, ses règles de fonctionnement, sa composition ont été exactement reprises du décret antérieur, malgré les motivations différentes des deux directives. Celle de 1986 visait à assurer l’harmonisation des réglementations des États membres de manière à éviter « des distorsions de concurrence ou des entraves aux échanges ». La seconde est « relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ». En conséquence, la réglementation française de 1987 s’était préoccupée de composer la Commission afin que soient représentées les diverses branches de la recherche scientifique et leurs intérêts respectifs : la CNEA rassemblait, outre huit représentants des ministères concernés, trois représentants de la recherche publique, trois du secteur industriel privé, trois professionnels de l’expérimentation animale, et trois de la protection animale et de la nature.

Comme cette composition a été conservée dans l’article R.214-132 du code rural et de la pêche maritime publié dans le décret de 2013, la nouvelle CNEA comporte, comme l'ancienne, huit représentants de l’État, neuf représentants de la recherche et trois représentants de la protection animale et de la nature. D’emblée, cette composition apparait déséquilibrée, puisque la nouvelle directive affiche comme objet essentiel la mise en œuvre de « mesures pour la protection des animaux » (article premier).

Formations à l’expérimentation

Parmi les missions de la CNEA, celle qui mobilise le plus de temps et de travail est l’examen des demandes de validation des « formations à l’expérimentations » propres aux fonctions des personnes appelées à utiliser l’animal : conception de projet expérimental, exécution de protocole, soin aux animaux. Chaque dossier est examiné et présenté à la Commission par deux rapporteurs. Puisque la nouvelle directive affiche comme objet la mise en œuvre de « mesures pour la protection des animaux », chacun des dossiers est légitimement soumis à un représentant de la protection animale et de la nature. Comme ces derniers sont trois fois moins nombreux que les représentants de la recherche, ils ont trois fois plus de travail à fournir. Le déséquilibre initial est ainsi aggravé, au point que les rapporteurs représentants de la « protection animale » ne peuvent matériellement, en raison de leurs occupations extérieures, consacrer le temps nécessaire à l’étude approfondie de chaque dossier. Or, c’est notamment sur leur expertise que la CNEA peut rendre l’avis favorable ou défavorable qui permettra au ministre de prononcer ou non l’approbation de ladite formation. Lors de multiples réunions de la CNEA, en général 12 dossiers sont à l’ordre du jour ; chaque rapporteur représentant de la protection en reçoit donc 4 à étudier. Cette charge est excessive, en raison du nombre de points à vérifier dans chaque dossier, des contacts souvent répétés que les rapporteurs doivent avoir avec les responsables des formations pour en recevoir tous éclaircissements, de la rigueur et de la clarté du rapport à fournir, et de la responsabilité du rapporteur dans l’opinion qu’il doit se faire sur la qualité de la formation.

En l’absence de toute réaction au sein et au sommet de la Commission, et en notre qualité de membre titulaire de la CNEA et de professeur des universités honoraire, nous avons adressé un courrier au ministre de l’agriculture et au secrétaire d’État chargé de la recherche le 3 mars 2016. Nous avons exposé la situation et nous avons demandé que le nombre des membres de la CNEA désignés sur proposition « des organisations reconnues d’utilité publique de protection des animaux et de protection de la faune sauvage »,  soit augmenté afin d’égaler celui des membres représentant  la recherche (soit neuf), ou au moins de s’en approcher en passant de trois à six.

Nous avons reçu une réponse des services du ministre le 3 juin 2016, nous informant que la demande avait été prise en compte, et « qu’un décret en Conseil d’État sera pris dans les prochains mois », doublant le nombre des représentants de la protection animale. Depuis, de question en relance, de Pâques en Trinité, le nouveau texte nous a été annoncé successivement pour l’automne, puis pour la fin de l’année 2016, pour le début de 2017, pour « avant l’été » ; le dernier courrier, daté du 3 avril 2017, indiquait que « sa publication interviendrait prochainement ».

Renseignements pris, le motif de ce calendrier étirable comme un accordéon serait que le décret CNEA aurait été joint, pour ne solliciter qu’une seule fois le Conseil d’État, à un décret « abattage » dont la publication s’est révélée nécessaire après les scandales révélés par la publication de vidéos dénonciatrices de cruautés. Fâcheuse initiative que ce lien, car le décret abattage est une affaire lourde et lente, aux incidences diverses, économiques, politiques,  sociales, ce qui apparemment bloquerait le décret CNEA, lequel ne soulève lui aucune difficulté. 

Que faire, sinon continuer à réclamer et à attendre ? Mais jusqu’à quand ? À nouveau, lors de la dernière réunion de la CNEA de septembre 2017, les trois de la « protection de l’animal » ont hérité quatre dossiers chacun. Nous sommes consciencieux, dévoués, généreux du temps offert gratuitement à l’État. Mais à la longue, en usant d’un recours hélas courant en France pour obtenir satisfaction, l’envie pourrait nous prendre de refuser d’examiner les demandes de validation des formations à l’expérimentation, et de bloquer ainsi la CNEA.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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