La pratique de la chasse à courre est l’un des résultats de l’incohérence de la loi : la législation et la réglementation françaises établissent une discrimination majeure entre l’animal domestique ou captif, et l’animal sauvage libre. Pour le démontrer, supposons…
Supposons que...
… Supposons que soit organisée dans la Forêt de Compiègne, ou celle de Rambouillet, ou ailleurs, la course-poursuite d’une chèvre. Les participants seront invités à se déguiser d’une veste rouge et de culottes blanches ; ils pourront suivre le jeu à cheval, ou en voiture. Chacun devra apporter une trompette, une vieille poire d’automobile. Le jeu consistera à lâcher une chèvre dans le bois, à lui lancer une bande de chiens aux jarrets, puis à suivre le train, en faisant le plus de bruit possible. À la fin de la journée, et du jeu, la chèvre forcément un peu fatiguée, sera mise à mort d’un coup de couteau sous la gorge. Affreux projet ! Rassurons-nous, cela n’est pas possible, parce qu’il est interdit d’exercer des mauvais traitements et des actes de cruauté envers les animaux domestiques, et que les animaux de boucherie doivent être mis à mort dans des abattoirs, sous condition d’immobilisation et d’étourdissement préalables.
Le jeu imaginé était affreux, horrible, cruel, ses organisateurs et ses participants seraient passibles de peines et d’amendes les plus lourdes. Bref, biquette est sauvée. Laissons-la dans son pré !... Et allons voir du côté du cerf, ou du chevreuil, ou du sanglier. Et supposons…
… Supposons que soit organisée, dans la forêt de Compiègne, ou celle de Rambouillet, ou ailleurs, la course-poursuite d’un cerf. Les participants seront invités à se déguiser d’une veste rouge et de culottes blanches ; ils pourront suivre le jeu à cheval, ou en voiture. Chacun devra apporter un instrument bruyant, une trompe de chasseur alpin par exemple. Le jeu consistera à aller déloger un cerf dans ses taillis, à lui lancer une bande de chiens aux jarrets, puis à suivre le train, en faisant le plus de bruit possible. À la fin de la journée, et du jeu, le cerf, forcément un peu fatigué, sera mis à mort d’un coup de dague dans le poitrail, ou plus prudemment d’un coup de carabine.
Alors là, non seulement c’est possible, mais c’est légal ; ce n’est ni affreux, ni horrible, ni cruel, c’est un sport, une tradition, une culture aristocratique… Les organisateurs et les participants n’exercent ni acte de cruauté, ni même mauvais traitement ; ces personnes hautement honorables se congratulent, et se félicitent.
L’exemple n’est-il pas clair et démonstratif ?
La réglementation française établit bien une discrimination incompréhensible et inadmissible entre les animaux. Car qui peut expliquer de quel droit et sur quels critères l’homme peut juger que l’animal domestique doit être protégé de la souffrance provoquée, et que l’animal sauvage ne mérite pas de l’être ?
La vache, le cheval, le chien, le cochon, le chat sont des êtres sensibles qui… que… et cetera, mais le cerf, le lièvre, le canard sauvage et tous les autres, qui reçoivent balles et plombs, tous ceux-là ne sentent rien, ne ressentent rien ? Pendant que toute l’attention se porte sur le respect du bien-être lors des transports et des abattages, l’usage persiste de poursuivre toute une journée et jusqu’à son épuisement, un cerf, un chevreuil, un sanglier ou un lièvre, pour finir par le tuer en pleine conscience ?
Il faut bien admettre qu’il y a là un spécisme avéré, c’est-à-dire une discrimination entre des animaux qui pourtant ont les mêmes droits à ne pas souffrir par la faute de l’homme. Nos lois et nos règlements sont spécistes, puisque nous dispensons la souffrance selon notre bon plaisir. Il est de notre devoir de montrer la même compassion, et le même intérêt pour tous les animaux, et d’autant plus lorsque nous sommes responsables de douleurs et de morts qui n’ont absolument aucune nécessité.
Car il faut bien reconnaître que la chasse à courre n’a aucune nécessité : elle n’est plus que la survivance archaïque des temps où elle était un moyen de se procurer de la viande, de s’entraîner aux chevauchées de la guerre, ou d’occuper ses journées. Elle est nécessairement destinée à disparaître, parce qu’elle n’est plus qu’une distraction immorale, qui heurte fortement la sensibilité du public.
Dans l'actualité
Dernièrement, dans un village en bordure de la forêt de Compiègne, un cerf épuisé s’était réfugié dans un jardin privé. Il a été tué au sol de deux coups de fusil tirés à bout portant par un membre de l’équipage ; son cadavre a été évacué vite fait devant un public scandalisé. Des images ont rapidement circulé grâce aux réseaux sociaux, soulevant une vague de protestations et de pétitions demandant la fin de la chasse à courre. Une plainte a été déposée, notamment pour pénétration dans une propriété privée sans autorisation, mise à mort d’un animal non blessé. Madame le procureur du tribunal de Compiègne a déclaré « ne pas voir très bien en quoi une infraction pourrait être relevée ». Elle a jusqu’à la fin janvier pour se décider, ou pour classer l’affaire sans suite. Par décision de la Société de vénerie, le « maître d’équipage », le Baron Alain Drach (fils de la Grande Veneuse Baronne Monique de Rothschild) aurait été suspendu de ses fonctions de maître d’équipage jusqu’à la fin de la saison et son équipage La futaie des amis privé de chasse pendant un mois.
Des affaires comme celle-là se sont déjà produites. Son déroulement rappelle exactement, par exemple, ce qui s’était passé dans l’Aisne en 2000. Un cerf, réfugié dans un jardin avait été tué de plusieurs coups de dague par un veneur de l’équipage du Rallye nomade de Folembray. La LFDA avait été la seule à déposer plainte : l’affaire avait été classée sans suite par le TGI de Laon, comme « infraction insuffisamment caractérisée ». Notre avocat nous avait déconseillé un recours en appel, au motif qu’un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre 1980 avait prononcé que « ne saurait être considéré comme un animal tenu en captivité […] un cerf vivant en totale liberté et qui chassé à courre, a été mis à mort alors que cerné par des chiens il se trouvait dans l’impossibilité de s’échapper. »
En 2017, Madame le procureur de Compiègne semble être de cet avis. On en conclut donc que la loi, en ses dispositions actuelles, continue de considérer l’animal sauvage épuisé, cerné, bloqué, dans l’impossibilité de fuir, comme étant non captif et toujours vivant à l’état de liberté… On en conclut donc que la loi considère que l’animal sauvage vivant à l’état de liberté n’est pas un « être sensible », ne peut bénéficier d’aucune des dispositions protectrices de sa sensibilité, et est condamné, par défaillance de la loi, à subir douleurs, souffrances, angoisse, et dommages durables.
Il ne suffit pas de déclarer que la chasse à courre « a tout pour paraître antipathique », dans « un contexte de sensibilisation accrue à la cause animale », ou de recommander « d’interdire […] la privatisation de l’espace public par une poignée de chasseurs ». Il faut avoir le courage et la force morale de mettre fin à l’injustice morale et à l’erreur scientifique monumentales qui consistent à refuser de reconnaître sa sensibilité à un animal physiologiquement et indéniablement être sensible au prétexte qu’il appartient à une espèce sauvage vivant à l’état de liberté, ou, pour utiliser le jargon administratif déplorable, sous prétexte qu’il n’est « ni domestique ni captif ».
Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.