L’article 58 de la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques oblige la Commission européenne à réexaminer la directive « au plus tard le 10 novembre 2017, en tenant compte des progrès dans la mise au point de méthodes alternatives n’impliquant pas l’utilisation d’animaux, notamment de primates non humains, et propose, le cas échéant, des modifications ». La Commission a publié son rapport le 8 novembre 2017.
Le rapport était très attendu, notamment sur deux questions :
- La directive de 2010 a-t-elle rempli sa mission de protection des animaux de laboratoire, en imposant le respect de la règle des 3R (Remplacer l’utilisation des animaux, Réduire le nombre d’animaux utilisés, ou « Raffiner » les méthodes d’expérimentation) afin d’améliorer le bienêtre des animaux ?
- L’utilisation des primates pour la recherche pourrait-elle être progressivement arrêtée ?
Le rapport expose les premières conséquences positives de la directive, ainsi que les problèmes soulevés par les différentes parties consultées. Il rappelle également que la mise en application de la loi n’est pas homogène dans tous les pays européens et que, par conséquent, des données manquent pour avoir un aperçu complet de l’impact de la directive.
Cet article suivra le plan du rapport, à savoir : une première partie sur l’harmonisation des pratiques et législations sur l’expérimentation animale, une deuxième partie sur le respect du bien-être animal avec l’application de la règle des 3R ainsi que le développement et l’utilisation des alternatives à l’expérimentation animale, une troisième partie sur la transparence dans le domaine de l’expérimentation, et une quatrième partie sur l’utilisation des primates dans les procédures expérimentales.
1. Harmonisation des pratiques à l’échelle européenne
L’un des effets espérés de la directive était d’harmoniser la législation en la matière pour tous les États membres de l’Union européenne (UE). Le rapport de la Commission européenne conclut, sur ce point, que de nombreux progrès restent à faire.
Un manque d’harmonisation des processus d’évaluation et des formations
Des différences de moyens structurels et financiers entre les États membres empêchent une bonne harmonisation des pratiques. En effet, les structures mises en place pour répondre aux objectifs de la loi, telles que les comités d’éthique d’établissement ou les commissions pour l’expérimentation animale nationales ou régionales, diffèrent d’un pays à l’autre en termes de compétence et de structure. De plus, malgré l’obligation de transposition de la directive dans les diverses législations nationales à partir de 2013, ces instances n’ont pas encore été créées dans certains États.
Au sujet de l’apprentissage et de la formation, certains utilisateurs sont obligés de suivre à nouveau des formations similaires lorsqu’ils changent de pays ; par ailleurs, certaines formations, qui concernent notamment des espèces animales peu utilisées, sont moins accessibles. De plus, en fonction des États, les durées de formation avant de pouvoir effectuer des procédures sur des animaux varient grandement.
L’inexistence de standards d’hébergement, de soins et de mise à mort pour certaines espèces
Le rapport signale que l’harmonisation des pratiques en matière de bien-être animal n’est pas atteinte dans le cas des céphalopodes, car les standards de méthodes de mise à mort appropriées ne figurent pas dans les annexes de la directive. Cela est dû au fait que l’utilisation des céphalopodes n’était pas réglementée avant l’entrée en vigueur de la directive. Le vice-président de la LFDA, en sa qualité de chercheur, était intervenu pour intégrer les céphalopodes dans le cadre de la directive ; il est nécessaire qu’une révision prochaine des annexes intègre des standards de mise à mort, d’hébergement et de soins appropriés à ces espèces animales.
Le problème posé par l’article 2 de la directive
Cet article recèle une incertitude quant à savoir si un État membre peut adopter des mesures nationales plus strictes que la directive. Certains États membres l’invoquent pour refuser les demandes de mise en place de telles mesures nationales. Le rapport ne lève pas le voile sur cette ambiguïté.
2. Bien-être animal, respect des 3R et alternatives
La plupart des parties consultées pour établir ce rapport ont conclu que la règle des 3R était généralement mieux respectée grâce à la directive européenne de 2010. Par exemple, la mise en place dans les établissements des comités d’éthique et des structures de bien-être animal a notamment contribué à l’amélioration des conditions d’hébergement et de manipulation des animaux, ainsi que des procédures expérimentales. Pourtant, en matière de bien-être animal, des progrès restent à faire.
La formation au bien-être des animaux de laboratoire
Les formations à l’expérimentation animale sont obligatoires pour toutes les personnes devant manipuler des animaux. D’après le rapport, des problèmes de formation subsistent au sein des pays de l’UE, et beaucoup de scientifiques utilisant des animaux n’ont pas connaissance des documents proposés par les États ou la Commission européenne pour mieux appréhender les formations.
En France, la LFDA, au travers de son vice-président membre de la CNEA, met tout en œuvre pour que les formations à l’expérimentation animale incluent réellement des enseignements éthiques, juridiques et de bien-être animal. La LFDA rappelle qu’elle avait d’ailleurs contribué en 1989 à la création et aux enseignements d’un diplôme universitaire de l’université Paris VI intitulé « Formation spéciale à l’expérimentation animale, destiné à la formation juridique et éthique des chercheurs ».
Le développement des méthodes alternatives à l’expérimentation
Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale ont pour but de se substituer aux animaux lors des tests. La Commission juge qu’il est trop tôt pour évaluer l’impact de la directive sur leur promotion et leur développement.
Selon le rapport, le laboratoire européen de référence pour les alternatives à l’expérimentation animale (EURL ECVAM) joue un rôle significatif dans la coordination de la validation des alternatives et dans l’information sur les alternatives. La LFDA ne partage pas cet avis. En effet, depuis sa création en 1991, EURL ECVAM n’a validé que peu de méthodes alternatives. S’il y a probablement manque de moyens, il y a aussi manque d’efficacité.
Le rapport fait aussi état de divers problèmes soulevés par les parties consultées : un manque de connaissance sur le sujet (manque de formation et de recherche spécifiques aux alternatives), une communication insuffisante sur la disponibilité d’alternatives, un problème d’acceptation par les chercheurs, et un problème de coût. Toutefois, toutes les parties admettent qu’il y a un fort potentiel pour remplacer l’utilisation des animaux à des fins éducatives, comme l’a déjà fait l’Italie. La promotion des méthodes substitutives s’est également accrue.
De son côté, la LFDA s’est engagée depuis 35 ans pour faire progresser la recherche d’alternatives à l’expérimentation animale grâce à la remise tous les deux ans de son Prix de biologie Alfred Kastler, qui a été attribué pour la onzième fois en décembre dernier (voir l’article en page 25 de ce numéro).
3. La transparence dans le domaine de l’expérimentation animale
Selon la Commission, la plupart des parties consultées estiment que la directive a permis d’améliorer la transparence sur l’expérimentation animale, même si l’impact maximal de la directive à ce sujet n’est pas encore atteint. Les organisations de protection animale expriment pour leur part des réserves, estimant que l’influence de la directive à ce sujet reste faible. Pour sa part, la LFDA pense qu’il reste des efforts supplémentaires à effectuer.
Les résumés non techniques des projets d’expérimentation
Les chercheurs utilisant des animaux doivent produire des résumés non techniques de leurs projets d’expérimentation afin qu’ils soient publics et compréhensibles par tous. Ils sont disponibles sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Des ONG de protection animale pointent du doigt l’explication parfois imprécise des procédés utilisant les animaux, ainsi qu’une importance trop grande apportée aux potentiels bénéfices comparativement à une information insuffisante sur les préjudices faits aux animaux.
Problèmes de transparence et d’impartialité dans les instances liées à l’expérimentation
La transparence sur l’évaluation des projets d’expérimentation animale n’est pas suffisante. Selon la Commission, seuls quelques États membres ont rendu public leur procédé d’évaluation des projets. Ces procédés sont connus dans le milieu de l’expérimentation animale, mais ne sont peut-être pas nécessairement diffusés auprès du grand public.
Le rapport fait également état d’une inquiétude de la part des ONG de protection animale quant à l’impartialité de certaines personnes responsables de l’évaluation des projets d’expérimentation, ainsi que sur la proportionnalité des représentants des différents acteurs de l’expérimentation dans les instances d’évaluation des projets (en France, les comités d’éthique).
Pour sa part, la LFDA s’est inquiétée du problème d’impartialité existant au sein de la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA), qui s’occupe d’évaluer et d’autoriser les formations à l’expérimentation animale. En tant que représentant de la « protection animale » à la CNEA, le vice-président de la LFDA a dénoncé en mars 2015 l’existence de conflits d’intérêts au sein de cette structure, et s’est attelé en mars 2016 à améliorer la représentation de la « protection animale » par rapport à celle du secteur de l’expérimentation animale. Grâce à ses incessantes demandes (voir article X = 3x2 de cette revue et article « Protection animale et formations à l’expérimentation » dans le numéro 95), un décret devrait être publié pour augmenter de trois à six le nombre des représentants de la protection animale et de la nature face aux neuf représentants du domaine de l’expérimentation.
Les statistiques sur l’expérimentation animale
Enfin, les statistiques sur l’expérimentation animale doivent être rendues publiques tous les ans. Beaucoup d’États membres ne publiaient pas de statistiques à ce sujet avant 2015 et n’ont donc pas su apporter le degré de détails requis. La Commission estime qu’il est trop tôt pour évaluer si le nouveau mode de publication des statistiques améliore la transparence en matière d’expérimentation animale.
En novembre dernier, les statistiques de 2015 ont été rendues publiques. Elles révèlent qu’en France le nombre d’animaux utilisés a augmenté : 1,9 million, contre 1,8 million en 2014. Près de 53 % des individus utilisés sont des souris, et plus de 22 % des poissons. Les autres espèces les plus utilisées sont les rats (8 %), les oiseaux (6 %), les lapins (6 %), les cochons d’Inde (2 %) et les cochons (moins de 1 %)(plus d'infos sur notre page "informations juridiques"). Les professionnels de la recherche mentionnent généralement dans les médias que les animaux utilisés sont des rongeurs (souris, rats, lapins) ou des poissons, car ce sont les plus nombreux. Parfois entend-on parler de chiens, de chats ou de singes. Mais le rapport statistique fait aussi état de grenouilles, de chèvres, de chevaux, d’ânes, de moutons, de vaches et de nombreux oiseaux régulièrement utilisés dans des procédures expérimentales, pour la recherche vétérinaire et agronomique. Ainsi, de nombreux efforts de transparence et de communication restent à faire au sujet de ces statistiques.
4. L’utilisation des primates comme modèles d’expérimentation
Alors que le nombre de primates utilisés en expérimentation animale en France en 2015 a quasiment triplé (3 162 contre 1 103 en 2014), voyons quelles sont les conclusions de la Commission au sujet des primates, point central de l’article 58.
Le remplacement des primates n’est pas à l’ordre du jour
Tout d’abord, la Commission rappelle que ce réexamen doit porter sur l’état d’avancement des alternatives à l’expérimentation animale permettant notamment de remplacer l’utilisation des primates non-humains. Or, dans son rapport, la Commission aborde seulement les conclusions d’une d’étude de faisabilité sur la progression vers l’utilisation de primates non-humains dont au minimum les parents sont nés en captivité (primates de 2de génération). Seule la conclusion du rapport explique que la Commission a décidé de suivre les conclusions d’un rapport d’opinion du Comité Scientifique des risques sanitaires, environnementaux et des risques émergents (Scientific Committee on Health, Environmental and Emerging Risks, ou SCHEER) publié en mai 2017. Ainsi, à ce jour, aucun échéancier visant à remplacer progressivement les primates n’est proposé. Selon le rapport du SCHEER, l’état d’avancement des alternatives et les nécessités de la recherche en médecine ne permettent pas de se passer de singes en expérimentation, ni de prédire quand nous pourrons le faire, au risque de voir la recherche s’effectuer dans des pays où le bien-être des animaux de laboratoire est largement inférieur à celui dans l’UE. La Commission souhaite toutefois consulter ce comité régulièrement à ce sujet au cas où sa position évoluerait.
Primates de deuxième génération ou plus nés en captivité
Concernant l’étude de faisabilité sur l’utilisation de primates de 2de génération ou plus, nés en captivité, elle conclut que l’échéance fixée par la directive de 2010 (novembre 2022) reste valable. La plupart des espèces de singes utilisés sont déjà des primates de 2de génération. Cependant, selon l’étude, l’île Maurice, qui fournit un grand nombre de macaque cynomolgus aux laboratoires européens, va avoir besoin des cinq ans qui restent pour compléter la transition vers la mise à disposition uniquement de macaques de 2de génération. Ainsi, la Commission ne prévoit pas de modifier cette échéance
Conclusion
Finalement, ce rapport imposé par l’article 58 pour examiner la directive européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ne nous apprend pas grand-chose que nous ne sachions déjà :
- l’objectif d’harmonisation des législations et des pratiques au sein de l’UE est nécessaire mais long et n’est donc pas complètement atteint ;
- la règle de 3R a contribué à améliorer le bien-être des animaux de laboratoire, mais de nombreux efforts sont encore indispensables pour arriver à réduire le nombre d’animaux utilisés, remplacés par des méthodes substitutives ;
- la transparence dans le domaine de l’expérimentation animale s’est accrue mais est loin d’être suffisante à ce jour ;
- la prévision du remplacement des primates non-humains n’est pas d’actualité.
Il y aura certainement plus à attendre de l’évaluation par la Commission européenne de l’impact de la directive prévu par l’article 57 pour novembre 2019.
En attendant, la LFDA va continuer à se montrer vigilante au sein des différentes instances de l’expérimentation animale pour améliorer le sort des animaux utilisés, ainsi qu’en travaillant de concert avec d’autres organisations de protection animale sur le sujet, au niveau national et au niveau européen. Elle veillera notamment à ce que la loi étende sa protection à d’autres espèces, tels que les crustacés décapodes (homard, langouste…) et les embryons des espèces ovipares (oiseaux, reptiles) qui ne bénéficient pas, pour l’instant, de la protection apportée par la réglementation sur l’expérimentation animale.
Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.