La question du bien-être de l’animal en élevage fait l’objet d’une prise en compte tardive dans l’enseignement agricole. Alors qu’il donnait lieu à des mesures législatives européennes dès 1970, il n’est introduit dans les programmes relevant de la formation d’éleveurs qu’en 2008 (2).
La littérature scientifique témoigne de différents points de résistance à la mise en œuvre d’une éducation au bien-être animal dans la mesure où ce concept fait l’objet de controverses parfois vives tant sur le plan scientifique qu’éthique (3). Il conduit les chercheurs au même titre que les citoyens à se positionner dans l’arène sociale, à prendre parti dans les débats, notamment ceux qui divisent dans la société a-welfaristes (opposants à la prise en compte du bien-être en élevage), welfaristes et abolitionnistes ou encore les tenants d’un élevage extensif en lutte contre une production animale industrielle.
Les formateurs, enseignants ou conseillers agricoles peuvent témoigner d’une appréhension à gérer les conflits que ces controverses suscitent chez les éleveurs ou futurs éleveurs en formation et font montre de stratégies pour les éviter : certains éludent toute mention du bien-être animal jugé trop polémique tout en cherchant à inculquer de « bonnes pratiques » ; d’autres privilégient de savoirs « froids » sans mettre en avant les questions d’ordre éthique et les affects en jeu. Si de telles postures pédagogiques témoignent de la part du formateur d’une volonté de prendre en compte le bien-être de l’animal, elles conduisent paradoxalement à maintenir une vision réifiée de l’animal, à entretenir une anomie sociale du bien-être animal, mais aussi une forme d’aliénation chez l’apprenant (Vidal, M, & Simonneaux, L.,2015). En d’autres termes, la crainte de l’expression d’un esprit critique perçue comme un obstacle à l’apprentissage nuit à toute émancipation de la personne en formation, au respect de l’éleveur comme de l’animal.
Il s’agit d’éviter une posture normative qui tendrait à enjoindre la personne de respecter telles règles, telles pratiques, et risquer de faire vivre le bien-être animal comme une contrainte, de générer de la culpabilité accompagnée d’un sentiment de ne pas être reconnue. L’enseignement du bien-être animal suppose d’inviter à un débat sur les savoirs de référence en jeu, les systèmes de valeurs, les éthiques et l’affectivité à l’œuvre, les choix et contraintes professionnels et d’inviter à un raisonnement critique.
Le projet ERASMUS « Anicare » réunit des institutions de recherche, de conseil, de formation, d'élevage en Finlande, Portugal, Espagne, Belgique et France pour concevoir une approche pédagogique qui peut répondre à un tel enjeu. Il considère la controverse comme étant au cœur du changement, permettant à la personne de faire ses propres choix en conscience. Les partenaires définiront les dilemmes que peut générer chez l'éleveur la prise en compte du bien-être animal. Ils mettront en lumière les modalités de traitement envisagées par un panel d'éleveurs européens et les comportements des animaux qui en résultent. La diversité des contextes d'élevage proposés doit donner l'occasion à l'éleveur ou au futur éleveur en apprentissage, au travers de débats constructifs, de requestionner ses habitudes, ses automatismes de perception et lui permettre d'imaginer des adaptations à ses pratiques.
Le projet conduira au terme des trois ans de collaboration à proposer une plateforme de ressources et d’outils au service de formateurs ou de conseillers. Les productions prendront la forme de vidéos de deux types : les premières illustreront les pratiques professionnelles d’éleveurs tenant compte du bien-être animal dans des systèmes et des contextes professionnels divers. Les pratiques seront commentées par l’éleveur lui-même ainsi que par des chercheurs, agriculteurs et conseillers agricoles. Les secondes vidéos présenteront les comportements d’animaux d’élevage dans ces mêmes systèmes de production accompagnés de propos d’éthologues. Des modalités pédagogiques seront proposées valorisant ces vidéos en formation et conseil en vue de confronter les conceptions, motivations, éthiques, affectivité des apprenants. Nous espérons ainsi qu’en prenant en compte la complexité des choix en élevage, nous puissions contribuer à une prise en compte du bien-être animal, qui ne serait non plus vécue par l’éleveur comme une injonction, mais comme un moyen de construire une relation partenariale avec l’animal.
- Projet « Educate animal welfare as a farming opportunity », n° 2017-1-FR01-KA202-037287, coordonné par Montpellier SupAgro.
- Lipp, A., Vidal, M. & Simonneaux, L. (2014). Comment les prescriptions et les manuels scolaires de l’enseignement de l’agriculture prennent en compte (ou non) la vivacité de la question socialement vive du bien-être animal en élevage ? Revue francophone du Développement durable.
- Vidal, M. & Simonneaux, L. (2013). Les enseignants refroidissent la question socialement vive du bien-être animal. Penser l’éducation, Hors Série, 431-446.
Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.