En Afrique vivaient 20 et peut-être 30 millions d’éléphants avant la colonisation européenne ; leur nombre était estimé à 1 million dans les années 1970, il en reste aujourd’hui moins de 350 000.
Déclassement de l'éléphant en Annexe II
Ce massacre criminel, ce génocide, est dû à l’explosion du braconnage qui a immédiatement suivi la funeste décision de déclasser l’espèce en Annexe II de la Convention de Washington, prise lors des réunions de la CITES en 1997 et 2000, en dépit de l’interdiction du commerce international de l’ivoire d’éléphant en 1989 prononcée par les Nations unies. Ce déclassement avait été conçu en vue d’autoriser quatre pays africains anglophones à vendre aux enchères leurs stocks. Comme il avait été annoncé par les délégations nationales à la CITES, dont la France et l’ensemble des pays africains francophones, ces décisions (politiques) ont eu pour conséquence directe la mise en place d’un vaste trafic d’ivoire, par des réseaux criminels internationaux, organisé au profit des pays d’Extrême-Orient, notamment la Chine et l’Indonésie. Ce trafic a triplé d’intensité depuis 1998 avec le développement d’Internet, pour en arriver à la situation dramatique actuelle.
L'éléphant "s'adapte" au braconnage
Adaptation génétique
Dans la Revue n° 94 de juillet 2017, sous le titre « Astuce et darwinisme au secours ultime des espèces », nous avons montré que l’espèce éléphant est capable de s’adapter au fait que les victimes sont les individus porteurs des plus « belles » défenses, et que les animaux à défenses courtes ou dépourvus de défenses sont épargnés par les braconniers. Dans certains territoires du continent africain, le caractère génétique héréditaire « grandes défenses » tend à disparaître, alors que le caractère héréditaire « défenses courtes » se multiplie, en sorte que de plus en plus d’éléphants naissent destinés à porter des défenses courtes voire à ne pas en porter du tout, comme déjà actuellement plus de 95 % des femelles. Cette adaptation génétique est une conséquence directe de la pression exercée par le braconnage sélectif intensif. Ce braconnage intense semble également être à l’origine d’une adaptation comportementale des animaux.
Adaptation comportementale
La revue néerlandaise Ecological Indicators vient de publier une étude réalisée par une équipe dirigée par W. Ihwagi membre de Save The Elephants, doctorant à l’université de Twente, avec la collaboration de Iain Douglas-Hamilton, coauteur (1). L’étude s’est appuyée sur des données archivées qui avaient été recueillies sur des éléphants équipés de colliers GPS entre 2002 et 2012 dans le nord du Kenya. Elle a pris en compte l’observation, faite l’an dernier, du comportement d’un éléphant équipé d’un collier GPS qui s’était mis en tête de traverser une région très risquée. Ce mâle solitaire avait quitté la région côtière du sud-est du Kenya pour aller jusqu’en Somalie. Pour traverser cette zone, très périlleuse pour les éléphants, il avait adopté une stratégie de survie en marchant essentiellement la nuit et en se dissimulant au milieu des arbustes le jour.
Sachant que les éléphants sont connus pour répondre aux risques anthropiques en modifiant leur vitesse de déplacement, les chercheurs de l’université de Twente ont choisi comme critère de mesure le rapport entre la vitesse des déplacements nocturnes et la vitesse des déplacements diurnes, et ont examiné sa relation avec les niveaux de braconnage. L’hypothèse étant que le braconnage est un risque évident pendant la journée, une augmentation des taux de mouvements nocturnes par rapport à ceux observés pendant la journée soutiendrait cette hypothèse.
L’étude montre que le rapport moyen de vitesse nocturne des éléphants mâles et femelles ne varie pas significativement d’un mois à l’autre, ce qui exclut un effet saisonnier possible. Mais elle a révélé que les éléphants mâles et femelles se sont plus déplacés durant la nuit que pendant la journée, et aux endroits et aux époques où les niveaux de braconnage étaient élevés. Cette relation entre les niveaux de braconnage et les rapports de vitesse pendant la nuit était plus forte chez les femelles que chez les mâles : entourées d’éléphanteaux, elles sont souvent plus prudentes, expliquent les chercheurs. Marchant de nuit, protégés par l’obscurité, les familles d’éléphants se reposent le jour, en se camouflant, immobiles, dans la végétation.
L'éléphant est le plus petit dormeur du règne animal
Nous remarquerons que, bien que l’étude citée ne le mentionne pas, le déplacement nocturne des éléphants est probablement facilité par un caractère assez particulier à l’espèce. Une équipe de l’université du Witwatersrand, à Johannesburg (Afrique du Sud), a publié dans la revue PloS One, en mars 2017, une étude dont la conclusion est sans appel : le pachyderme constitue le plus petit dormeur connu du règne animal, avec une moyenne de deux heures de sommeil par nuit. Cela ne constitue pas une surprise absolue. « Les différentes études conduites jusqu’ici ont permis de montrer que plus les animaux sont grands, moins ils dorment », souligne le neuroscientifique Paul Manger, qui précise : « Plus les animaux passent de temps à manger, moins ils en gardent pour dormir ; les herbivores dorment moins que les carnivores, car ils doivent ingérer davantage de nourriture pour engranger la même quantité d’énergie. » Cette particularité a très probablement facilité le choix des déplacements durant la nuit, malgré que l’éléphant soit un animal d’activité diurne. Pour être salvateur, le déplacement nocturne peut présenter des risques. F. Ihwagi indique que « pour les éléphanteaux, le risque d’être attrapés par des lions ou des hyènes la nuit pourrait être plus grand ». À plus long terme, la modification pourrait altérer la vie sociale et avoir un impact sur l’activité sexuelle.
Il reste qu’il est remarquable qu’une modification environnementale, ici un danger vital durant le jour, puisse aussi aisément influer sur le comportement, transformant un animal au point d’inverser le rythme nycthéméral de ses activités.
- Il est recommandé de lire Les Éléphants et nous, Iain et Oria Douglas Hamilton, Stock, 1975.
Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.