Les premiers à devoir être protégés des corridas sont bien sûr les taureaux. Mais les corridas étant des spectacles violents (« sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux » selon le code pénal français), au souci de protection des animaux s'ajoute le souci de la protection de la jeunesse.
La corrida est actuellement encore pratiquée dans huit pays. Trois d’entre eux sont en Europe : Espagne, Portugal, et France (dans un 1/10e du territoire). Cinq d’entre eux sont en Amérique latine : Mexique, Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou.
1. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU
La CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant), juridiquement contraignante dans ses différents États parties (dont la France) depuis 1990, s’inscrit parmi les neuf principaux traités internationaux de l’ONU relatifs aux droits de l’homme.
Le Comité des droits de l’enfant, constitué de 18 experts indépendants élus par les États parties, est l’organe officiellement chargé de vérifier l’application de la CIDE. Tout en respectant le rôle de la famille et l’importance des cultures, le Comité des droits de l’enfant considère que sur certains points, notamment ceux mettant en jeu de la violence, la responsabilité de l’État prime sur celle des détenteurs de l’autorité parentale au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le terme « enfant » y désigne les mineurs.
Ainsi, ces quatre dernières années, le Comité des droits de l’enfant a officiellement recommandé aux différents pays de la planète, où se pratiquent des corridas ou des spectacles apparentés, d'en tenir les enfants (les mineurs) à l'écart, en tant que spectateurs ou en tant que participants.
Ont été interpellés le Portugal (janvier 2014), la Colombie (janvier 2015), le Mexique (juin 2015), le Pérou (janvier 2016), la France (janvier 2016), l’Équateur (septembre 2017), et enfin l’Espagne (janvier 2018).
Dans les dernières conclusions pour l’Espagne, on peut lire :
« Dans le but de prévenir les effets néfastes de la corrida chez les enfants, le Comité recommande que l’État partie interdise la participation des mineurs de moins de 18 ans en tant que toreros et en tant que spectateurs aux événements tauromachiques. »
Seul le Venezuela n’a pas fait l’objet de recommandations sur ce sujet, au terme de la session de septembre 2014. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’Office de défense du peuple (Defensoria del Pueblo), créé au tournant du siècle, lançait alors déjà des procédures actives depuis au moins cinq ans pour faire interdire l’accès des jeunes aux corridas.
2. La situation en Europe
France
Le problème de l’accès des mineurs aux corridas a fait depuis le début de la XIIIe législature (2007) l'objet de 4 propositions de loi (PPL, initiées par les parlementaires, en l’occurrence des députés) : aux moins de quinze ans en septembre 2007, aux moins de quatorze ans en avril 2015, au moins de seize ans juillet 2015, et aux moins de quatorze ans tout récemment, en mars 2018.
Et, depuis le début de la XIIIe législature (2007), 19 questions écrites au gouvernement (QE) en ce sens ont été posées par des députés, et 7 par des sénateurs. Là aussi, toutes tendances politiques confondues.
Les questions écrites n’ont qu’une importance symbolique. Soit elles n’obtiennent pas de réponse, soit elles obtiennent une réponse stéréotypée en langue de bois rédigée par le bureau du cabinet du ministre interrogé.
Les PPL n’ont également qu’une importance symbolique dans l’immense majorité des cas. Ces dernières n’ont une incidence politique concrète qu’à partir du moment où elles sont inscrites à l’ordre du jour et discutées en séance, ce qui implique le soutien soit du gouvernement, soit du président d’un groupe parlementaire.
Espagne
En Catalogne, la deuxième Communauté autonome en termes démographiques, l’accès des moins de 14 ans aux corridas avait été interdit à partir juin 2003. Puis, suite à un vote du Parlement catalan, la corrida a disparu du paysage catalan depuis le début 2012. Cette loi votée par le Parlement catalan a été annulée par le Tribunal constitutionnel d’Espagne en octobre 2016, mais pour autant les corridas ne reviendront sûrement pas en Catalogne.
Cependant, dans le reste de l’Espagne, la situation n’a guère évolué davantage qu’en France.
Portugal
Le Portugal reste pour l’heure aussi soumis au lobby tauriniste que la France et l’Espagne. En juin 2016, le parlement portugais a rejeté, par 4/5 de ses voix, trois propositions de loi qui ne visaient qu’à faire passer de 16 à 18 ans l’âge minimal de participation aux corridas.
3. La situation en Amérique latine
En Amérique latine, le découpage géographique et les capacités des instances administratives et judiciaires sont difficiles à suivre, pour nous autres Français.
La corrida peut y faire l’objet de mesures locales spécifiques (un peu comme au niveau des Communautés autonomes d’Espagne) : États et municipalités (Mexique, Venezuela), départements et municipalités (Colombie), provinces et cantons (Équateur), Régions, provinces et districts (Pérou).
Les 4 pays d’Amérique du Sud (Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou) ont en commun l’existence d’une Defensoria del Pueblo, qu’on peut traduire par « Office de défense du peuple », qui a vocation à défendre les droits de l’homme et du citoyen.
Depuis ces dernières années, de nombreuses démarches réglementaires, judiciaires, ou législatives, à l’échelon national ou local, visent à empêcher l’accès des enfants et des adolescents aux corridas.
Mexique
À l'échelon fédéral (l'ensemble du pays)
En février 2016, un groupe de députés et un groupe de sénateurs ont déposé chacun une PPL visant à réformer la loi sur les droits des enfants et des adolescents pour interdire aux moins de 18 ans l’assistance ou la participation aux spectacles tauromachiques. Elles attendent actuellement toujours en commission.
À l’échelon des États (le Mexique est constitué de 32 entités fédérales, à leur tour subdivisées en municipalités)
- Dans 3 États, la Commission des droits de l’homme de l’État a demandé aux municipalités de tenir les moins de 18 ans à l’écart des corridas : le Campeche à partir de 2015, le Colima en octobre 2016, le Yucatán en août 2016.
- Dans 3 États, le Parlement de l’État a approuvé (à chaque fois à l’unanimité) une mesure visant à empêcher l’accès aux moins de 18 ans aux corridas : le Veracruz en décembre 2015, le Michoacán en mai 2016, la Basse-Californie en janvier. Ces mesures sont suivies dans un deuxième temps d’un décret du gouverneur modifiant la loi sur les droits des enfants et des adolescents de l’État.
- Par ailleurs, 3 États à ce jour ont tout simplement interdit la corrida : le Sonora en mai 2013, le Guerrero en juillet 2014, le Coahuila en août 2015.
Et cela sans compter les décisions à l’échelon des « municipalités », autre entité territoriale mexicaine apte à prendre des décisions d’interdictions des corridas ou d’accès des mineurs.
Pérou
Une nouvelle proposition de loi visant à interdire l’assistance et la participation des moins de 18 ans aux corridas a été déposée en novembre 2016. Elle est toujours actuellement en commission.
Colombie
À l’échelon national
Une nouvelle proposition de loi a été présentée au Sénat en août 2016, visant à interdire l’assistance et participation des moins de 18 ans aux corridas. Elle a été approuvée lors du passage en Commission primaire en avril 2017, où toutefois l’âge a été ramené à 14 ans. Elle est parmi les textes devant être discutés lors de la session qui s’est ouverte mi-mars 2018, juste après les élections législatives du 11 mars 2018 (renouvellement de la Chambre des députés et du Sénat). Ses initiateurs s’emploieront sans doute lors de la discussion à refaire monter le seuil à 18 ans.
En fait, parallèlement à la question des mineurs, l’interdiction pure et simple des corridas est également en débat en Colombie. Dans une décision de février 2017, la Cour constitutionnelle avait déclaré inapplicable (car non conforme aux principes constitutionnels) l’exclusion des sanctions pénales dont bénéficiaient les corridas dans la loi de 2016 sur la maltraitance animale, et avait donné deux ans au Congrès pour mettre en place de nouveaux textes. En mai 2017, le ministre de l’Intérieur a ainsi introduit un projet de loi visant à supprimer les corridas. Ce projet a été adopté par l’Assemblée le 21 mars à une large majorité, et a donc été transmis au Sénat.
À l’échelon départemental
Dans l’un des 32 départements de la Colombie, le Norte de Santander (1 367 700 habitants), l’Assemblée locale a adopté en août 2016 une ordonnance interdisant l’assistance et la participation aux corridas des moins de 18 ans.
Équateur
Le Conseil national de l’enfance et de l’adolescence a adopté, par une résolution de septembre 2013, un règlement pour l’accès aux spectacles publics affectant l’intérêt supérieur des enfants et des adolescents, lequel interdit par son article 11 la présence des moins de 16 ans aux spectacles de tauromachie et de combats de coqs.
Venezuela
La corrida y est surtout pratiquée dans 5 États sur 23 (mais représentant plus du tiers de la population).
Dans 3 de ces États, à la demande de l’Office de défense du peuple, un tribunal de protection de la jeunesse de l’État a décidé que les moins de 18 ans ne pourraient plus accéder aux arènes. Il s’agit des États d’Aragua en novembre 2012, de Zulia en octobre 2013, et de de Carabobo en décembre 2013.
Signalons qu’en décembre 2017, le maire de Maracaibo, siège des principales arènes de l’État de Zulia, a émis un décret interdisant les corridas.
Mais les choses sont moins nettes dans les deux États les plus taurins du pays : l’État de Táchira, et surtout celui de Mérida.
- Dans l’État de Táchira, depuis 2014, l’Office de défense de peuple de l’État interdit l’accès des moins de 18 ans aux corridas, mais faute d’un relais judiciaire, le contrôle sur le terrain demande beaucoup d’énergie.
- Dans l’État de Mérida, en février 2015, les arènes de la ville de Mérida sont les premières du pays, et l’Office de défense du peuple, tant à l’échelon de l’État qu’à l’échelon fédéral, les a dans le collimateur depuis une dizaine d’années. Cependant, en février 2018, non seulement ces arènes accueillent toujours les mineurs, mais ont accordé la gratuité aux moins de 14 ans.
Conclusion
Au-delà de leurs sempiternels couplets sur les traditions et sur la liberté, les partisans de la tauromachie redoutent particulièrement l’interdiction des corridas aux jeunes, car ils craignent que le retrait de ces derniers accélère le déclin auquel les spectacles taurins sont confrontés partout dans le monde. Cette crainte de leur part est sans doute fondée, et c’est une raison supplémentaire pour ne pas les laisser manipuler les jeunes esprits.
De plus amples informations sur la corrida sur notre site : Corrida: la cruauté mise en scène ; corrida et combats de coqs ; apologie de la corrida : retour sur une maltraitance festive et bien d'autres
Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.