Allain Bougrain-Dubourg, Les Échappés éditeur, Paris, 2018
Le principe est original. Au lieu de laisser une voix humaine relater les innombrables sévices dont sont victimes les animaux, Allain Bougrain-Dubourg, à la manière de La Fontaine, les fait parler et exposer eux-mêmes leurs griefs. Le style est d’une remarquable élégance et d’une grande clarté, rendant l’ouvrage particulièrement accessible, notamment aux adolescents, pour qui sa lecture est chaudement recommandée. Mais ne nous y trompons pas : le propos reste grave et, lettre après lettre (il y a en a une vingtaine), tous ceux qui abusent des animaux y sont épinglés pour leur comportement souvent inadmissible. Ainsi le livre intéressera tous les publics soucieux de la cause animale.
La « Lettre du cochon à l’éleveur » est la première de l’ouvrage et donne le ton. Toutes les facettes de l’élevage de cet animal, pourtant l’un des plus intelligents parmi les mammifères, sont abordés, depuis l’exiguïté des enclos et les privations affectives ou sensorielles jusqu’aux diverses opérations chirurgicales, effectuées sans anesthésie, comme la section de la queue, le limage des dents ou la castration : « Alors que nous sommes pleinement conscients, l’opérateur enfonce un scalpel dans nos deux testicules, puis, à l’aide de son doigt, ressort le cordon spermatique qu’il coupe avant de faire un nœud » (p. 17). On comprend qu’alors « la douleur perdure bien longtemps après cette opération » (p. 17). Et cette remarque, qui résume bien le désastre éthique de l’élevage industriel : « Nous réduire à des machines à viande, c’est […] bafouer notre intelligence » (p. 19).
Comme en témoigne la « Lettre du lapin à l’éleveur », l’élevage industriel de lapins, lui aussi, se fait dans des conditions concentrationnaires qui ne respectent pas la réglementation européenne, pourtant minimale pour le bien-être de ces animaux. Et « il me reste moins de 24 heures à vivre, et pourtant je viens tout juste de naître » confie (p. 97) le poussin mâle à l’éleveur qui va bientôt l’envoyer dans un broyeur. Quant à la viande de cheval, la proposition d’une vingtaine de député de faire passer le cheval « d’animal de rente à animal de compagnie » (p. 109), « à ce jour, cette proposition de loi reste lettre morte » (p. 110).
Au fil des lettres successives, les divers problèmes qui affectent la souffrance animale ou la conservation des espèces sont abordés. Ainsi la tortue luth souffre du désastre écologique que constitue l’accumulation des déchets plastiques dans les océans : « La mer est devenue une poubelle » (p. 40) et les tortues luths, qui, pour s’alimenter, confondent plastiques et méduses, meurent « douloureusement par occlusion gastrique ou intestinale » (p. 25). Un peu plus loin, on assiste à l’effroyable déterrage des blaireaux, interdit dans la plupart des pays européens, où ils sont, au contraire, protégés. Très originale est la « Lettre du peuple de la terre aux aménageurs », qui souligne combien le moindre mètre cube de terre est peuplé d’animaux variés et extrêmement utiles. Des animaux comme les vers de terre, dont l’utilité pour la qualité des sols est considérable et qui sont détruits par les pollutions dues à l’agriculture industrielle. Les animaux, souvent microscopiques, qui peuplent le sol, affirment ainsi, avec justesse : « Qui pourrait douter aujourd’hui que nous remplissons des fonctions vitales pour l’agriculture ? » (p. 58).
La présence des animaux sauvages dans les spectacles de cirque devrait, comme dans beaucoup de pays européens, être interdite : « Les ours ont-ils vocation à faire du vélo ? Les éléphants font-ils le poirier dans la nature ? » (p. 43). Bien sûr, une lettre aborde sans fard la mise à mort lors de cette abomination qu’est la corrida : « Un enfant regarde, fasciné, mon hémorragie » (p. 87), tandis qu’une autre lettre expose le thème, moins connu, du massacre des lévriers en Espagne. Diverses lettres évoquent les abus de la chasse ou de la pêche, comme le braconnage des ortolans dans le Sud-Ouest de la France, ou, de manière plus positive cette fois, la réimplantation du vautour fauve dans les Cévennes, après son extermination par les chasseurs. La « Lettre du loup au berger » réhabilite le loup en montrant la variété de son régime et la possible cohabitation de la plupart des loups avec la vie pastorale. Le traitement des requins par les hommes est particulièrement cruel, lorsque les pêcheurs leur tranchent les ailerons « alors que nous sommes encore vivants et vous nous rejetez ainsi amputés à la mer, en nous condamnant à une odieuse agonie » (p. 71). La « Lettre du rat de laboratoire au chercheur » met en relief « les incohérences […] qui conduisent à nous utiliser alors que d’autres méthodes de recherche pourraient nous épargner » (p. 112). Elle souligne aussi les progrès déjà accomplis, par exemple dans les tests des produits cosmétiques, interdits sur des animaux par l’Union européenne. Quant à nos proches cousins, les grands singes, en maints endroits de la planète proches de l’extinction, leur survie dépendra de « la manière dont vous aurez choisi de nous considérer. Après une si longue persécution, je caresse l’espoir d’une cohabitation harmonieuse » (p. 126).
Avec Allain Bougrain-Dubourg et avec la « Lettre à l’animal que nous sommes », qui sert de conclusion à son ouvrage, affirmons, nous aussi, et cette phrase sera aussi notre propre conclusion que : « La planète deviendra trop petite si l’homme ne la partage pas éthiquement avec le reste du vivant » (p. 130).
Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.