Pandamania – 2e partie : quid de la préservation du panda géant ?

Dans le numéro précédent de la revue, nous présentions comment la Chine a su, au cours de son histoire, tirer parti de son animal emblématique pour asseoir sa diplomatie mondiale. Ainsi, chaque année, l’Empire du milieu perçoit près de 70 millions d’euros grâce à son programme « prêt de panda ». Intéressons-nous maintenant à la manière dont le pays investit ces importantes sommes, censées être au service de la protection et de la préservation du panda géant, symbole des espèces animales menacées à protéger.

panda

Classé « en danger » par l’UICN en 1990 en raison de l’expansion démographique et de la fragmentation de son habitat, la Chine veille depuis sur son animal endémique et emblématique. Qu’il s’agisse de programme d’élevage, de conservation ou de préservation de l’habitat du panda géant, chaque année le pays est tenu d’investir les importantes sommes qu’il perçoit des loyers des pandas captifs. Classé aujourd’hui comme espèce « vulnérable » par l’UICN, l’avenir des 1 864 derniers pandas géants reste plus que jamais en sursis.

Ailuropoda melanoleuca : une espèce menacée en sursis !

Présents autrefois de Pékin au Myanmar et jusque dans le nord de la Thaïlande et du Vietnam, les derniers pandas géants en liberté vivent aujourd’hui tous sur le sol chinois. Ils se partagent une aire de répartition de 29 500 km² soit 0,3 % du territoire de la République populaire de Chine : moins que la superficie de la Belgique. Présents dans six monts interconnectés jusque dans les années 1950, l’aire de répartition, composée de profondes vallées sillonnées de cours d’eau et de hautes montagnes couvre aujourd’hui trois provinces  chinoises  : celle du Sichuan (qui regroupe 75 % de la population, principalement dans les monts Minshan) et les provinces voisines de Shaanxi et de Gansu. Perchés entre 1 800 et 3 500 m d’altitude selon les saisons, les plantigrades sont aujourd’hui répartis en 33 sous-populations, dont les deux tiers se composent de moins de 30 individus sur les contreforts sud-est du plateau tibétain, un écosystème qualifié de « point chaud de biodiversité » pour sa richesse écologique.

Victimes principalement du développement des activités anthropiques d’une Chine, aujourd’hui à 1,4  milliard d’habitants, les pandas géants ont vu leurs territoires se réduire comme peaux de chagrin à mesure du développement de l’agriculture : déforestation massive, cueillette pour les besoins de la médecine traditionnelle chinoise et conversion des terres en zones agricoles. L’activité minière et sidérurgique, la construction des villes et l’aménagement du territoire : barrages, routes, réseaux ferroviaires ont peu à peu morcelé le territoire du panda et des centaines d’espèces animales et végétales endémiques de cet écosystème. Le premier recensement national du plantigrade et de son habitat, dans les années 1970, faisait état de 2  459 adultes. Dix ans plus tard, les effectifs ont drastiquement diminué de 45 %, tout près de la barre des 1 000 derniers animaux sauvages. Inscrit à l’annexe I de la CITES à partir de 1984, le panda géant est classé « en danger » par l’UICN en 1990. Le gouvernement chinois et son ministère des Forêts, en lien avec le WWF-Chine, lancent en 1992 un plan de gestion national pour la conservation du panda géant et de son habitat. Depuis les populations se stabilisent et augmentent même : 1 596 adultes recensés en 2005, et 1 864 en 2015. Cependant la population reste toujours un quart en dessous de la population des années 1970.

Même si ces chiffres sont encourageants, l’espèce est plus que jamais en sursis. La disparition et la fragmentation de l’habitat, malgré la mise en place de 67 réserves naturelles, subdivisent petit à petit les dernières sous-populations. En effet, pour répondre à ses besoins alimentaires, de migration, de reproduction, le panda géant, animal solitaire, a besoin d’un vaste territoire qui comme lui disparaît peu à peu. Même si des zones « corridors » ont été installées pour favoriser les interactions entre individus, les échanges génétiques se réduisent ce qui favorise à terme la consanguinité. Même si la Chine, avec ses réserves et corridors protège 53 % de l’aire de répartition des derniers pandas, cette protection reste aujourd’hui insuffisante puisqu’elle ne protège directement que les deux tiers de la population. De plus, lors du recensement de 2011-2014, près de la moitié de l’habitat n’a pas été jugée comme étant de « bonne qualité ». Enfin, le panda géant, comme de nombreuses espèces va connaître, du fait de la raréfaction de son alimentation, les conséquences du réchauffement climatique. En effet, plus d’un tiers des forêts de bambou pourrait disparaître d’ici 2100. De plus, les massifs de bambou mettent plusieurs dizaines d’années à pousser avant que la floraison ne précède la mort de la plante et la floraison a lieu très rarement : une fois tous les 10 ans, voire 100 ans pour certaines espèces. Ainsi cet ours croqueur de bambou, en cas de floraison massive, risque la famine : le coup de bambou ultime.

Même si en 2016, lors de la dernière mise à jour de la Liste rouge des espèces, le panda géant a été déclassé de « en danger » à « vulnérable », l’espèce reste menacée et malheureusement le rapport des experts en charge du suivi des pandas géants se conclut sur un constat inquiétant  : « La population des pandas devrait donc décliner, ce qui inverserait les progrès accomplis au cours des deux dernières décennies. »

Le panda géant, une espèce menacée en sursis

Une Chine qui veille sur son trésor national ?

Inscrit à l’annexe I de la CITES, Pékin est tenu de consacrer l’intégralité des revenus qu’il en reçoit à la protection de l’espèce. Ainsi les 70  millions d’euros annuels apportés par son programme « prêt de pandas » permettent à la Chine d’investir dans la conservation « ex-situ » et la préservation du panda géant et de son habitat.

Conservation ex-situ : les fermes à panda !

Depuis que le gouvernement chinois veille sur ses protégés, une véritable filière d’élevage, de recherche et de conservation s’est développée. Des « fermes à pandas » ont ainsi vu le jour. Capturés autrefois à des fins de conservation, les recherches sur la reproduction en captivité portent aujourd’hui leurs fruits. En 2017, 57 naissances ont eu lieu, dont deux à l’étranger. Peuplé de 520 pandas adultes, le cheptel captif a augmenté l’an dernier de près de 10 %. Aujourd’hui 2 pandas sur 10 vivent en captivité.

Depuis 30 ans, trois centres ont été créés pour sensibiliser, étudier, encourager la reproduction et tenter des réintroductions : le Centre de sauvetage et de recherche sur les animaux sauvages du Shaanxi, la base de recherches de Chengdu sur l’élevage du panda géant et le Centre chinois de recherches et de conservation du panda géant, qui, lui, comptabilise 41 naissances en 2017. Ces centres, l’« assurance » contre la perte de diversité génétique, en plus de leurs programmes d’élevage, recueillent des animaux blessés, échangent les captifs selon les besoins génétiques et chacun bénéficie d’une antenne dédiée à la réintroduction. Chaque année, à Chengdu, se tient la conférence annuelle du comité chinois chargé d’évaluer les techniques d’élevage : la grande messe du panda ! De nombreux participants des quatre coins du monde y sont conviés : représentants des pays accueillant des pandas à l’étranger, agences gouvernementales, ministères chinois, organisations de protection de la nature, universités, experts, délégations de zoos étrangers… Cette conférence est l’occasion de faire un bilan sur les naissances, de présenter les choix des appariements pour l’année à venir et de discuter de la politique de conservation à mener. Ainsi, en 1996, l’atelier sur le plan de gestion de la population captive de pandas géants a défini la marche à suivre : « Développer en Chine une population captive auto entretenue de pandas géants qui aidera à soutenir sur le long terme une population viable dans le milieu sauvage. » Pour y parvenir, beaucoup d’efforts ont été faits en matière de conservation ex-situ mais assez peu portent véritablement sur la réintroduction. En 1996, le seuil pour une population captive auto entretenue a été fixé à 300 pandas. L’objectif atteint en 2010, le seuil a été réévalué à la hausse : « Pour maintenir cette même diversité génétique de 90 % sur une période de 200 ans, et non plus de 100 ans, entre 400 et 600 individus sont nécessaires en captivité. » Ainsi le boom des naissances dans les fermes à panda permet aujourd’hui d’envisager à court terme, peut-être, la réintroduction d’animaux.

Depuis 2006, plusieurs programmes de réintroduction d’une durée de trois ans en moyenne ont été lancés. Ainsi sept pandas, tous nés en captivité, sélectionnés, ont ainsi été relâchés et cinq d’entre eux survivent toujours en liberté.

Protection de l’espèce et préservation des espaces

La Chine prend véritablement conscience dans les années 1990 qu’elle risque de perdre son animal emblématique et sa poule aux œufs d’or. Suite à la baisse drastique des effectifs dans les années 1980, le WWF et le ministère chinois des Forêts publient en 1989 le plan de gestion national pour la conservation du panda géant et de son habitat. Ratifié par le gouvernement chinois et approuvé par le Conseil d’État en 1992, un budget de 4 millions d’euros est voté en 1993 pour sa mise en place. En parallèle, la Chine durcie sévèrement les peines contre les braconniers. Entre  1985 et  1991, les cours de justice chinoises ont ainsi instruit 123 cas de braconnage et suspecté 278 individus : 16 d’entre eux ont été emprisonnés à vie et trois ont été condamnés à mort. Depuis le braconnage n’est plus, comme dans les années 1980, un facteur majeur responsable de la disparition de l’animal. De plus, avec l’appui du WWF-Chine, des programmes de gestion des réserves naturelles ont été lancés notamment pour assurer la tranquillité du plantigrade. Sensibilisées, les populations locales sont associées à des programmes de surveillance et de patrouille. Des postes de garde forestiers ont été proposés aux populations. En 2002, les premiers projets d’écotourisme débutent.

Enfin, le gouvernement chinois prend conscience des conséquences de la déforestation massive pour l’animal. Entre 1950 et 1985, 27 entreprises forestières d’État ont déforesté 4  226  km² de forêts naturelles, soit 15 % de l’aire actuelle du panda, soit 40 fois la superficie de Paris. En 1998, le gouvernement initie le programme de protection des forêts naturelles. En parallèle, un moratoire est déposé sur la déforestation dans les forêts originelles des cours moyen et supérieur du fleuve Yangtze, le fleuve le plus long d’Asie. Même si des failles juridiques profitent toujours à certains exploitants forestiers, l’habitat du panda est protégé. Enfin pour lutter contre la fragmentation de son habitat, le gouvernement chinois a lancé le programme « grain-to-green », un programme de conversion des terres cultivées en forêts ou en prairies.

Ainsi même si l’avenir du panda géant reste incertain, l’animal, pour son intérêt diplomatique, parce qu’il est une poule aux œufs d’or, est devenu plus qu’une espèce protégée, une espèce emblématique des efforts de conservation de la Chine.

Florian Sigronde Boubel

Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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