Il est reconnu que les pathologies humaines et animales se croisent et se recoupent. Nombre de virus et de bactéries sont des agents infectieux communs. Les maladies provoquées par un même agent peuvent être de forme et de gravité différentes, chez l’homme et chez l’animal : ne citons qu’un exemple, celui d’un type de virus herpès qui peut être latent chez le singe, mais peut provoquer une méningo-encéphalite mortelle chez l’homme. Mais les pathologies humaines et animales peuvent ne pas être d’origine strictement infectieuse : les conditions de vie ont une influence certaine. C’est pourquoi une étude avait été conduite à titre personnel et conjointement au Museum d’Histoire naturelle et à l’Hôpital des prisons de Fresnes, par deux chercheurs, l’un médecin à l’hôpital, l’autre attachée de recherche au Museum, sous la direction d’un médecin biologiste des Hôpitaux de Paris.
Cette étude est ancienne, et à notre connaissance, elle n’a été ni approfondie ni reprise, en dépit de son intérêt et des questions qu’elle a soulevées. Elle a été rendue publique lors des Assises internationales de l’environnement en 1976*.
Le travail avait porté sur l’étude comparative des maladies des hommes en prison et des primates en captivité, en l’occurrence des singes et des lémuriens.
Les affections ont été classées par ordre de fréquences décroissantes.
La liste s’établit ainsi :
Chez l’homme détenu :
- maladies digestives
- maladies cutanées
- maladies à facteur psychosomatique (asthme)
- épilepsie
- maladie coronarienne
- troubles du comportement (agressivité), affection psychiatrique
Chez l’animal détenu :
- maladies digestives
- maladies cutanées
- maladies respiratoires
- maladies cardio-vasculaires
- troubles du comportement
- maladies rénales
Selon les pathologies, la comparaison est éloquente :
Maladies digestives
Un consultant sur trois présente une gastrite voire un ulcère gastroduodénal, sans relation avec le temps de captivité ou avec le type de délit.
Plus d’un lémurien sur trois présente des ulcérations de la muqueuse gastrique.
Loris et artocèbe meurent rapidement en captivité, et sont porteurs d’ulcères gastriques. Lésions gastriques très fréquentes chez microcèbe, sans relation avec le temps de captivité.
Maladies cutanées
- Un consultant sur trois présente une acné.
- Deux galagos sur trois sont atteints d’alopécie psychosomatique, de kystes pilo-sébacés.
Maladies rénales
Présentes à plus de 95 % chez le microcèbe, 75 % chez galago. Par ailleurs, il est rappelé qu’en détention les néphrites sont présentes chez 24 % des carnivores, 20 % des herbivores, 20 % des anthropomorphes.
Maladies cardio-vasculaires
Chez l’homme, de même que pour l’asthme, la détention augmente significativement la fréquence des crises ;
Chez le primate, la captivité augmente le taux de cholestérol sanguin. Les maladies cardiaques sont une cause fréquente de mortalité (zoo de Philadelphie).
Maladies respiratoires
Il existe une augmentation significative du nombre des crises chez un détenu asthmatique connu.
Microcèbe, galago et macaques présentent des phénomènes congestifs passifs fréquents.
L’appréciation chiffrée des troubles du comportement est plus difficile car leur constatation est plus subjective. Mais le prisonnier et l’animal captif qui tournent en rond, ont des attitudes semblables de stéréotypie de compensation, l’un dans sa cellule, l’autre dans sa cage. En prison, les tentatives de suicide sont nombreuses ; en captivité, les automutilations sont fréquentes.
Le travail concluait que le parallèle entre les deux pathologies relève plus que de la simple coïncidence. Il y a identité de cause. Cette cause commune est l’incarcération elle-même, c’est-à-dire la situation de « contrainte ». À cet égard, le zoo est bien une prison, à laquelle l’animal est condamné, sans qu’il soit coupable de quoi que ce soit.
Le travail soulignait la nécessité qu’une mission médicale et vétérinaire soit créée, afin d’étendre cette étude pathologique et statistique à toutes les captivités animales, et afin de préciser les conséquences de cette détention arbitraire.
Parallèlement, une étude statistique entreprise à une vaste échelle dans les prisons permettrait de comparer la pathologie carcérale à la pathologie générale, et ses conclusions conduiraient à améliorer la condition pénitentiaire.
Il nous a semblé opportun de rappeler ce déjà ancien travail de recherche, au moment où la condition pénitentiaire est remise en cause, pour ne pas dire mise en accusation, et alors que se perpétue, sans guère d’amélioration, la détention d’animaux d’espèces sauvages dans les zoos, les cirques et les delphinariums, avec les conséquences pathologiques et comportementales connues, révélatrices d’un mal-être animal indiscutable.
* Pathologie humaine et pathologie animale en milieu carcéral. Le zoo est-il une prison ? Dr A. PROUST, Pr J.-C. NOUËT
Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.