Ces derniers mois, la pêche électrique a beaucoup fait parler d’elle dans les médias, à travers des discours souvent alarmistes mais rarement très précis. Pourquoi la pêche électrique est-elle largement discutée dans les médias ? Quel est son impact sur l’environnement, la biodiversité et le bien-être des espèces marines ? Comment est-elle réglementée ? Est-elle plus dangereuse pour la nature et les animaux que les autres formes de pêche en mer ? Nous allons tenter de répondre à ces questions, afin d’avoir des informations précises sur cette pratique halieutique.
La pêche électrique fait des remous
La pêche avec électricité est utilisée depuis longtemps en eau douce, notamment pour établir des comptages sur la quantité et la variété des poissons. En mer, elle a fait son apparition sur des bateaux de pêche dans les années 1960. En Europe, ce sont les Pays-Bas qui se sont emparés les premiers de cette pratique pour pêcher dans la mer du Nord. L’Union européenne a interdit l’utilisation de la pêche électrique dans les eaux territoriales européennes depuis 1997, mais avec des dérogations. Et c’est là que le bat blesse. Car les dérogations accordées en mer du Nord sont largement dépassées par les pêcheurs néerlandais, et à coup de lobbying efficace, elles pourraient être étendues, par proposition de la Commission européenne et vote favorable de la Commission Pêche du Parlement européen. Mais pour l’instant, ce dernier a rejeté cette proposition.
En parallèle, l’association Bloom, qui œuvre pour « protéger l’océan et les espèces marines tout en maximisant les emplois durables dans la pêche et l’aquaculture », a lancé en 2016 une campagne contre la pêche électrique, au motif qu’elle serait néfaste pour les écosystèmes marins. Les médias ont largement relayé les prises de position de l’association, en produisant maints articles, reportages et autres émissions sur le sujet. D’autres associations et personnalités ont adopté la même position, tels que l’association française Robin des Bois, ainsi que des scientifiques et politiques français et européens, y compris 249 députés nationaux de tout bord.
Quant aux pêcheurs français, ils ne pratiquent pas la pêche électrique, et n’y sont pas favorables. Ils estiment qu’une concurrence déloyale s’est installée en Europe, car selon eux, il n’y aurait plus de poissons sur les côtes de la Manche à cause de ce type de pêche utilisé en mer du Nord.
La pêche électrique : de quoi parle-t-on ?
La pêche électrique est pratiquée avec des chalutiers à perche, qui traînent en général deux filets de forme conique de part et d’autre du navire, munis d’une trentaine d’électrodes pour surprendre les poissons plats qui stagnent sur le sable (soles, limandes, turbots, plies, autres poissons plats et crevettes) par des impulsions électriques de 45 à 60 volts. L’électrocution stimule le poisson qui se met lors à nager au-dessus du fond marin, permettant au filet qui suit de l’emprisonner. La longueur des filets varie de 4 à 12 mètres selon les chalutiers. Les bateaux sortent souvent pendant plusieurs jours d’affilée.
Cette méthode de pêche peut altérer le bien-être des poissons. Des études réalisées sur des cabillauds révèlent que certains d’entre eux subissent des dommages à la colonne vertébrale (qui est parfois fracturée à la suite de la cambrure provoquée par le choc électrique). Peu d’études sur les œufs de poissons, les larves et les invertébrés ont été réalisées. Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) estime qu’il manque des études d’impact sur les organismes marins en situation réelle afin d’avoir des données fiables sur l’altération de la santé de ces organismes. De plus, la pêche électrique, comme d’autres formes de pêche industrielle, rejette de nombreux individus d’espèces de poissons non voulues à la mer, dont la grande majorité ne survit pas.
La pêche électrique peut aussi avoir un impact sur les fonds marins et ses habitants. L’électrocution des œufs de poissons peut diminuer les populations des espèces vivant dans ces écosystèmes. Elle peut aussi toucher des êtres vivants qui ne sont pas visés par la technique de pêche, et les blesser, les tuer, ou modifier leur environnement. Là encore, des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer l’impact réel de cette technique de pêche sur les écosystèmes et la biodiversité marine. Toutefois, à chaque fois que la vie d’un être vivant ou la préservation de l’environnement est en jeu, le principe de précaution devrait s’appliquer*.
La réglementation sur la pêche électrique
À l’échelle européenne, le règlement de 1998 visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles marins interdit la pêche électrique dans son article 31. Cependant, grâce à divers amendements depuis 2007, le règlement prévoit une dérogation à cette interdiction dans l’article 31 bis : la pêche à l’aide de chalut à perche disposant de courant électrique est autorisée en mer du Nord, à hauteur de 5 % de la flotte de chalutiers à perche de chaque État membre.
La Commission européenne proposait que cette interdiction soit supprimée et que la pêche électrique devienne une nouvelle technique de pêche innovante. Ainsi, les limites à la mer du Nord et à 5 % des chalutiers à perche par État membre seraient supprimées. Mais le Parlement européen s’est prononcé contre la suppression de cette interdiction et pour une interdiction totale de la pêche électrique en Europe. Le texte doit maintenant faire la navette entre le Parlement et le Conseil de l’Union européenne avant d’être voté ou rejeté définitivement.
Comparaison avec d’autres techniques de pêche
Les électrodes utilisées par cette technique de pêche se fixent sur le filet d’un chalutier. En ce sens, la pêche électrique est considérée comme une alternative à la pêche avec chalut à perche conventionnelle. Là où le chalut électrique utilise des électrodes, le chalut à perche utilise des chaînes qui sont fixées à l’avant du filet pour déloger les poissons des sédiments ; ensuite, un filet de forme conique, lesté très lourdement pour rester en contact permanent avec le sable malgré la vitesse du navire, récupère les poissons délogés. Les deux techniques halieutiques recherchent les mêmes espèces de poissons et crustacés.
La pêche électrique permet une meilleure sélection des espèces attrapées, et donc moins de rejets en mer. Les filets sont également moins lourds et la vitesse des bateaux est réduite, ce qui permet une économie de carburant significative. De plus, l’impact de la pêche à chalut à perche sur le bien-être des poissons est bien documenté.
En France, la pêche artisanale représente une large majorité de la flotte de pêche. On entend par pêche artisanale la pêche « [concernant] les bateaux entre 12 et 16 mètres, le patron [étant] généralement propriétaire de son bateau ». Elle embauche un nombre important de marins. Elle utilise des méthodes de pêche sélective, permettant de sélectionner les espèces souhaitées et d’épargner les espèces sans valeur commerciale.
Bilan : réduire la pression sur les écosystèmes marins
Le sujet de la pêche électrique est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Comparée à la pêche avec chalut à perche, dont elle apparaît comme une alternative, elle a effectivement un moindre impact sur l’environnement et les écosystèmes marins. Cependant, compte tenu de ses impacts réels et potentiels sur le bien-être des espèces animales vivant proche des sédiments, et sur l’environnement marin, le principe de précaution devrait s’imposer pour éviter de se lancer tête baissée dans une fausse bonne alternative, alors que d’autres pourraient être plus raisonnables. Si la pêche électrique n’est pas une bonne solution, la pêche à chalut à perche est une catastrophe sur le plan environnemental et devrait cesser immédiatement. Le seul moyen de réduire ces techniques de pêche industrielle néfastes pour les animaux marins et leur environnement est de se concentrer sur des méthodes de pêche plus artisanales, tout en actant la nécessaire réduction du nombre de poissons pêchés, pour réduire la pression sur la biodiversité et les écosystèmes.
Enfin, il est important d’avoir en tête que les poissons et les décapodes notamment, sont des animaux sensibles qui ressentent la douleur et des émotions. Leur bien-être doit être pris en compte, quelle que soit la méthode de pêche utilisée.
* Édicté lors de la conférence sur la diversité biologique de Rio en 1992, le principe de précaution stipule qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives, visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». (Principe 15)
Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.