Petit salut aux porcs…

Le porc est un vrai cochon, il est fait pour vivre dans le purin et la boue. Il est le symbole du mauvais, du mal et même du Malin, l’image de la dépravation sexuelle, à qui l’on fait porter nos défauts. Untel « écrit comme un cochon », tel autre est « sale comme un cochon », un troisième « se conduit comme un cochon », un autre « a une tête de cochon », et au nom de croyances archaïques, le cochon personnalise la malédiction divine et le Diable. Pauvre et sympathique goret, nous te traitons mal, en échange de tout ce que nous te prenons.

vie d'un porc

Quand tu vivais dans le purin et la boue, c’est parce que nous t’obligions à être engraissé dans des recoins sombres, humides et étroits, parmi nos ordures. Tu puais, mais au moins tu n’étais pas en cage. Aujourd’hui tu pues encore plus, et tu es en prison. Nous ne t’avons jamais demandé comment tu voudrais vivre. Il a fallu attendre les années 1970 pour que nous connaissions l’emploi du temps de ta journée.

Vie d'un porc en milieu naturel

Quand ni rien ni personne ne dérange le porc, quand on le laisse vivre sa vie, à sa guise, il passe, dans une journée :

  • 6 heures 1/2 à paître,
  • 2 heures 1/2 à fouiller le sol,
  • 1 heure 1/2 à courir,
  • 2 heures 1/2 à se reposer,
  • 16 minutes à rester debout, immobile, sans rien faire,
  • et le reste à dormir.

Loin d’être l’animal ahuri, malpropre et stupide que l’on fait habituellement de lui, le porc est actif et curieux ; il aime jouer avec ses congénères, il conserve sa litière propre ; quand il a trop chaud, il cherche l’ombre, il va se bauger et il se baigne dans l’eau claire si on la lui donne. La truie qui va mettre bas confectionne un nid confortable, fait de feuilles et d’herbes. Les porcs communiquent entre eux par vocalisations et grognements, ils aiment à se renifler, à se reposer, à vivre et à dormir en groupe. Te voilà réhabilité. Mais on ne te permet pas d’exister comme tu en as envie et besoin.

Depuis que l’industrie à fabriquer de la viande a remplacé l’élevage, ta vie est bien pire que dans les porcheries et les souilles d’autrefois.

Vie d'un porc en industrie

À peine nés, les porcelets subissent sans aucune anesthésie des mutilations douloureuses et, qui plus est, injustifiées, parce qu’elles ne seraient plus « nécessaires » si l’on pratiquait un élevage plus « naturel », éliminant concentration et contraintes. Les canines sont sectionnées à la pince, la queue est coupée aux ciseaux, et les petits mâles sont castrés à vif. Et les porcelets sont enlevés à leur mère et brutalement sevrés à trois semaines, pour continuer leur existence comme porc à viande, ou comme truie à fabriquer le plus possible de portées.

Les porcs à l’engraissement « vivent » dans d’immenses bâtiments fermés, surpeuplés, sans air frais, sans lumière du jour, sur un sol de béton ou de caillebotis, sans avoir jamais de litière pour se coucher. La vie d’une truie est faite d’inséminations artificielles à répétition, d’enfermement durant ses gestations dans une stalle métallique si étroite qu’elle y est presque immobilisée ; elle n’en sortira que pour être transférée, avant la mise bas, dans une « case de maternité » construite en tubes de métal. Elle n’aura aucun contact avec ses porcelets, elle ne pourra pas s’occuper d’eux, et ils ne connaîtront d’elle que ses mamelles.

Et non seulement le porc est mal élevé, mais il est nourri… « comme un cochon », à coup d’aliments composés. Composés de quoi exactement  ? C’est une autre affaire…

Une nourriture mal adaptée

C’est seulement en 1998 qu’ont été interdites les « matières à haut risque » provenant d’animaux atteints d’encéphalopathie spongiforme, c’est-à-dire cervelle, moelle épinière, amygdales, rate. Et il a fallu attendre février 2001 pour qu’enfin l’interdiction soit étendue à toutes les farines de viande ou d’os, et aux graisses animales. Les porcelets ne sont pas mieux lotis : leurs aliments sont dits « médicamenteux » ; aux produits végétaux et aux farines de poissons sont ajoutés des facteurs de croissance, des oligo-éléments, des vitamines.

Des chiffres impressionnants

L’élevage industriel du porc, c’est la torture, c’est le mépris total de l’être vivant : en France, 23 millions de porcs et de truies sont élevés comme ça, dont près de 13 millions pour la consommation. Pour l’ensemble de l’Europe, environ 150 millions, avec en tête l’Espagne (30 millions) et l’Allemagne (27 millions). C’est une ignominie à l’échelle mondiale.

Consommation  ! Mieux vaudrait de ne pas parler de la viande molle et insipide, du jambon gonflé aux phosphates, du rôti qui fond en jus. Mieux vaudrait ne pas parler des labels attrape-nigaud : les labels « fermier », (Fermier du Sud-Ouest, Fermier d’Argoat, de Vendée, de la Sarthe, du Limousin, d’Auvergne…) ne prennent en compte que des critères de race, d’âge de sevrage, d’âge de mise en engraissement ; le qualificatif de « fermier » n’impose qu’un parcours extérieur réduit (50 m² en pré, 2 m² sur béton). Certes, c’est mieux que si c’était pire, mais on est loin de ce que laisse imaginer la référence à la « ferme »… On est loin des conditions nécessaires au bien-être.

Qu'est-ce que le bien-être ?

Car assurer le bien-être d’un animal consiste principalement à lui permettre d’exprimer l’ensemble de ses comportements, qu’ils soient sociaux, d’alimentation, de consommation, de propreté, de reproduction, de maternité, etc. Or, les milieux appauvris et contraignants imposés empêchent l’expression normale des comportements, entraînent une frustration qui place l’animal en situation de stress et créent des comportements pathologiques. En conséquence, déclarer que le bien-être de l’animal doit être pris en compte dans l’élevage impose dans les faits de modifier totalement les méthodes industrielles.

D'un point de vue juridique

Pourtant aujourd’hui, l’on n’est pas près de mettre en œuvre des telles modifications. En 1991, une directive du Conseil européen établissait les premières normes minimales relatives à la protection des porcs. Dans le cadre de cette directive, un rapport scientifique vétérinaire a été réalisé en 1997, mais les propositions d’amendements de la directive par la Commission européenne ont été très en deçà des conclusions de ce rapport. En 2001, malgré le rejet du Parlement, le Conseil a finalement validé cette directive amendant celle de 1991, et comprenant comme seule avancée l’interdiction des stalles individuelles pour les truies gestantes à compter de l’année 2013. Les truies sont donc maintenant élevées en groupe entre les périodes de mise bas.

Depuis 2001, des amendements se sont ajoutés, conduisant à la codification de toutes les dispositions relatives aux porcs dans une nouvelle directive 2008/120/CE établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs. Elles concernent :

  • l’interdiction d’attacher les truies, des mesures relatives au niveau de bruit et de lumière, l’accès à des matériaux permettant aux porcs de fouir comme la paille, le foin, le bois, la sciure (sans pour autant rendre la litière obligatoire – comme si un ballon ou une chaîne en métal pouvaient suffire !)
  • une obligation de formation des personnes en charge des animaux.

Si elles sont mentionnées, les dispositions suivantes ne sont pas obligatoires :

  • des matériaux permettant aux truies de faire un nid avant la mise bas ;
  • des matériaux supplémentaires permettant de réduire l’agressivité des cochons entre eux.

Sur les mutilations faites aux porcelets, il est précisé que le meulage ou la section partielle des dents et la caudectomie ne doivent pas être réalisées de manière routinière… en théorie, car en pratique, ces procédés restent largement utilisés. Quant à la castration à vif, elle reste autorisée pour les porcelets de moins de 7 jours (au-delà, une anesthésie s’impose). Pourtant, la Déclaration européenne de Bruxelles sur les alternatives à la castration chirurgicale des porcs de 2011, dont la Commission européenne et l’INRA pour la France sont signataires, prévoyait de supprimer la castration chirurgicale des porcs au 1er janvier 2018. Six mois plus tard, la castration chirurgicale est toujours courante en France et en Europe, alors que la Norvège, la Suisse et la Suède l’ont déjà bannie.

Enfin, il n’y a toujours rien sur les litières, rien sur les espaces, rien sur l’accès à l’extérieur, et bien sûr, pas d’interdiction des caillebotis. En somme, la vie de la grande majorité des cochons d’élevage continue à être misérable.

Le problème

Nous savons bien que l’élevage porcin est une affaire économique considérable. Mais il y a des limites. Malgré ce que les politiciens tentent encore et toujours de nous faire croire en utilisant le terme « bien-être animal » à tout-va, l’avis des scientifiques compte pour du beurre, et le bien-être de l’animal pour des prunes.

Le fond du problème est que les contraintes imposées par l’élevage industriel répondent à la règle suivante : adapter l’animal aux besoins de la production. Voilà où nous en sommes encore. Alors que cette règle devrait être abolie et désormais remplacée par celle-ci : adapter la production aux besoins de l’animal et notamment à ses besoins comportementaux.

Conclusion

Et ce qu’il faut faire, pour élever correctement les porcs, c’est leur permettre de vivre en groupe, c’est leur donner assez d’espace pour se déplacer, leur fournir une litière épaisse, c’est préserver les porcelets des mutilations cruelles. C’est permettre aux porcs d’accéder à l’extérieur pour fouiller le sol, pour courir, pour se mettre à l’abri ou rester au soleil, pour bouger, ou pour rester debout, sans rien faire, peut-être pour penser.

C’est à se demander s’il ne faudrait pas, devant les fonctionnaires réunis à Bruxelles, ou à Luxembourg, devant les politiques des cabinets ministériels, castrer à vif un porcelet hurlant de douleur pour qu’ils se décident à un peu de compassion.

Jean-Claude Nouët, Nikita Bachelard

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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