L’histoire de M. et Mme P. est d’abord celle du mauvais ménage entre les animaux et certains hommes venus s’installer dans leur habitat naturel… Elle sera ensuite celle de l’absurdité d’une décision de justice condamnant les époux à reboucher leur mare, dont l’exécution les rendrait coupable d’une infraction à la réglementation sur la protection des espèces qu’elle abrite !
Ces époux s’étaient vus assignés par leurs voisins devant le tribunal de grande instance de Périgueux, après avoir creusé une mare sur le terrain dont ils sont propriétaires à Grignols (commune de Dordogne de moins de 600 âmes). Les coassements des grenouilles qui y avaient élu domicile n’étaient pas du goût des voisins, les époux M., qui entendaient faire juger qu’ils constituaient un trouble anormal de voisinage et voir ordonner les mesures afin de le faire cesser.
Le tribunal de grande instance de Périgueux avait, par jugement du 25 mars 2014, débouté les époux M. de leur demande, jugeant que rien ne prouvait les nuisances sonores alléguées. Sur l’appel du jugement interjeté par les époux M., ce fut au tour de la cour d’appel de Bordeaux de se prononcer sur la qualification des coassements des grenouilles. La cour a jugé, le 2 juin 2016, que les pièces et données produites par les appelants démontraient que la mare (ou, plutôt, ses habitants) engendrait des inconvénients anormaux de voisinage. Elle a en conséquence ordonné le comblement pur et simple de ladite mare dans les quatre mois de l’arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Le sort des grenouilles et autres espèces habitant cette mare ? Jamais évoqué par la cour, alors même que des espèces protégées avaient été identifiées dans la mare et que les pièces l’établissant avaient été apportées aux débats ! Cette décision se fondait seulement sur l’obligation générale de ne pas causer à autrui de trouble anormal de voisinage.
Évidemment, cette obligation est souvent invoquée à l’encontre de propriétaires d’animaux domestiques : dans ce cas les juges pondèrent l’intensité, la durée et la répétition du bruit de l’animal, en prenant également en compte le contexte local, les bruits d’animaux étant plus prévisibles en campagne (voir par exemple les actions à l’encontre des vaches et leurs cloches ; mais ce contexte « n’excuse » pas toujours le bruit, voir article de la revue n° 91). Mais il arrive également, comme dans le cas présent, que cette obligation soit utilisée à l’égard d’espèces sauvages (par exemple à l’encontre des cigales et de leur chant). Et ce, alors même que le propriétaire du terrain ne peut avoir aucun contrôle sur le bruit en cause, et que les espèces sauvages concernées sont en majorité protégées, interdisant toute action sur leur environnement.
C’était le cas d’au moins 4 espèces présentes dans la mare des époux P. Or pour mémoire, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages sanctionne l’atteinte aux espèces protégées par 2 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende… Les époux P. se sont ainsi retrouvés face au dilemme suivant : être condamnés s’ils n’exécutent pas une décision de justice à compter ou être condamnés s’ils l’exécutent ?
Cette décision s’avérait donc absurde tant sur le plan juridique qu’environnemental. Elle n’a pu être cassée par la Cour de cassation, juge du droit, devant laquelle les époux P. se sont pourvus. La Cour a en effet relevé que le pourvoi en cassation remettait en discussion l’appréciation souveraine des éléments de preuve par la cour d’appel, et pas seulement l’application du droit applicable à l’espèce.
Un tel cas s’était déjà présenté devant la cour d’appel de Paris qui, elle, n’avait pas manqué de relever que les « auteurs » du bruit étaient des espèces protégées dont la seule perturbation, et a fortiori la destruction, sont interdites. En toute logique, la cour avait rejeté la demande des voisins dérangés, au regard de l’incompatibilité entre l’interdiction de détruire ces espèces protégées et une telle condamnation des propriétaires.
À ce jour, des associations de protection de l’environnement et des animaux ont formé tierce opposition, procédure ouverte aux tiers n’ayant pas été partie au jugement attaqué et tendant à le réformer à leur profit. L’audience devrait se tenir à la fin de l’année. On leur souhaite gain de cause !
Finalement, comme le disait Pierre Desproges :
« Le voisin est un animal nuisible assez proche de l’homme. »
Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.