Unanimement reconnu plus douloureux que l’abattage classique par la communauté scientifique, l’abattage rituel soulève de nombreuses questions. Liberté de culte, économie, bien-être animal : il est un point de rencontre entre plusieurs considérations des plus actuelles, difficilement conciliables. Sujet complexe, il est néanmoins nécessaire d’en présenter ses enjeux pour en envisager les issues. [Note: cet article est un résumé du rapport réalisé pour l'OABA dans le cadre du Master 2 Droit et éthique de l'animal, Strasbourg]
Qu’est-ce que l’abattage rituel ?
L’abattage rituel, prescrit par les religions juive et musulmane, est la mise à mort d’un animal dans un contexte religieux pour la consommation humaine des pratiquants intéressés. Plus précisément, trois règles principales doivent être observées.
- Premièrement, l’animal doit mourir d’une hémorragie (par égorgement), car il est interdit de consommer le sang de l’animal, siège de son âme.
- Deuxièmement, l’animal doit être vivant au moment de sa mort, ce qui exclut l’utilisation d’une méthode d’étourdissement irréversible (qui provoque la mort cérébrale) préalablement à sa saignée.
- Enfin, l’animal ne doit pas présenter de pathologie récente.
Autorisé en France sous forme de dérogation à l’abattage classique lorsque l’étourdissement, obligatoire, est incompatible avec des exigences religieuses (Article R-214-70), l’abattage rituel n’est pas défini par la loi mais par les cultes. Or, si le cahier des charges casher est unique, il en va différemment pour le halal. Un dissensus demeure quant à la compétence des sacrificateurs d’une part, reconnue globalement insuffisante (1), et l’étourdissement réversible d’autre part, parfois toléré, généralement refusé, dissensus qui profite aux acteurs du marché. En effet, la certification halal est établie par des organismes privés, indépendants du culte et libres de fixer leur propre cahier des charges, dont la concurrence entraîne une course au meilleur label. En Europe, le marché explose : 89 milliards de dollars en 2016, 100 milliards en 2017, 115 milliards en 2018, et 131 milliards et 150 milliards de prévision pour 2019 et 2020.
Les enjeux de l’abattage rituel
Le premier tient à la démocratisation de ce type d’abattage, qui n’a été autorisé qu’à titre dérogatoire. Une enquête du Comité permanent de coordination des inspections (COPERCI) a révélé que 32% des animaux ont été abattus rituellement en 2005, pour un besoin potentiel de 7% (2). Puis en 2011, le constat est sans appel : 51% des abattages ont été pratiqués rituellement cette année-là (3), donc très au-delà des besoins des rites. Des chiffres qui s’expliquent en partie par la complémentarité des circuits : les carcasses déclassées (non certifiées halal ou casher après abattage) et les parties non désirées sont redistribuées en circuit classique. La deuxième difficulté concerne l’opacité de la filière, qui effectue cette redistribution sans en informer les consommateurs, dont la liberté de conscience n’est alors pas assurée. Enfin, l’abattage sans étourdissement cause nettement plus de douleur et de stress aux animaux, dus à l’égorgement en lui-même, mais aussi à l’intervention parfois très tardive de la perte de conscience (jusqu’à 14 minutes pour les bovins) (3), et à l’immobilité forcée qui les empêche d’exprimer leur comportement naturel (vocalisation et évitement).
Des solutions possibles
En 2012, un décret a été mis en place afin de limiter l’usage de la dérogation uniquement aux commandes qui le nécessitent. Il exige notamment un système d’enregistrement pour assurer une traçabilité réelle. Mais 5 ans après sa mise en place, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) reconnaît l’insuffisance de cette mesure, la production rituelle demeurant excédentaire. Par ailleurs, un étiquetage du mode d’abattage permettrait d’informer les consommateurs sur le recours à une insensibilisation, sur le même modèle que les œufs (par chiffres), dont l’impact a été considérable. Enfin, les animaux pourraient être insensibilisés avant la saignée par étourdissement électrique, qui provoque une crise épileptiforme, durant laquelle conscience et sensibilité se trouvent profondément abolies. Réversible (retour des facultés initiales en fin de crise), ce type d’étourdissement est accepté par tous les pays du Moyen-Orient et certains États européens (Grèce, Norvège, Suède, Suisse, Luxembourg, Belgique à partir de 2019), car l’animal, bien qu’inconscient, reste vivant au moment de sa mort, conformément aux exigences religieuses.
- Par Aslam Timol, président de la commission halal au CFCM. Voir compte-rendu du CNEAb du 15/05/2018.
- Population juive et musulmane en France en 2005.
- CGAAER. « La protection animale en abattoir : la question particulière de l’abattage rituel », novembre 2011.
Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.