Afin de réduire le nombre d’animaux utilisés en expérimentation animale, la directive européenne de 2010 sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques insiste sur le respect de la Règle des 3R : remplacer l’animal, réduire le nombre d’animaux utilisés, affiner les méthodes expérimentales afin d’avoir un impact moins important sur leur bien-être. Cette règle a commencé à être mise en œuvre depuis plusieurs décennies. Un progrès fulgurant a été réalisé dans les pays occidentaux grâce aux réglementations sur les produits cosmétiques, aboutissant en Europe à une interdiction des tests sur animaux dans ce domaine. Ainsi, pour tester la toxicité et l’innocuité des ingrédients utilisés dans les produits cosmétiques, de nombreuses méthodes remplaçant l’animal ou réduisant le nombre de spécimens utilisés ont été mises au point.
Afin de vérifier si les alternatives à l’expérimentation animale sont aussi nombreuses qu’il est parfois annoncé, dans beaucoup de domaines, et pour relever ceux dans lesquels les alternatives à l’expérimentation animale manquent, nous nous sommes mis à la recherche d’une liste de méthodes alternatives qui doivent être obligatoirement utilisées en France pour effectuer telle ou telle procédure expérimentale. Pour ce faire, nous avons fouillé sur le site internet du laboratoire de référence de l’Union européenne pour les alternatives à l’expérimentation animale (appelé ECVAM). Nous avons également regardé le dernier rapport de ce laboratoire. Enfin, nous avons pris contact avec des experts du domaine des méthodes alternatives ou de l’utilisation de l’animal pour l’expérimentation.
Voici les résultats de nos recherches.
Il n’existe pas une liste répertoriant les méthodes alternatives devant être utilisées en France (ou dans l’Union européenne)
Tout d’abord, il faut savoir que pour être utilisées par les laboratoires publics et privés sur le territoire de l’Union européenne, les méthodes alternatives doivent avoir reçu la validation d’ECVAM en amont, puis ensuite avoir été acceptées réglementairement, c’est-à-dire que leur utilisation est autorisée.
En commençant ces recherches, nous espérions qu’elles seraient rapides et faciles : avec un petit tour sur le site d’ECVAM ou un coup d’œil dans leur dernier rapport sur les méthodes alternatives, nous allions sûrement trouver une liste des méthodes validées et acceptées réglementairement par l’Union européenne. Ce ne fut pas le cas. Sur le site d’ECVAM, nous avons trouvé deux pages permettant de rechercher des méthodes alternatives à l’expérimentation animale :
- DB-ALM (DataBase on Alternative Methods), qui donne des explications sur plus de 300 méthodes alternatives ;
- TSAR (Tracking System for Alternative methods towards Regulatory acceptance), qui montre le statut des alternatives (en développement, validées ou acceptées réglementairement).
Cependant, lorsqu’on effectue un tri dans chacune des deux bases de données pour avoir une liste de méthodes acceptées réglementairement, ces listes, par ailleurs possiblement non exhaustives, ne sont pas similaires : l’une présente 36 résultats, l’autre 24. Certaines méthodes se trouvent dans les deux listes, mais elles sont moins d’une dizaine…
Il en va de même pour les deux listes présentes aux annexes I et II du rapport 2017 sur les méthodes alternatives (1) produit par ECVAM. Certaines sont autorisées, d’autres pas encore, d’autres sont autorisées par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), mais il n’est pas clair si elles le sont aussi par l’Union européenne. Car si les pays membres de l’OCDE ont la possibilité d’utiliser les méthodes autorisées par cette organisation internationale, ils n’y sont pas contraints : donc l’Union européenne doit autoriser ces méthodes pour que leur utilisation devienne obligatoire.
Quant au ministère français de la Recherche, il n’établit pas non plus de liste pour aider les laboratoires français à y voir plus clair.
Les méthodes alternatives sont majoritairement développées pour les tests de toxicologie
La plupart des méthodes listées dans les différentes listes précédemment citées concernent la toxicologie des produits chimiques. Ce n’est pas étonnant : les législations européennes imposent de tester l’innocuité des produits chimiques. Ainsi, la réglementation et l’autorisation de méthodes alternatives se concentrent largement dans les domaines tels que la cosmétique, les produits ménagers, les médicaments humains et vétérinaires, les pesticides, les biocides, les ingrédients alimentaires, les équipements médicaux…
Des méthodes alternatives sont également développées pour la recherche fondamentale, c’est-à-dire la recherche dont l’objectif est la production du savoir et la compréhension des phénomènes naturels (elle permet notamment de développer des traitements contre des maladies). Par exemple, des alternatives ont été mises au point pour rechercher des traitements contre le cancer (cultures in vitro de nodules cancéreux humains), ou pour permettre le diagnostic de maladies à prion chez l’homme et l’animal, ou encore pour étudier les tiques et les agents pathogènes qu’elles peuvent transporter, ou bien pour étudier la physiologie de la locomotion (sur un système nerveux in vitro). Néanmoins, il est encore plus difficile d’avoir une idée précise du nombre, du type et de la finalité des méthodes qui sont développées pour la recherche fondamentale. De plus, nombre d’entre elles ne sont pas acceptées réglementairement, ni même validées par ECVAM.
Une même méthode alternative ne peut pas forcément être utilisée pour deux tests à finalité distincte
Concernant les méthodes développées pour tester l’innocuité des produits chimiques, leur autorisation varie d’un domaine à l’autre. Chaque domaine de toxicologie cité précédemment a sa propre réglementation. Chaque réglementation donne sa propre liste des méthodes qui peuvent être utilisées pour tester les substances chimiques. Certaines de ces méthodes se retrouvent dans plusieurs réglementations, mais d’autres en revanche peuvent être autorisées dans un domaine mais pas dans un autre, alors que le test est similaire…
Conclusion
Finalement, nous n’avons pas réussi à trouver ce que nous cherchions initialement, c’est-à-dire une liste des méthodes alternatives devant être utilisées en France. Les méthodes alternatives à l’expérimentation animale couvrent de nombreux domaines mais pas de manière égale. Celles pour les tests de toxicité sont mieux développées, validées et acceptées réglementairement que les méthodes alternatives pour la recherche fondamentale. De plus, que ce soit en recherche fondamentale ou en recherche appliquée, des investigations bien plus poussées devraient être entreprises pour déterminer précisément (si cela est possible) les domaines dans lesquels les méthodes manquent.
Nous en concluons que le domaine des alternatives à l’expérimentation est très complexe et qu’il est difficile de s’y retrouver lorsque l’on n’est pas expert en la matière ; d’ailleurs, même les experts ont parfois du mal à y voir clair… En outre, nous avons compris qu’il reste encore énormément de progrès à faire et de recherche à conduire pour remplacer chaque test pratiqué sur des animaux par un test excluant leur utilisation. D’énormes progrès pourraient également être faits dans la validation et l’acceptation réglementaire des méthodes alternatives, ainsi que dans leur dissémination, notamment par les autorités publiques. En France, la plateforme française dédiée au développement, à la validation et à la diffusion de méthodes alternatives en expérimentation animale (Francopa) n’est pas soutenue financièrement par l’État. Pour tenter de pallier ces problèmes, la LFDA a instauré dès 1985 un Prix de biologie Alfred Kastler (2) qui récompense des chercheurs ayant mis au point des méthodes évitant l’utilisation expérimentale traumatisante de l’animal. Le lauréat se voit remettre un prix de 4 000 € pour son travail. Cependant, la LFDA ne peut à elle seule pallier le manque de méthodes alternatives. Une promotion et un encouragement de la part de l’État et de l’Union européenne semblent indispensables, de même qu’un éclaircissement sur les méthodes qui peuvent être utilisées en France serait le bienvenu.
- EURL ECVAM status report on the development, validation and regulatory acceptance of alternative methods and approaches (2017)
- Un jury composé de scientifiques se réunit tous les deux ans pour attribuer le Prix de biologie Alfred Kastler. En 2017, le prix a été remis pour la onzième fois.
Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.